Des bouts de Zan. Voilà à quoi ressemblent, une fois enrobés de plastique, les nanotubes de carbone. De petits morceaux de réglisse, qu'il vaut mieux s'abstenir de sucer. Même si leurs composants actifs sont rendus inertes par les polymères auxquels ils sont incorporés.
Alors que les nanotechnologies font l'objet d'un débat public agité, le groupe chimique français Arkema, seul à produire des nanotubes de carbone sur le territoire national, joue la carte de la transparence. Et accepte d'ouvrir les portes de son unité pilote, créée en 2004 près du complexe pétrochimique de Lacq (Pyrénées-Atlantiques). Une installation de recherche qui, depuis 2006, fonctionne en continu et produit entre 8 et 10 tonnes de nanotubes par an. Un premier pas, puisque l'industriel prévoit de mettre en service au début de 2011, sur le site voisin de Mont, une unité d'une capacité de 400 tonnes par an.
Ni gants ni combinaison étanche
Surprise pour le visiteur : les personnels de fabrication - quatre personnes sur la vingtaine que compte le laboratoire - sont vêtus, pour les opérations courantes, de simples blouses blanches. Ni masque, ni gants, ni combinaison étanche pour se prémunir contre une possible toxicité. Ces équipements sont réservés à certaines manipulations et aux interventions de maintenance. "Dans la chimie, nous sommes habitués à travailler en système confiné, sans contact direct entre les opérateurs et les produits. C'est dans notre culture, explique Patrice Gaillard, responsable de l'unité. Pour chaque poste, nous réalisons régulièrement des analyses afin de nous assurer de l'absence de risque d'exposition aux nanoparticules."
Première étape, un réacteur dans lequel sont injectés, en circuit fermé, d'une part une source de carbone (du bioéthanol liquide élaboré à partir de maïs), d'autre part un catalyseur (des grains d'alumine recouverts de fer). Chauffé à 700 °C, le mélange donne naissance à de minuscules filaments de carbone, en forme de tubes creux à parois multiples, longs de 1 à 10 microns (millionièmes de mètre) et larges de 10 à 15 nanomètres (milliardièmes de mètres).
Ces nanotubes, agglomérés en pelotes, sont alors acheminés, par un système pneumatique, vers un silo, d'où ils s'écoulent dans des fûts métalliques adaptés au transport de produits toxiques dangereux. Jusqu'alors en vase clos, la chaîne de production ne l'est plus : c'est un opérateur équipé de gants et de lunettes standards qui, manuellement, fixe le couvercle sur le bidon, en glissant les bras dans une enceinte de plastique souple dotée d'un extracteur d'air.
"Il s'agit d'un confinement dynamique, dans lequel l'enceinte est placée en dépression, afin que l'air ne s'en échappe pas. Encore faut-il s'assurer de son efficacité", commente Olivier Witschger, du laboratoire de métrologie des aérosols de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Une campagne de mesures a été menée sur place, au mois de juin, avec un institut allemand. Mais ses résultats ne sont pas encore connus. "Avec nos nanotubes de carbone, qui se présentent sous forme d'agrégats non volatils, nous sommes certains qu'il n'y a pas de dispersion dans l'air, assure le responsable du site. C'est pour cela que nous avons choisi ce procédé." Avec des préparations de granulométrie inférieure, plus pulvérulentes, "il n'en irait pas de même", dit-il.
Dernière étape, une extrudeuse, à laquelle les fûts sont couplés par des vannes hermétiques empruntées à l'industrie pharmaceutique. Les nanotubes y sont amalgamés à des polymères plastiques, à hauteur de 20 % à 40 % du produit fini : des granulés conditionnés en sacs. Pour les applications industrielles, ces concentrés (ou mélanges maîtres) sont ensuite dilués, pour parvenir à des teneurs de 1 % à 2 % en nanotubes de carbone.
"Notre démarche de prévention de l'exposition aux nanoparticules est exemplaire", affirme Patrice Gaillard. Des cahiers de procédures, régulièrement mis à jour, ont été établis pour les différents postes. Le suivi médical comprend un examen annuel des fonctions respiratoires (spirométrie). Et Arkema participe à plusieurs programmes de recherche en toxicologie et écotoxicologie, ainsi qu'à la formation des industriels mettant en oeuvre des nanomatériaux. "Sur les 25 à 30 millions d'euros que nous avons investis en recherche et développement, 50 % ont été consacrés à l'hygiène et à la sécurité", fait valoir le groupe.
Ces pratiques vertueuses restent cependant à adapter à une production à grande échelle. Et il n'est pas certain, vu leur coût, qu'elles soient mises en oeuvre par les fabricants des pays en développement.
Or le marché des nanotubes de carbone, encore marginal (la production mondiale est de 100 à 200 tonnes par an), devrait connaître une très forte croissance. Comme Arkema, l'allemand Bayer a annoncé la mise en service prochaine d'une nouvelle unité, de 200 tonnes par an. Et l'Asie monte en puissance. Selon certaines études, le chiffre d'affaires de ces produits pourrait atteindre, d'ici dix ans, 2 milliards de dollars.
Ces matériaux possèdent en effet des propriétés remarquables : dix fois plus résistants que l'acier, tout en étant flexibles et très légers, ce sont aussi de bons conducteurs thermiques et électriques. Déjà utilisés dans les articles de sport (raquettes de tennis, cadres de vélo, skis, planches de surf, etc.), ils commencent à l'être dans l'automobile et l'aéronautique, à la fois pour alléger les structures et conduire ou au contraire dissiper l'électricité. Autres applications possibles : les composants électroniques, les textiles techniques, les pales d'éolienne, les cellules photovoltaïques organiques, les batteries, les filtres à eau ou à air, ou encore, grâce à leur structure creuse, le stockage de l'hydrogène. Encore une pastille de réglisse ?
Par le Monde
Alors que les nanotechnologies font l'objet d'un débat public agité, le groupe chimique français Arkema, seul à produire des nanotubes de carbone sur le territoire national, joue la carte de la transparence. Et accepte d'ouvrir les portes de son unité pilote, créée en 2004 près du complexe pétrochimique de Lacq (Pyrénées-Atlantiques). Une installation de recherche qui, depuis 2006, fonctionne en continu et produit entre 8 et 10 tonnes de nanotubes par an. Un premier pas, puisque l'industriel prévoit de mettre en service au début de 2011, sur le site voisin de Mont, une unité d'une capacité de 400 tonnes par an.
Ni gants ni combinaison étanche
Surprise pour le visiteur : les personnels de fabrication - quatre personnes sur la vingtaine que compte le laboratoire - sont vêtus, pour les opérations courantes, de simples blouses blanches. Ni masque, ni gants, ni combinaison étanche pour se prémunir contre une possible toxicité. Ces équipements sont réservés à certaines manipulations et aux interventions de maintenance. "Dans la chimie, nous sommes habitués à travailler en système confiné, sans contact direct entre les opérateurs et les produits. C'est dans notre culture, explique Patrice Gaillard, responsable de l'unité. Pour chaque poste, nous réalisons régulièrement des analyses afin de nous assurer de l'absence de risque d'exposition aux nanoparticules."
Première étape, un réacteur dans lequel sont injectés, en circuit fermé, d'une part une source de carbone (du bioéthanol liquide élaboré à partir de maïs), d'autre part un catalyseur (des grains d'alumine recouverts de fer). Chauffé à 700 °C, le mélange donne naissance à de minuscules filaments de carbone, en forme de tubes creux à parois multiples, longs de 1 à 10 microns (millionièmes de mètre) et larges de 10 à 15 nanomètres (milliardièmes de mètres).
Ces nanotubes, agglomérés en pelotes, sont alors acheminés, par un système pneumatique, vers un silo, d'où ils s'écoulent dans des fûts métalliques adaptés au transport de produits toxiques dangereux. Jusqu'alors en vase clos, la chaîne de production ne l'est plus : c'est un opérateur équipé de gants et de lunettes standards qui, manuellement, fixe le couvercle sur le bidon, en glissant les bras dans une enceinte de plastique souple dotée d'un extracteur d'air.
"Il s'agit d'un confinement dynamique, dans lequel l'enceinte est placée en dépression, afin que l'air ne s'en échappe pas. Encore faut-il s'assurer de son efficacité", commente Olivier Witschger, du laboratoire de métrologie des aérosols de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Une campagne de mesures a été menée sur place, au mois de juin, avec un institut allemand. Mais ses résultats ne sont pas encore connus. "Avec nos nanotubes de carbone, qui se présentent sous forme d'agrégats non volatils, nous sommes certains qu'il n'y a pas de dispersion dans l'air, assure le responsable du site. C'est pour cela que nous avons choisi ce procédé." Avec des préparations de granulométrie inférieure, plus pulvérulentes, "il n'en irait pas de même", dit-il.
Dernière étape, une extrudeuse, à laquelle les fûts sont couplés par des vannes hermétiques empruntées à l'industrie pharmaceutique. Les nanotubes y sont amalgamés à des polymères plastiques, à hauteur de 20 % à 40 % du produit fini : des granulés conditionnés en sacs. Pour les applications industrielles, ces concentrés (ou mélanges maîtres) sont ensuite dilués, pour parvenir à des teneurs de 1 % à 2 % en nanotubes de carbone.
"Notre démarche de prévention de l'exposition aux nanoparticules est exemplaire", affirme Patrice Gaillard. Des cahiers de procédures, régulièrement mis à jour, ont été établis pour les différents postes. Le suivi médical comprend un examen annuel des fonctions respiratoires (spirométrie). Et Arkema participe à plusieurs programmes de recherche en toxicologie et écotoxicologie, ainsi qu'à la formation des industriels mettant en oeuvre des nanomatériaux. "Sur les 25 à 30 millions d'euros que nous avons investis en recherche et développement, 50 % ont été consacrés à l'hygiène et à la sécurité", fait valoir le groupe.
Ces pratiques vertueuses restent cependant à adapter à une production à grande échelle. Et il n'est pas certain, vu leur coût, qu'elles soient mises en oeuvre par les fabricants des pays en développement.
Or le marché des nanotubes de carbone, encore marginal (la production mondiale est de 100 à 200 tonnes par an), devrait connaître une très forte croissance. Comme Arkema, l'allemand Bayer a annoncé la mise en service prochaine d'une nouvelle unité, de 200 tonnes par an. Et l'Asie monte en puissance. Selon certaines études, le chiffre d'affaires de ces produits pourrait atteindre, d'ici dix ans, 2 milliards de dollars.
Ces matériaux possèdent en effet des propriétés remarquables : dix fois plus résistants que l'acier, tout en étant flexibles et très légers, ce sont aussi de bons conducteurs thermiques et électriques. Déjà utilisés dans les articles de sport (raquettes de tennis, cadres de vélo, skis, planches de surf, etc.), ils commencent à l'être dans l'automobile et l'aéronautique, à la fois pour alléger les structures et conduire ou au contraire dissiper l'électricité. Autres applications possibles : les composants électroniques, les textiles techniques, les pales d'éolienne, les cellules photovoltaïques organiques, les batteries, les filtres à eau ou à air, ou encore, grâce à leur structure creuse, le stockage de l'hydrogène. Encore une pastille de réglisse ?
Par le Monde
