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Le vrai père de la bombe H

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  • Le vrai père de la bombe H

    Les premiers essais de la bombe H française se déroulèrent durant l’été 1968 en Polynésie française. Quarante ans plus tard, les ingénieurs se disputent toujours la paternité de sa conception.

    Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et après la mise au point des bombes à fission (A), tous les pays « nucléaires » ont cherché à développer la bombe à hydrogène ou H. Son principe était à l’image des réactions se produisant au coeur du Soleil : faire fusionner des atomes légers d’hydrogène ou de ses autres formes, le deutérium ou le tritium.

    Tous optèrent pour un système où une bombe A initie la réaction de fusion. Les Etats-Unis l’obtinrent en 1952, les Anglais en 1957. La France s’y mit, quant à elle, en 1960, après ses essais fructueux de bombes A à Reggane, en Algérie. Il nous fallut huit ans et le génie d’un homme pour y parvenir. Cet homme n’est pas l’académicien Robert Dautray, contrairement à ce qu’a écrit Alain Peyrefitte en 1976, et à ce que Robert Dautray laisse entendre dans ses Mémoires paru l’an dernier. Je fus, avec d’autres, en première ligne pour suivre l’émergence de ce qu’on allait appeler la « note Carayol ».
    Comprimer fortement le combustible

    Vers la fin de l’année 1965, les Chinois venaient de réussir leurs premiers essais nucléaires. Les pressions du général de Gaulle s’intensifièrent afin que la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique parvienne à des résultats sur la bombe H. Or, nous nous heurtions à un problème. Des résultats de calculs préliminaires avaient montré qu’il ne suffisait pas de chauffer un combustible thermonucléaire tel que le deutérure de lithium (DLi)pour que ses composants fusionnent assez vite et en masse. La densité initiale de ce solide devait être très supérieure à la valeur normale d’environ 0,8 gramme par centimètre cube.

    J’en avais déduit que, pour espérer un rendement élevé du DLi, il fallait impérativement commencer par le comprimer d’un facteur de plusieurs dizaines, sans le chauffer. En effet, dans les projets courants où le DLi était étroitement associé à la partie fissile d’une bombe A, l’échauffement était immédiat.

    Le rendement thermonucléaire était ridicule, puisque l’énergie récupérée ne dépassait celle de la partie fissile que de quelques pour-cent. Je repris et développai cette idée de « compression froide » en janvier 1967 dans deux rapports volumineux, sans être immédiatement suivi par les scientifiques responsables.

    Néanmoins, au centre de Limeil, un petit groupe commença à l’examiner. Parmi les membres de cette cellule informelle se trouvait Michel Carayol, un jeune ingénieur de l’armement affecté au service des études avancées. En février ou mars 1967, Michel Carayol lança une simulation numérique d’un assemblage thermonucléaire de conception originale. Il avait adopté la géométrie sphérique, la plus performante pour une concentration centripète. Son dispositif comportait notamment du deutérure de lithium-6 en quantité notable entouré d’un tamper d’uranium.
    Plusieurs dizaines de millions de degrés

    L’originalité introduite par Michel Carayol était la présence, autour de la surface extérieure, d’une couche assez épaisse d’un métal de nombre atomique intermédiaire, tel que le nickel ou le fer. Il démarra le calcul en supposant que cette couche extérieure se trouvait portée à haute température, probablement de l’ordre de plusieurs millions ou dizaines de millions de degrés.

    Le résultat de cette simulation numérique fut double. Il confirmait que le DLi pouvait être fortement comprimé avant d’être enflammé et que le rendement thermonucléaire était excellent. Nous avions confiance dans la validité de ce résultat car les deux essais d’engins tirés les 24 septembre et 4 octobre 1966, décevants vis-à-vis des espoirs H, avaient néanmoins permis de valider les programmes de simulation et les données physiques mises en oeuvre.

    Grâce à cette simulation, Michel Carayol avait déplacé le problème. Il ne s’agissait plus de rechercher d’emblée un rendement thermonucléaire élevé, mais de trouver un moyen d’acheminer autour d’une boule de deutérure de lithium enrobée, une énergie suffisante pour chauffer rapidement, et si possible uniformément, une couche sphérique externe appropriée. Il fallait finalement imaginer une architecture à deux étages séparés permettant la compression sans échauffement du combustible léger en utilisant l’énergie d’un premier étage à fission.

    Durant le premier trimestre 1967, au cours d’une des fréquentes réunions spontanées de chercheurs des trois services théoriques de Limeil (études avancées, évaluation des engins et mathématiques appliquées), l’ingénieur Joseph Crozier signala un phénomène perturbateur dans certains programmes de calcul. Bernard Lemaire, alors responsable du service « évaluations des engins », expliqua qu’il s’agissait d’un phénomène local de « compression radiative », résultant d’un transport d’énergie par les photons du plasma très chaud. L’idée d’exploiter ce phénomène a alors germé dans les esprits. C’est Michel Carayol qui la concrétisa en imaginant la géométrie de l’engin et son fonctionnement.

    Engin expérimental


    En effet, courant avril 1967, Michel Carayol diffusa sa note, un bref rapport dans lequel il proposait qu’une enceinte cylindrosphérique en uranium renferme à un bout un engin à fission et, à l’autre, un étage à fusion figuré sommairement par un cercle centré sur l’hémisphère terminal.

    Ce rapport montrait que les photons X, rayonnés par l’étage primaire à fission encore très chaud car supposé en fin de réaction, envahissaient l’intérieur de l’enceinte assez rapidement pour englober complètement l’extérieur de la boule H avant que l’enceinte ne soit vaporisée. Son schéma était équivalent au concept américain élaboré par Edward Teller et Stanislaw Ulam au début des années 1950.

    L’étrangeté et la nouveauté de ce schéma me surprirent comme la plupart des scientifiques informés. Plus tard, certains ont déclaré regretter de ne pas avoir soutenu Michel Carayol sur le moment. Il fallut attendre début septembre pour qu’il soit entendu. Son projet d’engin expérimental fut alors présenté lors d’une réunion des scientifiques concernés au centre de la DAM de Valduc, près de Dijon. En fin de réunion, Jean Viard, directeur des recherches de la DAM, décida de retenir ce projet au programme des tirs à prévoir pour l’été 1968.

    Finalement deux engins thermonucléaires de ce type furent expérimentés avec succès en août et septembre 1968 sur l’atoll de Fangataufa en Polynésie française. Ils confirmèrent avec éclat la pertinence de la proposition de Michel Carayol. Il est donc légitime de le considérer comme le père de l’idée fondamentale à l’origine de la bombe H française. Après ces événements, Michel Carayol décida de revenir dans son corps d’origine et termina sa carrière avec le grade d’ingénieur général de 2e classe de l’armement. Il est décédé en 2003.

    par la Recherche
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