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Équations et probabilités au cœur des marchés financiers

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  • Équations et probabilités au cœur des marchés financiers

    À l'occasion de l'affaire Kerviel et de la crise du subprime aux États-Unis, beaucoup ont découvert que les mathématiques jouent un rôle de premier plan dans le monde de la finance. Pourtant, le phénomène n'est pas nouveau. Cette discipline est même à la base du marché des produits dérivés, aujourd'hui si décrié. Celui-ci a été mis en place au début des années 1970 outre-Atlantique, et en 1980 en Asie et en Europe. Son volume de transactions a atteint l'an dernier la somme astronomique de 596 000 milliards de dollars, selon la Banque des règlements internationaux. Or, dans toute cette affaire, ce sont les travaux de trois chercheurs américains - Black, Scholes et Merton - qui ont ouvert la voie. C'est leur modèle mathématique qui a posé la première pierre des nouvelles techniques financières. Scholes et Merton ont d'ailleurs été récompensés en 1997 par le prix Nobel d'économie, Black étant mort deux ans plus tôt.

    «Dans les années 1980, on a été estomaqué de voir que des mathématiques si avancées trouvaient aussi rapidement une application dans le monde de la finance. On en sautait de joie !», se souvient Nicolas Bouleau, mathématicien et directeur de recherche à l'École nationale des ponts et chaussées (1). En règle générale, en effet, il se passe énormément de temps avant que des innovations mathématiques débouchent sur des applications. Pour une fois, ce n'était pas le cas. C'est ainsi que l'intégrale d'Ito, une équation majeure du calcul stochastique - qui analyse les phénomènes aléatoires distribués dans le temps - a été utilisée dans les salles de marché vingt ans seulement après avoir été écrite pour modéliser les cours.

    Révolution fondamentale

    Pourquoi le modèle Black-Scholes-Merton a-t-il constitué une révolution fondamentale pour la finance ? Parce qu'en partant du principe que les fluctuations de la valeur d'un produit dérivé sont aléatoires et relèvent du calcul stochastique, ce modèle a permis d'évaluer les probabilités des risques indépendamment de toute donnée économique. «L'évaluation peut se faire au seul vu de l'agitation actuelle, la volatilité du cours de la devise, de l'action ou de la matière première concernée, puis d'une série de ventes et d'achats au jour le jour qui tiennent compte de l'évolution du marché», souligne Nicolas Bouleau. C'est pourquoi dans les salles de marché on voit des «quants» (des mathématiciens financiers) ou des traders (beaucoup sont d'anciens quants) pianoter sur leur ordinateur et faire défiler à l'écran des équations à toute allure. Les modèles sont sûrs et solides, assurent les mathématiciens confiants dans leurs équations.

    C'est à la bourse agricole de Chicago (Chicago Board Options Exchange, CBDO ) que les perspectives ouvertes par l'approche stochastique des marchés, ont été comprises et développées en premier. Dès 1972, les produits dérivés y ont explosé. À la fin des années 1960, en effet, cette vénérable institution, destinée à permettre aux grands céréaliers de vendre par anticipation leur récolte tout en se couvrant contre les variations des cours, stagnait. Le marché à terme était miné par les incertitudes. Le souvenir du krach boursier de 1929 paralysait les transactions.

    Un boulevard pour les modèles stochastiques

    À la CBDO, le modèle Black-Scholes-Merton a été immédiatement perçu comme un formidable levier pour le marché à terme, rapportent Donald Mackenzie et Yuval Millo, deux chercheurs britanniques qui ont enquêté sur place (Réseaux, n° 122, 2003/6). Les produits dérivés ne se sont toutefois imposés que peu à peu, après que les réticences des autorités américaines eurent été levées. La dérégulation des marchés et l'instauration des taux de change flottants décidées à cette période ont balayé tous les obstacles et ouvert un boulevard aux modèles stochastiques. L'informatique et la mondialisation ont aussi contribué à accélérer et à multiplier les échanges. De nouveaux produits dérivés de plus en plus complexes sont apparus, mis au point à l'intérieur des grandes banques par des mathématiciens financiers tenus au secret.

    Tous les modèles mathématiques utilisés dans le monde de la finance ont été construits à partir de problématiques n'ayant rien à voir avec la finance. Il s'agissait plutôt de trouver des réponses à des questions liées à la mobilité aléatoire d'une particule dans un fluide (mouvement brownien), l'agitation thermique ou l'analyse de signaux dans le temps voire à des questions de mathématiques pures, comme le rappelle Nicolas Bouleau dans son ouvrage. La finance est l'un des rares domaines, avec les modèles météorologiques et climatiques, à faire appel à des connaissances mathématiques très poussées. On compte une trentaine de revues internationales consacrées à la finance, et toutes les études y font une très large place à des équations complexes. Ce n'est pas le cas en économie où la règle de trois suffit à la plupart des calculs.

    Un observatoire des applications

    Très vite, la question s'est posée de savoir si l'introduction du calcul stochastique dans la finance ne risquait pas de déstabiliser le marché. Un colloque fut organisé en 1995 sur ce thème à l'École normale supérieure en présence de banquiers et du Prix Nobel Myron Scholes. Les opinions étaient «majoritairement confiantes», se souvient Nicolas Bouleau. En effet, les produits dérivés prémunissent contre le risque à moindre frais qu'une assurance traditionnelle.

    Récemment, plusieurs mathématiciens se sont inquiétés de l'impact de la crise financière sur leur discipline. Lors d'un colloque qui s'est tenu à l'Académie des sciences en avril 2008, le Français Marc Yor a appelé à la création d'un observatoire des applications mathématiques. Alors que la crise financière se profilait à l'horizon, il s'interrogeait sur l'avenir de l'enseignement universitaire des mathématiques qui a été littéralement «pompé» par l'industrie bancaire au cours de la dernière décennie.

    (1) « Martingales et marchés financiers» de Nicolas Bouleau, éd. Odile Jacob, 1998.

    Par le figaro
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