À en croire les nouvelles estimations, les fossiles de T. rex dont nous disposons aujourd'hui seraient en fait d'une extrême rareté.
S'il vous prenait l'envie de voyager dans le temps pour visiter le Montana d'il y a 67 millions d'années, vous entreriez dans le royaume d'un véritable tyran : l'emblématique Tyrannosaurus rex. Avant de vous aventurer dans ce monde perdu, vous voudriez peut-être savoir à quelle distance se trouve, en moyenne, le T. rex le plus proche ?
Cela peut sembler impossible à déterminer, mais après avoir ratissé deux décennies de données sur le superprédateur, une étude est parvenue à estimer la densité de population de cet animal. En toute probabilité, le T. rex le plus proche se trouverait dans un rayon de 24 km… ou peut-être bien plus près.
L'étude en question, publiée dans la revue Science, se propose également de traduire ces densités de populations en estimations du nombre total de T. rex ayant vécu sur Terre. En moyenne, les chercheurs estiment qu'à toute période donnée il y aurait eu environ 20 000 T. rex, et que 127 000 générations de ces dinosaures se seraient succédé. Ces moyennes impliquent qu'un total de 2,5 milliards de T. rex aurait vécu à travers leur Amérique du Nord natale, de l'Alaska au Mexique, sur une période d'environ deux à trois millions d'années.
Ce n'est pas la première fois que des scientifiques tentent d'estimer le nombre de T. rex ayant foulé la surface terrestre. D'ailleurs, la densité de population moyenne établie dans ce nouvel article, environ un T. rex par 108 km², n'est pas si éloignée d'une précédente évaluation publiée en 1993. Cependant, la nouvelle étude a utilisé les dernières données biologiques relatives au T. rex pour tenter de déterminer avec précision les limites inférieures et supérieures de la population totale.
Après avoir exécuté plusieurs millions de simulations informatiques, chacune composée de variables légèrement différentes, l'étude a établi que le nombre total de T. rex devait être compris entre 140 millions, pour la limite basse, et 42 milliards, pour la limite haute, avec une moyenne située autour de 2,5 milliards. À une époque donnée, il y aurait eu entre 1 300 et 328 000 T. rex vivants, avec une moyenne de 20 000 spécimens.
« C'est vraiment fascinant de voir quelqu'un utiliser tout ce que l'on sait des T. rex pour essayer d'évaluer les dynamiques de leur population, » déclare Holly Woodward, paléontologue au sein de l'Oklahoma State University Center for Health Sciences qui n'a pas pris part à l'étude. « C'est intéressant et plutôt drôle que cela n'ait pas encore été fait à ce genre d'échelle. »
Au cours des vingt dernières années, les chercheurs ont multiplié les découvertes au sujet du T. rex, notamment leur durée de vie (environ 28 ans), l'âge de leur maturité sexuelle (vers 15,5 ans), ou encore leur poids (7 tonnes en moyenne). Ces données ont permis de calculer le temps de génération approximatif des T. rex, plus ou moins 19 ans, ainsi que leur masse corporelle moyenne au fil du temps.
Pour aboutir à l'estimation de la population de T. rex, les chercheurs ont exploité une théorie liant la masse corporelle et la densité de population chez les animaux vivants. En moyenne, lorsque la masse corporelle augmente d'un facteur 10, la densité diminue de plus de quatre cinquièmes, une tendance connue sous le nom de loi de Damuth.
Écologiste au sein de l'université de Californie à Santa Barbara, John Damuth a découvert cette relation en rassemblant trente années de données écologiques sur les mammifères vivants. Cela dit, la loi de Damuth n'est pas infaillible, car il y a une grande diversité d'habitats et de modes de vie chez les animaux. Par exemple, les hyènes tachetées et les jaguars ont une masse corporelle similaire, tous deux sont des prédateurs, mais la densité de population des hyènes est 50 fois supérieure à celle des jaguars.
Appliquée et adaptée au T. rex qui n'est pas un mammifère, la loi de Damuth a permis d'aboutir à un total situé entre 140 millions et 42 milliards de représentants.
« En paléontologie, les estimations sont complexes. Au lieu de me concentrer sur l'estimation, j'ai préféré l'encadrer. Est-il possible de fixer des limites basses et hautes solides pour cette valeur ? » explique l'auteur principal de l'étude, Charles Marshall, paléontologue au sein de l'université de Californie à Berkeley.
Outre la meilleure appréciation du nombre de ces prédateurs éléphantesques, Marshall et son équipe ont pu extraire de ces données une estimation de la fréquence de formation des fossiles. La question était de savoir si les chances de fossilisation d'un T. rex pouvaient être quantifiées de la même façon, par exemple, que le risque d'être frappé par la foudre.
À ce jour, il y a environ une centaine de spécimens connus de T. rex, mais 40 % d'entre eux relèvent de la propriété privée ou commerciale et ne peuvent être étudiés de façon fiable. C'est pourquoi l'équipe de Marshall n'a comptabilisé que 32 fossiles de T. rex post-juvéniles pour cette étude, ceux détenus par des institutions publiques.
Si l'ensemble des 2,5 milliards de T. rex n'a produit que ces 32 fossiles, alors la fossilisation ne concernerait que 1 T. rex sur 80 millions. Même en admettant que ce pourcentage soit plus élevé et que nous n'ayons pas encore trouvé la totalité des fossiles, une probabilité aussi faible montre bien à quel point il est rare, pour une carcasse, de se retrouver ensevelie assez rapidement et dans les bonnes conditions chimiques pour se minéraliser et produire un fossile. « Si les T. rex étaient mille fois moins abondants, 2,5 millions au lieu de 2,5 milliards, nous n'aurions peut-être jamais retrouvé leur trace, » illustre Marshall.
La méthode mise au point par Marshall et son équipe de chercheurs pourrait être appliquée à d'autres créatures disparues. Parmi les dinosaures, les chercheurs évoquent notamment un herbivore du Crétacé, Maiasaura, connu d'après les centaines de spécimens découverts, allant du nouveau-né à l'adulte.
Pour Woodward, l'une des conclusions les plus fascinantes de l'étude n'est autre que l'extrême rareté des fossiles. Si ces proportions valent également pour des espèces autres que le T. rex, les chercheurs pourraient estimer le nombre d'espèces de dinosaures qui ne se sont tout simplement jamais fossilisées et ont donc été effacées par le temps. « Être en mesure d'évaluer nos lacunes est aussi important que de savoir ce dont nous disposons, » conclut-elle.
Michael Greshko
National Geographic
S'il vous prenait l'envie de voyager dans le temps pour visiter le Montana d'il y a 67 millions d'années, vous entreriez dans le royaume d'un véritable tyran : l'emblématique Tyrannosaurus rex. Avant de vous aventurer dans ce monde perdu, vous voudriez peut-être savoir à quelle distance se trouve, en moyenne, le T. rex le plus proche ?
Cela peut sembler impossible à déterminer, mais après avoir ratissé deux décennies de données sur le superprédateur, une étude est parvenue à estimer la densité de population de cet animal. En toute probabilité, le T. rex le plus proche se trouverait dans un rayon de 24 km… ou peut-être bien plus près.
L'étude en question, publiée dans la revue Science, se propose également de traduire ces densités de populations en estimations du nombre total de T. rex ayant vécu sur Terre. En moyenne, les chercheurs estiment qu'à toute période donnée il y aurait eu environ 20 000 T. rex, et que 127 000 générations de ces dinosaures se seraient succédé. Ces moyennes impliquent qu'un total de 2,5 milliards de T. rex aurait vécu à travers leur Amérique du Nord natale, de l'Alaska au Mexique, sur une période d'environ deux à trois millions d'années.
Ce n'est pas la première fois que des scientifiques tentent d'estimer le nombre de T. rex ayant foulé la surface terrestre. D'ailleurs, la densité de population moyenne établie dans ce nouvel article, environ un T. rex par 108 km², n'est pas si éloignée d'une précédente évaluation publiée en 1993. Cependant, la nouvelle étude a utilisé les dernières données biologiques relatives au T. rex pour tenter de déterminer avec précision les limites inférieures et supérieures de la population totale.
Après avoir exécuté plusieurs millions de simulations informatiques, chacune composée de variables légèrement différentes, l'étude a établi que le nombre total de T. rex devait être compris entre 140 millions, pour la limite basse, et 42 milliards, pour la limite haute, avec une moyenne située autour de 2,5 milliards. À une époque donnée, il y aurait eu entre 1 300 et 328 000 T. rex vivants, avec une moyenne de 20 000 spécimens.
« C'est vraiment fascinant de voir quelqu'un utiliser tout ce que l'on sait des T. rex pour essayer d'évaluer les dynamiques de leur population, » déclare Holly Woodward, paléontologue au sein de l'Oklahoma State University Center for Health Sciences qui n'a pas pris part à l'étude. « C'est intéressant et plutôt drôle que cela n'ait pas encore été fait à ce genre d'échelle. »
Au cours des vingt dernières années, les chercheurs ont multiplié les découvertes au sujet du T. rex, notamment leur durée de vie (environ 28 ans), l'âge de leur maturité sexuelle (vers 15,5 ans), ou encore leur poids (7 tonnes en moyenne). Ces données ont permis de calculer le temps de génération approximatif des T. rex, plus ou moins 19 ans, ainsi que leur masse corporelle moyenne au fil du temps.
Pour aboutir à l'estimation de la population de T. rex, les chercheurs ont exploité une théorie liant la masse corporelle et la densité de population chez les animaux vivants. En moyenne, lorsque la masse corporelle augmente d'un facteur 10, la densité diminue de plus de quatre cinquièmes, une tendance connue sous le nom de loi de Damuth.
Écologiste au sein de l'université de Californie à Santa Barbara, John Damuth a découvert cette relation en rassemblant trente années de données écologiques sur les mammifères vivants. Cela dit, la loi de Damuth n'est pas infaillible, car il y a une grande diversité d'habitats et de modes de vie chez les animaux. Par exemple, les hyènes tachetées et les jaguars ont une masse corporelle similaire, tous deux sont des prédateurs, mais la densité de population des hyènes est 50 fois supérieure à celle des jaguars.
Appliquée et adaptée au T. rex qui n'est pas un mammifère, la loi de Damuth a permis d'aboutir à un total situé entre 140 millions et 42 milliards de représentants.
« En paléontologie, les estimations sont complexes. Au lieu de me concentrer sur l'estimation, j'ai préféré l'encadrer. Est-il possible de fixer des limites basses et hautes solides pour cette valeur ? » explique l'auteur principal de l'étude, Charles Marshall, paléontologue au sein de l'université de Californie à Berkeley.
Outre la meilleure appréciation du nombre de ces prédateurs éléphantesques, Marshall et son équipe ont pu extraire de ces données une estimation de la fréquence de formation des fossiles. La question était de savoir si les chances de fossilisation d'un T. rex pouvaient être quantifiées de la même façon, par exemple, que le risque d'être frappé par la foudre.
À ce jour, il y a environ une centaine de spécimens connus de T. rex, mais 40 % d'entre eux relèvent de la propriété privée ou commerciale et ne peuvent être étudiés de façon fiable. C'est pourquoi l'équipe de Marshall n'a comptabilisé que 32 fossiles de T. rex post-juvéniles pour cette étude, ceux détenus par des institutions publiques.
Si l'ensemble des 2,5 milliards de T. rex n'a produit que ces 32 fossiles, alors la fossilisation ne concernerait que 1 T. rex sur 80 millions. Même en admettant que ce pourcentage soit plus élevé et que nous n'ayons pas encore trouvé la totalité des fossiles, une probabilité aussi faible montre bien à quel point il est rare, pour une carcasse, de se retrouver ensevelie assez rapidement et dans les bonnes conditions chimiques pour se minéraliser et produire un fossile. « Si les T. rex étaient mille fois moins abondants, 2,5 millions au lieu de 2,5 milliards, nous n'aurions peut-être jamais retrouvé leur trace, » illustre Marshall.
La méthode mise au point par Marshall et son équipe de chercheurs pourrait être appliquée à d'autres créatures disparues. Parmi les dinosaures, les chercheurs évoquent notamment un herbivore du Crétacé, Maiasaura, connu d'après les centaines de spécimens découverts, allant du nouveau-né à l'adulte.
Pour Woodward, l'une des conclusions les plus fascinantes de l'étude n'est autre que l'extrême rareté des fossiles. Si ces proportions valent également pour des espèces autres que le T. rex, les chercheurs pourraient estimer le nombre d'espèces de dinosaures qui ne se sont tout simplement jamais fossilisées et ont donc été effacées par le temps. « Être en mesure d'évaluer nos lacunes est aussi important que de savoir ce dont nous disposons, » conclut-elle.
Michael Greshko
National Geographic