L'élection présidentielle algérienne est présentée comme sans réelle surprise, la participation étant considérée comme le seul enjeu de la présidentielle. Mais concrètement, qu'est-ce qu'une grosse abstention pourrait faire changer ?
- Dans l'éventualité d'une grosse abstention, le président qui sera élu aura un problème de légitimité et sera handicapé pour la suite de son parcours. L'abstention massive sanctionne à la fois la personne qui sera élue, mais également la politique du pouvoir, qui sera discréditée.
Abdelaziz Bouteflika avait été "mal élu" en 1999 et en 2004. Mais il a réussi à s'en tirer par une pirouette politique. Ainsi, en 2005, il organise quelques mois après son élection un référendum pour faire adopter un ensemble de mesures dont le but est de restaurer la paix civile en Algérie -La Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Cela lui redonne une force politique.
A l'heure où je vous parle, les gens sont en train de voter. D'après plusieurs correspondants que j'ai joint, dans certaines régions le vote est même massif. Par exemple, en Kabylie, région pourtant qualifiée de rebelle, le taux de participation est de 11%, selon notre journaliste présent sur place. Pour qui connaît la Kabylie, réputée pour bouder les élections, c'est une participation importante. Nous avons les mêmes relevés pour les plupart des autres préfectures, à part la préfecture de Bouira, où des incidents ont eu lieu et des urnes ont été incendiées.
Nous ne nous faisons pas d'illusions : Bouteflika l'emportera. Pendant la campagne électorale, il a mis en place une machine électorale très efficace, il a occupé tout l'espace médiatique. Le seul enjeu reste donc la participation, et d'après nos observations pour le moment, il semble qu'elle soit importante.
Justement, quel est le sentiment de la population face à ce scrutin, et plus généralement face à Bouteflika ? On la présentait plutôt comme désintéressée et désabusée…
- Ayant eu l'occasion de couvrir plusieurs élections en Algérie, je sais que l'électorat est très versatile. Cette fois-ci, il se comporte autrement que ce à quoi on aurait pu s'attendre. On pensait que la misère sociale, la dégringolade du pouvoir d'achat, le discrédit des politiques allaient influer. Cela défie toute logique mais il semble que le comportement dans le bureau de vote soit à distinguer de la réalité de la vie. Car, je le répète, les gens sont bien en train d'aller voter, massivement dans certaines régions, malgré les appels au boycott.
En 1999 et 2004, Abdelaziz Bouteflika avait été présenté comme un président "mal élu". Ce scrutin de 2009 pourrait donc être un véritable plébiscite. Aura-t-il plus de pouvoirs qu'avant ? On pense à la récente réforme de la Constitution...
- Si Abdelaziz Bouteflika est élu à une large majorité, il sera beaucoup plus à l'aise pour gouverner. Durant son premier mandat, il s'est employé à ramasser le pouvoir, en plaçant ses hommes à tous les postes-clé, dans l'administration et dans l'armée. Il a consolidé tout ce réseau pendant son deuxième mandat. Dans les médias, dans la vie publique, il n'y a plus de voix discordantes. Aujourd'hui, c'est quelqu'un qui contrôle l'essentiel du pouvoir, même si certaines institutions, comme l'armée, gardent un avis qui compte.
Donc si Bouteflika est bien élu, il renforcera son pouvoir, il mènera à terme les projets qui lui tiennent à cœur : sa grande autoroute est/ouest, ses projets de tramway, de construction, de politique pour l'emploi. Il a aussi parlé d'une amnistie générale, qui ferait suite à sa Charte pour la paix et la réconciliation nationale, et qu'il présente comme une mesure qui pourrait aider à ramener la paix dans le pays. Durant sa campagne, il a fait beaucoup de promesses. Il va devoir les tenir car il y a une attente énorme de la population.
En outre, la réforme de la constitution qui a été votée le 12 novembre dernier, lui accorde des pouvoirs exorbitants. Il ramasse l'essentiel des pouvoirs : nous sommes pratiquement dans un méga-régime présidentiel, où le Parlement est réduit à une chambre d'enregistrement. Bouteflika s'est toujours plaint de ne pas posséder tous les leviers pour agir. Maintenant, il va les avoir. S'il ne fait rien, c'est qu'il n'en a pas la volonté..
Y a-t-il cependant des mouvements ou des faits qui peuvent donner espoir au pays de plus de démocratie ?
- Du côté des médias, tout le champ audiovisuel public est complètement fermé. C'est dommage, car la télévision gagnerait à s'ouvrir sur la société et la réalité dont elle est complètement coupée.
En revanche, la presse privée algérienne est l'une des plus libres du monde arabe. On a coutume de dire qu'on a très peu entendu les autres candidats au pouvoir pendant cette campagne présidentielle. Mais les journaux privés, ont pris soin de retranscrire le discours de ces candidats.
En tant que rédacteur en chef d'un journal indépendant, j'ai toujours fait en sorte qu'il y ait un traitement équitable des candidats. Mais nous refusons aussi d'être complaisants, et il faut reconnaître que les candidats qui s'étaient présentés contre Bouteflika, hormis Louisa Hanoun, ne se montrent que durant les élections. Ils sont souvent appelés "les saisonniers de la politique", parce que d'ici trois mois, plus personne n'entendra parler d'eux.
Aujourd'hui, le véritable espoir, la voix discordante, est porté par les syndicats autonomes, qui sont libres. Par exemple en ce moment, les médecins généralistes sont en grève depuis trois mois, et se battent, se font entendre. C'est une chose que les politiques font de moins en moins. Ce rétrécissement des champs politique et médiatiques est dommage, car il y a un combat à mener. Il y a encore une marge de manœuvre, mais qui n'est pas occupée. Il y a une forte demande sociale qui ne demande qu'à être canalisée mais personne ne la prend en charge.
Comment-expliquez vous que cette élection présidentielle soit aussi peu abordée par les politiques français, malgré les liens qui unissent la France et l'Algérie ?
- En effet, la France et l'Algérie ont des rapports politiques, commerciaux et humains très étroits. Mais cette prise de distance ne m'étonne pas vraiment. Les Algériens ne se sont jamais vraiment intéressés à la politique intérieure française, et inversement, hormis quelques déclarations par porte-parole des Affaires étrangères interposés. Fondamentalement, il n'y a jamais de "parasitage" lors d'une élection. Le Quai d'Orsay se contente de souhaiter dans un communiqué que les élections soient "transparentes" et se "déroulent sans incidents". Chacun prend soin de montrer qu'il ne sort pas de son rôle.
Interview de Zine Cherfaoui par Sibylle Laurent
(le jeudi 9 avril 2009)
Nouvelle observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/actua..._en_masse.html
- Dans l'éventualité d'une grosse abstention, le président qui sera élu aura un problème de légitimité et sera handicapé pour la suite de son parcours. L'abstention massive sanctionne à la fois la personne qui sera élue, mais également la politique du pouvoir, qui sera discréditée.
Abdelaziz Bouteflika avait été "mal élu" en 1999 et en 2004. Mais il a réussi à s'en tirer par une pirouette politique. Ainsi, en 2005, il organise quelques mois après son élection un référendum pour faire adopter un ensemble de mesures dont le but est de restaurer la paix civile en Algérie -La Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Cela lui redonne une force politique.
A l'heure où je vous parle, les gens sont en train de voter. D'après plusieurs correspondants que j'ai joint, dans certaines régions le vote est même massif. Par exemple, en Kabylie, région pourtant qualifiée de rebelle, le taux de participation est de 11%, selon notre journaliste présent sur place. Pour qui connaît la Kabylie, réputée pour bouder les élections, c'est une participation importante. Nous avons les mêmes relevés pour les plupart des autres préfectures, à part la préfecture de Bouira, où des incidents ont eu lieu et des urnes ont été incendiées.
Nous ne nous faisons pas d'illusions : Bouteflika l'emportera. Pendant la campagne électorale, il a mis en place une machine électorale très efficace, il a occupé tout l'espace médiatique. Le seul enjeu reste donc la participation, et d'après nos observations pour le moment, il semble qu'elle soit importante.
Justement, quel est le sentiment de la population face à ce scrutin, et plus généralement face à Bouteflika ? On la présentait plutôt comme désintéressée et désabusée…
- Ayant eu l'occasion de couvrir plusieurs élections en Algérie, je sais que l'électorat est très versatile. Cette fois-ci, il se comporte autrement que ce à quoi on aurait pu s'attendre. On pensait que la misère sociale, la dégringolade du pouvoir d'achat, le discrédit des politiques allaient influer. Cela défie toute logique mais il semble que le comportement dans le bureau de vote soit à distinguer de la réalité de la vie. Car, je le répète, les gens sont bien en train d'aller voter, massivement dans certaines régions, malgré les appels au boycott.
En 1999 et 2004, Abdelaziz Bouteflika avait été présenté comme un président "mal élu". Ce scrutin de 2009 pourrait donc être un véritable plébiscite. Aura-t-il plus de pouvoirs qu'avant ? On pense à la récente réforme de la Constitution...
- Si Abdelaziz Bouteflika est élu à une large majorité, il sera beaucoup plus à l'aise pour gouverner. Durant son premier mandat, il s'est employé à ramasser le pouvoir, en plaçant ses hommes à tous les postes-clé, dans l'administration et dans l'armée. Il a consolidé tout ce réseau pendant son deuxième mandat. Dans les médias, dans la vie publique, il n'y a plus de voix discordantes. Aujourd'hui, c'est quelqu'un qui contrôle l'essentiel du pouvoir, même si certaines institutions, comme l'armée, gardent un avis qui compte.
Donc si Bouteflika est bien élu, il renforcera son pouvoir, il mènera à terme les projets qui lui tiennent à cœur : sa grande autoroute est/ouest, ses projets de tramway, de construction, de politique pour l'emploi. Il a aussi parlé d'une amnistie générale, qui ferait suite à sa Charte pour la paix et la réconciliation nationale, et qu'il présente comme une mesure qui pourrait aider à ramener la paix dans le pays. Durant sa campagne, il a fait beaucoup de promesses. Il va devoir les tenir car il y a une attente énorme de la population.
En outre, la réforme de la constitution qui a été votée le 12 novembre dernier, lui accorde des pouvoirs exorbitants. Il ramasse l'essentiel des pouvoirs : nous sommes pratiquement dans un méga-régime présidentiel, où le Parlement est réduit à une chambre d'enregistrement. Bouteflika s'est toujours plaint de ne pas posséder tous les leviers pour agir. Maintenant, il va les avoir. S'il ne fait rien, c'est qu'il n'en a pas la volonté..
Y a-t-il cependant des mouvements ou des faits qui peuvent donner espoir au pays de plus de démocratie ?
- Du côté des médias, tout le champ audiovisuel public est complètement fermé. C'est dommage, car la télévision gagnerait à s'ouvrir sur la société et la réalité dont elle est complètement coupée.
En revanche, la presse privée algérienne est l'une des plus libres du monde arabe. On a coutume de dire qu'on a très peu entendu les autres candidats au pouvoir pendant cette campagne présidentielle. Mais les journaux privés, ont pris soin de retranscrire le discours de ces candidats.
En tant que rédacteur en chef d'un journal indépendant, j'ai toujours fait en sorte qu'il y ait un traitement équitable des candidats. Mais nous refusons aussi d'être complaisants, et il faut reconnaître que les candidats qui s'étaient présentés contre Bouteflika, hormis Louisa Hanoun, ne se montrent que durant les élections. Ils sont souvent appelés "les saisonniers de la politique", parce que d'ici trois mois, plus personne n'entendra parler d'eux.
Aujourd'hui, le véritable espoir, la voix discordante, est porté par les syndicats autonomes, qui sont libres. Par exemple en ce moment, les médecins généralistes sont en grève depuis trois mois, et se battent, se font entendre. C'est une chose que les politiques font de moins en moins. Ce rétrécissement des champs politique et médiatiques est dommage, car il y a un combat à mener. Il y a encore une marge de manœuvre, mais qui n'est pas occupée. Il y a une forte demande sociale qui ne demande qu'à être canalisée mais personne ne la prend en charge.
Comment-expliquez vous que cette élection présidentielle soit aussi peu abordée par les politiques français, malgré les liens qui unissent la France et l'Algérie ?
- En effet, la France et l'Algérie ont des rapports politiques, commerciaux et humains très étroits. Mais cette prise de distance ne m'étonne pas vraiment. Les Algériens ne se sont jamais vraiment intéressés à la politique intérieure française, et inversement, hormis quelques déclarations par porte-parole des Affaires étrangères interposés. Fondamentalement, il n'y a jamais de "parasitage" lors d'une élection. Le Quai d'Orsay se contente de souhaiter dans un communiqué que les élections soient "transparentes" et se "déroulent sans incidents". Chacun prend soin de montrer qu'il ne sort pas de son rôle.
Interview de Zine Cherfaoui par Sibylle Laurent
(le jeudi 9 avril 2009)
Nouvelle observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/actua..._en_masse.html
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