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Au Maroc, le coronavirus ne peut plus être stoppé, mais on peut encore sauver des vies

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  • Au Maroc, le coronavirus ne peut plus être stoppé, mais on peut encore sauver des vies

    13 mars 2020
    Par Youssef Oulhote, docteur en épidémiologie et biostatistique, enseignant-chercheur à l’Université du Massachusetts et à l’École de Santé Publique de l’Université de Harvard (USA)




    L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a déclaré que l’épidémie du Covid-19 est maintenant une pandémie. A l’heure où ces lignes sont écrites, plus de 138 000 cas et plus de 5 000 décès ont déjà été enregistrés dans 131 pays. Au Maroc, 7 cas ont été déclarés jusqu’à présent. Il est fort probable que le nombre réel de cas soit 10 à 100 fois supérieur, vu que le nombre de cas détectés reflète davantage le nombre de tests effectués par les pouvoirs publics que la réalité de la transmission sur le terrain. Ce qui est certain, c’est qu’il y a déjà des transmissions communautaires, et que le nombre de cas va exploser dans les semaines à venir. L’objectif n’est plus de contenir le virus, mais de retarder sa transmission.

    Pourquoi le Covid-19 est beaucoup plus dangereux que la grippe saisonnière ?
    Le Coronavirus ou SARS-CoV-2 est un danger imminent pour le Maroc et son système de santé déjà fragile. Beaucoup de gens comparent ce virus à la grippe. Cependant, il faut retenir que le nombre de cas de grippe est réparti sur une période de huit mois ou plus, alors que les cas de Covid-19 augmentent de façon exponentielle au cours de quelques semaines, comme on l’observe actuellement.

    On doit donc s’attendre à des dizaines de milliers de cas au Maroc dans les semaines à venir. Les projections les plus pessimistes indiquent que la maladie pourrait se transmettre à plus de la moitié de la population si des mesures préventives sérieuses ne sont pas prises immédiatement. Ces chiffres ne sont pas exagérés, et sont basés sur un taux de reproduction de base « R_0 » de 2 à 3. Autrement dit, l’hypothèse est que chaque personne infectée transmettrait le virus à 2 ou 3 autres personnes en moyenne, contre 1.3 pour la grippe. Dans une telle configuration, le nombre de cas devrait doubler tous les 2 à 3 jours. Autre fait inquiétant, la période d’incubation du virus est d’à peu près 5 jours en moyenne, mais peut varier largement de 2 à 14 jours, avec une période de latence (durant laquelle le malade ne présente aucun symptôme) d’environ 2 à 4 jours. Cela signifie que durant deux à trois jours, le malade peut être asymptomatique mais transmet quand même le virus. C’est une différence importante avec la grippe saisonnière, qui explique en partie le défi supplémentaire posé aux pouvoirs publics.

    Enfin, le Covid-19 pose un défi sérieux dans la mesure où près de 10 à 20% des personnes infectées devront être hospitalisées, selon les derniers chiffres venus de Chine et Italie. Une partie non négligeable aura besoin de soins intensifs. Il est important de souligner qu’entre 60% et 80% des personnes infectées auront des symptômes comparables à ceux de la grippe et ne nécessiteront pas d’hospitalisation.

    Le COVID-19, un vrai défi pour le système de santé, surtout dans les pays du Sud.
    Le Maroc fera face à une situation sanitaire critique dans la gestion du Covid-19 parce que sa capacité hospitalière est très limitée. Le Maroc possède 1.1 lit pour 1000 habitants, et cette capacite n’a cessé de diminuer depuis les années 1960.




    C’est beaucoup moins qu’en Italie (3,2), en Chine (4,2) en Algérie (1.9), et en Corée du Sud (12,3), qui ont tous connu des difficultés. L’information sur la capacité de pointe en termes de lits dans les soins intensifs et les appareils de ventilation disponibles est absente.

    En se basant sur la limite inférieure des estimations actuelles proposées par l’ensemble des épidémiologistes en l’absence de mesures préventives adéquates, posons l’hypothèse que seulement 20% de la population adulte sera infectée (les estimations vont de 20 à 60%). Il est impératif de souligner que la majorité des cas ne sera probablement pas diagnostiquée, et que ces chiffres s’étaleront sur plusieurs mois.

    Dans cette hypothèse, le Maroc aura environ 4 millions de cas (encore et pour ne pas être alarmiste, en absence de mesures préventives adéquates), dont à peu près 10% nécessiteront une hospitalisation. Nous aurons donc besoin de 400 000 lits d’hôpital, dont une partie significative aura besoin de soins intensifs et de ventilation. Or, le Maroc ne dispose actuellement que de 30 000 à 40 000 lits d’hôpitaux, soit 10 fois moins que nécessaire, en plus de la pénurie de médecins et de personnels hospitaliers. Dans ce cas, que faire ?

    Les mesures préventives existent pour disperser la distribution des cas et ralentir (mais non pas stopper) la transmission
    Il est maintenant trop tard pour contenir le virus, mais il existe cependant de nombreuses mesures préventives qui se sont avérées efficaces pour ralentir l’épidémie.

    Les expériences historiques de pandémie, et dans le cas récent de la Corée du Sud, nous enseignent que ralentir l’épidémie est la meilleure stratégie à ce stade. Selon les experts de l’OMS, il faut tester le maximum de personnes, retracer l’origine de la transmission pour mettre en quarantaine toutes les personnes infectées. Le testing intensif, l’enquête et la quarantaine permettent de ralentir l’épidémie, ce qui est efficace pour trois raisons :

    Une épidémie lente infectera au total moins de personnes ;
    Le nombre total de cas sera distribué sur une durée plus longue, ce qui permet d’alléger le fardeau sur le système de santé ;
    La distribution des cas dans le temps permet aussi au personnel hospitalier d’apprendre à soigner la maladie, voire de développer un vaccin.
    Un exemple historique est celui de la grippe de 1918. La pandémie de grippe de 1918-1919 a été la plus meurtrière de l’histoire récente. Environ 40 millions de personnes sont décédées dans le monde. Aux Etats-Unis, 550 000 personnes y ont succombé, mais avec des disparités importantes selon les villes. La différence a tenu aux mesures préventives appliquées, et à quel moment. Dans l’exemple ci-dessous, la ville de Saint Louis a pris des mesures de confinement 6 jours avant Pittsburgh. La différence en termes de mortalité est de 358 pour 100 000 habitants à Saint Louis, contre 807 morts pour 100 000 habitants à Pittsburgh. Dans l’ensemble, les villes qui ont mis en œuvre des interventions plus tôt ont connu des retards associés dans le délai de pic de mortalité, des réductions de l’ampleur du pic de mortalité et une diminution de la charge de mortalité totale.




    Aujourd’hui, les efforts doivent être dirigés vers le ralentissement de la propagation du virus, afin d’aplatir « la courbe épidémique » (Figure 3). Chaque action pour la ralentir nous fait gagner du temps et réduit probablement la taille totale de l’épidémie. Parmi les mesures les plus efficaces figure la distanciation sociale

    Instaurer une procédure de testing intensif concentrée sur les poches de contamination, identifier les malades, tester leurs proches et instaurer des mesures de quarantaine ;
    Toutes les entreprises pouvant travailler à distance doivent le faire immédiatement ;
    Limiter la transmission en interdisant tous les rassemblements de population. Cela inclut les matchs de foot, les mariages et autres célébrations, les moussems, et les prières du vendredi. Les autres jours, il faut instaurer une distance de 2 mètres entre les fidèles dans les mosquées ;
    Mettre en place un système de triage dans les hôpitaux, entrainer le plus de personnel sur les procédures à suivre, et mobiliser la population d’étudiants médecins ;
    Stocker le matériel médical : masques, ventilateurs, produits d’hygiène ;
    Essayer d’élargir la capacité hospitalière à travers la location d’hôtels, ou mise en place d’hôpitaux mobiles,
    Instaurer des hotlines pour informer la population. Il faut s’attendre à un important volume d’appels de personnes suspectant une infection. Cela implique la formation rapide de téléconseillers aux mesures d’hygiène et de prévention nécessaires.


    A l’échelle individuelle, les mesures à prendre sont :

    En cas de suspicion, s’isoler du reste de la famille, appeler la hotline sans se déplacer à l’hôpital, sauf aggravation du cas ;
    Éviter les cafés, les marchés, et les lieux à haute densité de population ;
    Appliquer les mesures habituelles d’hygiène :
    Laver régulièrement les mains au savon,
    Couvrir les éternuements et la toux,
    Ouvrir les fenêtres pour aérer,
    Laver les poignées des portes quotidiennement,
    Isoler les personnes susceptibles, incluant personnes âgées, les diabétiques, les malades cardiovasculaires, pulmonaires, cancer, et personnes immunodéficientes,
    Volontariat : Si vous pouvez aider, faites-le. Faites un plan entre voisins pour vous entraider, faire les courses à tour de rôle, etc….
    En ces jours incertains, la meilleure chose qui puisse nous arriver à la fin, c’est de nous dire que nous avons surréagi.
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