Amaz L’Africain
INTERVIEW DE AMAZIGH KATEB - GNAWA DIFFUSION
Pour fêter le dixième anniversaire de la sortie de leur premier album, le groupe Gnawa Diffusion sera le 25 novembre à l’Elysée Montmartre. Le groupe sortira au courant de l’année 2007 un DVD live. Amazigh Kateb, son leader, sortira un nouvel album au début de l’année 2008.
C’est un beau jeune homme, regard aigu, cheveux longs. Il se dégage de lui comme une grâce un peu altière qui a de lointains rapports avec l’humilité des gens du désert. Et lorsqu’il s’empare de son guembri, Amazigh Kateb se transforme en diable de scène, entraîne avec les Gnawa Diffusion son public dans un tourbillon musical dont on ne sort pas indemne. Interview.
Votre musique est un mélange de musique traditionnelle et de musique actuelle, on le voit bien à travers les instruments, comment en êtes-vous arrivé à ce choix musical ?
Au départ on faisait un mélange de musique mais on s’est rendu compte que la fusion n’était pas vraiment ce que l’on voulait faire et qu’en réalité ce qui pouvait le mieux permettre de mettre des sonorités traditionnelles avec des sonorités modernes, c’est de travailler autour des textes, des mélodies et des rythmes. Dans notre répertoire actuel, nous travaillons avec chacun des apports différents, la fusion se fait d’elle-même. Il y a une section rythmique qui vient plus du rap, une autre qui est plus percussions africaines et qui apporte justement un côté débordant, et puis il y a les mélodies qui sont servies à la fois par une guitare électrique, un mondole, un guembri. Il y a aussi les thèmes, nos textes parlent d’africanité, d’esclavage, ce qu’est l’esclavage d’aujourd’hui et ce qu’a été l’esclavage d’hier et en quoi c’est important de reconnaître l’esclavage d’hier pour pouvoir s’affranchir aujourd’hui et être de vrais homme libres, pas dans la négation de notre histoire.
Vous dites que la musique gnawa est pour vous une musique de déportés, comment vous vous reconnaissez dans cette musique ?
C’est lors de mon premier voyage dans le sud algérien à Timimoun, une oasis du sud-ouest algérien. Lorsque j’ai vu des gnawas jouer, j’ai vu l’expression noire de l’Algérie. Et c’est là que je me suis senti réellement algérien et je me suis senti adhérer à ce genre de sonorités avec beaucoup d’aisance. Les musiques du Sud sont des sonorités vraiment à la frontière de ce qui est purement maghrébin et ce qui est africain, ce sont aussi des musiques populaires et participatives dans lesquelles tout le monde peut amener son grain de sel. Une musique sans formalités et très ouverte.
Ayant ouvert cette porte algérienne par le Sud, j’ai compris qu’il y avait plein de choses qu’on a essayé de greffer sur la société algérienne à commencer par l’islam intégriste porteur d’un message simpliste et populiste. L’islam algérien est un islam purement maghrébin, purement africain avec des croyances liées à la terre qui ne peut cohabiter avec le fondamentalisme.
Le choix de la musique gnawa n’est pas seulement un choix vis-à-vis de l’Algérie, le carcan algérien est trop étroit pour dire ce que nous sommes et ce que nous voudrions être, c’est sur un socle africain qu’il faut bâtir. Les Maghrébins ont été blanchis par un tas d’invasion mais on doit reconnaître que nos ancêtres étaient des esclavagistes. C’est un juste retour des choses de dire que mon ancêtre a été esclavagiste et que moi, son descendant, je joue de l’instrument de l’esclave. C’est à la fois une démarche algérienne et une démarche d’immigré aussi, une démarche de déporté.
De plus en plus de musiciens puisent dans les sonorités des pays du Sud (maghrébines ou africaines). Avec 14 ans d’existence, vous êtes un peu des pionniers sur la scène du métissage musical, est-ce que vous avez une explication à ce phénomène ?
Quand j’entends Sarkozy parler de tolérance et de métissage, je n’ai plus envie d’utiliser ces mots. J’ai juste envie de parler de musique et même “musiques du monde”, ça commence à me gêner, ça devient un créneau tellement commercial que je préfère parler de musique actuelle. La musique est une manière d’écrire l’histoire au même titre que les autres expressions artistiques. Aujourd’hui on est en régression de novations et ça se sent même politiquement. On a l’impression que la société est fatiguée d’avoir traversé un siècle de génocides, de massacres, de révolutions ratées, de pouvoir totalitaire. Il n’y a plus vraiment d’idées qui emballent les gens sauf l’argent. Peut-être que les musiciens comme la plupart des artistes sentent plus tôt que les politiciens qu’il faut revenir à des choses plus humaines et c’est vrai que la musique traditionnelle a ce côté-là. La musique est une manière d’abattre les frontières ou de leur rendre leur véritable valeur. Elles ne sont pas faites pour refouler les gens. Et je crois que les artistes d’une manière générale redonnent aux frontières leur véritable signification, à savoir l’invitation au voyage.
Vous fêtez les dix ans de votre premier album, ‘Algeria’, le 25 novembre prochain à l’Elysée Montmartre, le groupe existe depuis 14 ans, quel bilan vous faites de ce parcours ?
Heureusement qu’il y a le public. Je fais bien la différence entre Gnawa Diffusion sur scène et Gnawa Diffusion en disque.C’est grâce aux gens qui viennent nous voir en concerts qu’on existe. Du point de vue des ventes, j’ai l’impression que Gnawa n’a pas sa place dans le marché actuel mais le groupe a sa place auprès de son public et c’est la chose dont je suis le plus fier. Cette musique parle à des gens, par exemple en Algérie, je sais qu’on a vendu des millions d’albums piratés certes, l’argent n’est pas rentré dans nos poches et tant mieux !
On vous retrouve aussi souvent en festivals…
On fait pas mal de festivals en Europe qui est un bon rendez-vous de la jeunesse d’une manière générale… Par exemple au Maghreb, c’est un truc de fou.
Avec votre dernier album ‘Souk System’ où vous dénoncez le désordre mondial, on sent que vous avez atteint un certain seuil de maturité artistique, quelle suite vous envisagez pour le groupe ?
Il y aura une suite si les membres de Gnawa le veulent. On finit notre tournée en novembre pour la reprendre en mars. Entre-temps on sort en février un DVD avec du live, des inédits, quelques souvenirs, des images d’Algérie. Notre tournée s’achève en juillet et après on fait une pose jusqu’à ce que l’envie revienne de faire autre chose. Personnellement j’ai des projets sur le feu, d’autres membres du groupe ont des projets aussi. C’est bien de faire des choses plus personnelles, ça peut apporter de l’eau à notre moulin.
On dit de vous que vous êtes un chanteur engagé, vous en pensez quoi ?
J’ai été élevé dans un théâtre politique populaire dès mon plus jeune âge. C’est peut-être pour ça que j’ai choisi la musique aussi. C’est un art vraiment populaire et qu’on rencontre à différents moments de sa vie. Il y a une sorte de totalitarisme de la musique qui n’a pas de message, de la musique un peu trop “glamour”. Ce que j’aime particulièrement dans la musique c’est quand elle parle à mon corps et à mon esprit. La musique, c’est aussi physique.
Par rapport à votre père, l’écrivain algérien Kateb Yacine, vous avez entrepris un travail conséquent autour de son oeuvre : expositions, publications... A quoi correspond ce besoin ?
Ayant vécu la période théâtrale de mon père où il tournait en Algérie avec sa troupe, je garde une mémoire assez fraîche de cette époque. J’avais envie de montrer ça. La renommée internationale de mon père est due à son roman ‘Nedjma’ mais toute la partie de son travail théâtral en Algérie reste largement méconnue. J’avais envie de faire deux ou trois ouvrages avec ce qu’il m’a laissé. Ayant assisté aux pièces de théâtre étant gamin, je garde une mémoire assez fraîche et avant d’être sénile j’aimerais bien préserver ça. Quatre pièces sont en train d’être montées grâce au fait qu’elles existent sur ouvrage. Par ailleurs je voulais également mettre en valeur les écrits journalistiques de Yacine, un autre côté que les gens ne connaissent pas.
Est-ce que vous retournez jouer en Algérie ?
En Algérie, on fait en fonction de ce qu’on nous propose. En Algérie, ce ne sont pas les artistes qui décident. Jusque-là, on n’a jamais été invité par l’Etat algérien. En fait c’est un peu au gré des organisateurs. Au Maroc, je sais que c’est moins compliqué, on n’est pas un groupe avec un discours directement lié à l’actualité marocaine, on gène moins. Et lorsqu’on joue à Casablanca, on fait 50.000 personnes, à Assaouira 35 à 45.000 personnes.
Pour revenir à votre DVD, c’est un moyen donné aux personnes qui ne vous ont pas vu en concert de vous connaître ?
C’est bien pour se faire connaître, mais c’est bien aussi pour les gens qui nous connaissent. Dans ce DVD, il y a des choses qu’on a tournées en Algérie, sur la route, peut-être aussi des images du Moyen-Orient. Et peut-être qu’il y aura des gens qui auront envie de monter la pièce même le jour où on n’existera plus. Une trace supplémentaire.
Propos recueillis par Monia Zergane et Guillaume Billard pour Evene.fr - Novembre 2006
INTERVIEW DE AMAZIGH KATEB - GNAWA DIFFUSION
Pour fêter le dixième anniversaire de la sortie de leur premier album, le groupe Gnawa Diffusion sera le 25 novembre à l’Elysée Montmartre. Le groupe sortira au courant de l’année 2007 un DVD live. Amazigh Kateb, son leader, sortira un nouvel album au début de l’année 2008.
C’est un beau jeune homme, regard aigu, cheveux longs. Il se dégage de lui comme une grâce un peu altière qui a de lointains rapports avec l’humilité des gens du désert. Et lorsqu’il s’empare de son guembri, Amazigh Kateb se transforme en diable de scène, entraîne avec les Gnawa Diffusion son public dans un tourbillon musical dont on ne sort pas indemne. Interview.
Votre musique est un mélange de musique traditionnelle et de musique actuelle, on le voit bien à travers les instruments, comment en êtes-vous arrivé à ce choix musical ?
Au départ on faisait un mélange de musique mais on s’est rendu compte que la fusion n’était pas vraiment ce que l’on voulait faire et qu’en réalité ce qui pouvait le mieux permettre de mettre des sonorités traditionnelles avec des sonorités modernes, c’est de travailler autour des textes, des mélodies et des rythmes. Dans notre répertoire actuel, nous travaillons avec chacun des apports différents, la fusion se fait d’elle-même. Il y a une section rythmique qui vient plus du rap, une autre qui est plus percussions africaines et qui apporte justement un côté débordant, et puis il y a les mélodies qui sont servies à la fois par une guitare électrique, un mondole, un guembri. Il y a aussi les thèmes, nos textes parlent d’africanité, d’esclavage, ce qu’est l’esclavage d’aujourd’hui et ce qu’a été l’esclavage d’hier et en quoi c’est important de reconnaître l’esclavage d’hier pour pouvoir s’affranchir aujourd’hui et être de vrais homme libres, pas dans la négation de notre histoire.
Vous dites que la musique gnawa est pour vous une musique de déportés, comment vous vous reconnaissez dans cette musique ?
C’est lors de mon premier voyage dans le sud algérien à Timimoun, une oasis du sud-ouest algérien. Lorsque j’ai vu des gnawas jouer, j’ai vu l’expression noire de l’Algérie. Et c’est là que je me suis senti réellement algérien et je me suis senti adhérer à ce genre de sonorités avec beaucoup d’aisance. Les musiques du Sud sont des sonorités vraiment à la frontière de ce qui est purement maghrébin et ce qui est africain, ce sont aussi des musiques populaires et participatives dans lesquelles tout le monde peut amener son grain de sel. Une musique sans formalités et très ouverte.
Ayant ouvert cette porte algérienne par le Sud, j’ai compris qu’il y avait plein de choses qu’on a essayé de greffer sur la société algérienne à commencer par l’islam intégriste porteur d’un message simpliste et populiste. L’islam algérien est un islam purement maghrébin, purement africain avec des croyances liées à la terre qui ne peut cohabiter avec le fondamentalisme.
Le choix de la musique gnawa n’est pas seulement un choix vis-à-vis de l’Algérie, le carcan algérien est trop étroit pour dire ce que nous sommes et ce que nous voudrions être, c’est sur un socle africain qu’il faut bâtir. Les Maghrébins ont été blanchis par un tas d’invasion mais on doit reconnaître que nos ancêtres étaient des esclavagistes. C’est un juste retour des choses de dire que mon ancêtre a été esclavagiste et que moi, son descendant, je joue de l’instrument de l’esclave. C’est à la fois une démarche algérienne et une démarche d’immigré aussi, une démarche de déporté.
De plus en plus de musiciens puisent dans les sonorités des pays du Sud (maghrébines ou africaines). Avec 14 ans d’existence, vous êtes un peu des pionniers sur la scène du métissage musical, est-ce que vous avez une explication à ce phénomène ?
Quand j’entends Sarkozy parler de tolérance et de métissage, je n’ai plus envie d’utiliser ces mots. J’ai juste envie de parler de musique et même “musiques du monde”, ça commence à me gêner, ça devient un créneau tellement commercial que je préfère parler de musique actuelle. La musique est une manière d’écrire l’histoire au même titre que les autres expressions artistiques. Aujourd’hui on est en régression de novations et ça se sent même politiquement. On a l’impression que la société est fatiguée d’avoir traversé un siècle de génocides, de massacres, de révolutions ratées, de pouvoir totalitaire. Il n’y a plus vraiment d’idées qui emballent les gens sauf l’argent. Peut-être que les musiciens comme la plupart des artistes sentent plus tôt que les politiciens qu’il faut revenir à des choses plus humaines et c’est vrai que la musique traditionnelle a ce côté-là. La musique est une manière d’abattre les frontières ou de leur rendre leur véritable valeur. Elles ne sont pas faites pour refouler les gens. Et je crois que les artistes d’une manière générale redonnent aux frontières leur véritable signification, à savoir l’invitation au voyage.
Vous fêtez les dix ans de votre premier album, ‘Algeria’, le 25 novembre prochain à l’Elysée Montmartre, le groupe existe depuis 14 ans, quel bilan vous faites de ce parcours ?
Heureusement qu’il y a le public. Je fais bien la différence entre Gnawa Diffusion sur scène et Gnawa Diffusion en disque.C’est grâce aux gens qui viennent nous voir en concerts qu’on existe. Du point de vue des ventes, j’ai l’impression que Gnawa n’a pas sa place dans le marché actuel mais le groupe a sa place auprès de son public et c’est la chose dont je suis le plus fier. Cette musique parle à des gens, par exemple en Algérie, je sais qu’on a vendu des millions d’albums piratés certes, l’argent n’est pas rentré dans nos poches et tant mieux !
On vous retrouve aussi souvent en festivals…
On fait pas mal de festivals en Europe qui est un bon rendez-vous de la jeunesse d’une manière générale… Par exemple au Maghreb, c’est un truc de fou.
Avec votre dernier album ‘Souk System’ où vous dénoncez le désordre mondial, on sent que vous avez atteint un certain seuil de maturité artistique, quelle suite vous envisagez pour le groupe ?
Il y aura une suite si les membres de Gnawa le veulent. On finit notre tournée en novembre pour la reprendre en mars. Entre-temps on sort en février un DVD avec du live, des inédits, quelques souvenirs, des images d’Algérie. Notre tournée s’achève en juillet et après on fait une pose jusqu’à ce que l’envie revienne de faire autre chose. Personnellement j’ai des projets sur le feu, d’autres membres du groupe ont des projets aussi. C’est bien de faire des choses plus personnelles, ça peut apporter de l’eau à notre moulin.
On dit de vous que vous êtes un chanteur engagé, vous en pensez quoi ?
J’ai été élevé dans un théâtre politique populaire dès mon plus jeune âge. C’est peut-être pour ça que j’ai choisi la musique aussi. C’est un art vraiment populaire et qu’on rencontre à différents moments de sa vie. Il y a une sorte de totalitarisme de la musique qui n’a pas de message, de la musique un peu trop “glamour”. Ce que j’aime particulièrement dans la musique c’est quand elle parle à mon corps et à mon esprit. La musique, c’est aussi physique.
Par rapport à votre père, l’écrivain algérien Kateb Yacine, vous avez entrepris un travail conséquent autour de son oeuvre : expositions, publications... A quoi correspond ce besoin ?
Ayant vécu la période théâtrale de mon père où il tournait en Algérie avec sa troupe, je garde une mémoire assez fraîche de cette époque. J’avais envie de montrer ça. La renommée internationale de mon père est due à son roman ‘Nedjma’ mais toute la partie de son travail théâtral en Algérie reste largement méconnue. J’avais envie de faire deux ou trois ouvrages avec ce qu’il m’a laissé. Ayant assisté aux pièces de théâtre étant gamin, je garde une mémoire assez fraîche et avant d’être sénile j’aimerais bien préserver ça. Quatre pièces sont en train d’être montées grâce au fait qu’elles existent sur ouvrage. Par ailleurs je voulais également mettre en valeur les écrits journalistiques de Yacine, un autre côté que les gens ne connaissent pas.
Est-ce que vous retournez jouer en Algérie ?
En Algérie, on fait en fonction de ce qu’on nous propose. En Algérie, ce ne sont pas les artistes qui décident. Jusque-là, on n’a jamais été invité par l’Etat algérien. En fait c’est un peu au gré des organisateurs. Au Maroc, je sais que c’est moins compliqué, on n’est pas un groupe avec un discours directement lié à l’actualité marocaine, on gène moins. Et lorsqu’on joue à Casablanca, on fait 50.000 personnes, à Assaouira 35 à 45.000 personnes.
Pour revenir à votre DVD, c’est un moyen donné aux personnes qui ne vous ont pas vu en concert de vous connaître ?
C’est bien pour se faire connaître, mais c’est bien aussi pour les gens qui nous connaissent. Dans ce DVD, il y a des choses qu’on a tournées en Algérie, sur la route, peut-être aussi des images du Moyen-Orient. Et peut-être qu’il y aura des gens qui auront envie de monter la pièce même le jour où on n’existera plus. Une trace supplémentaire.
Propos recueillis par Monia Zergane et Guillaume Billard pour Evene.fr - Novembre 2006