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L'instituteur

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  • L'instituteur

    Le témoignage poignant et bouleversant d'un inspecteur de l'Éducation nationale...

    " Une visite malheureuse.
    Dans une de mes visites que j’avais effectuée dans un lycée, j’avais eu l’honneur d’être face à un professeur dont l’allure m’inquiétait. Son regard lointain disait long de son chagrin. Mal nippé, partiellement froissé, il n’avait rien qui faisait de lui un enseignant, sauf le sourire des élèves qui le voyaient entrer en classe. Pas de cartable, pas de document, pas de tablier rien de cela mais il avait dans le sourire que dessinait son visage l’apothéose de la gentillesse, la fibre patente d’un humanisme grandiose qui faisaient de lui un être que les élèves de terminale aimaient par-dessus tout. Je pris place à l’arrière de la classe comme un spectateur hésitant, puis sans attendre, il fit partir son cours comme une mécanique huilée, entrant dans un dilemme foudroyant et les élèves qui attendaient patiemment sa venue entrèrent en belligérance et de leurs épées croisées fusaient des étincelles joyeuses qui illuminèrent le débat pour le harceler de questions et de réponses impromptues. Il avait réponse à tout mais aussi l’art et la manière de calmer ses adversaires en se réfugiant parfois dans des arguments de puissance pour refroidir les esprits, apaiser les âmes. Il maniait la classe à sa guise comme un maestro convaincu. Au fond de la classe, sublimé par tant de noblesse, je voulus participer, être comme ces élèves, donner mes arguments, lever le doigt, quel gâchis ! Les élèves surexcités rayonnaient de joie. Je sentais qu’au fond d’eux-mêmes, ils voulaient que cette heure soit éternelle mais la cloche sonna mettant fin à cette liesse magnifique. Le cours fut un succès et bêtement je rangeais mes affaires, pressé de faire des excuses à celui que j’avais précipitamment sous estimé. J’eus un frissonnement du cœur lorsque je vis le directeur baisser les yeux en le voyant, peut être par respects ou plutôt parce qu’il avait des secrets que lui seul connaissait. Il était hors de question qu’il y eût entre nous un débat, ni même une évaluation mais avant de le quitter une question s’imposa que je devais lui poser : - Où est votre cartable ? J’avais regretté cette question incongrue quand il me répondit presque en chuchotant :- J’habite dans un bain maure. On me l’a volé tôt ce matin. Je me retournai sans le saluer pour partir me réfugier dans ma voiture, pressé de pleurer. J’eus honte de moi, de ma fonction, de mon pays. Il avait 35 ans.

    Tahar MOKHTARI
    Inspecteur de langue française"
    عيناك نهر من جنون... عيناك أرض لا تخون
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