« J'étais assis sous le porche de la maison, à Vanavara, à l'heure du petit déjeuner. J'étais tourné vers le nord, occupé à cercler des tonneaux. Au moment où je levai ma cognée (...) le ciel s'ouvrit en deux, et très haut au-dessus de la forêt, au nord, le ciel entier parut brûler. Je sentis alors une chaleur intense, comme si ma chemise était en flammes. (...) J'essayai de l'enlever pour la jeter plus loin quand une explosion retentit dans le ciel, suivie d'un long et puissant fracas. Je fus projeté sur le sol à plusieurs mètres du porche et perdis conscience pendant quelques instants. (...) Après l'explosion, on entendit comme des pierres tomber du ciel, ou des coups de feu. La terre trembla (...). Au moment où le ciel s'ouvrit, un vent chaud, comme sortant de la bouche d'un canon, souffla sur le village. »
Ce témoignage n'évoque pas la pluie de météorites qui s'est abattue, ce vendredi 15 février sur la région de Tcheliabinsk, dans le centre de la Russie, et dont l'onde de choc a fait un millier de blessés. Non. L'événement qui est décrit ici s'est aussi produit en Russie mais c'était il y a près de cent cinq ans. Le 30 juin 1908, un peu après 7 heures du matin, un bolide céleste explose dans l'atmosphère au-dessus de la Toungouska, en Sibérie. Si la bourgade de Vanavara ne compte alors que quelques blessés, c'est surtout parce qu'elle se situe à une centaine de kilomètres de là.
Comme je l'ai écrit dans Le Monde en 1998, pour le 90e anniversaire de ce cataclysme sans victime, et comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, la taïga toungouze a eu nettement moins de chance : "20 000 hectares de végétation réduits en cendres, des arbres abattus sur 2 150 km², alignés sur le sol comme des allumettes. Le bruit de la déflagration se fit entendre à 800 kilomètres de là. Encore plus loin, à l'observatoire d'Irkoutsk, des perturbations du champ magnétique terrestre furent enregistrées. Le sismographe de Saint-Pétersbourg nota une sorte de tremblement de terre. Pendant deux jours, l'atmosphère en Russie et jusque dans l'ouest de l'Europe fut remplie d'une fine poussière qui diffusait assez de lumière pour que l'on puisse lire le journal dans la rue en pleine nuit..."
Pendant plusieurs années, on ignore ce qui s'est exactement passé, ce 30 juin 1908, au-dessus de la Toungouska. Il faut attendre 1927 pour qu'une expédition scientifique emmenée par le Russe Léonide Kulik se rende enfin sur place, au milieu de nulle part. Protégés de milliards de moustiques par des gants et des voilettes d'apiculteurs, les chercheurs traversent une centaine de kilomètres de tourbières et de forêts avant d'arriver au point zéro. Ils savent, d'après les témoignages, qu'un corps céleste est impliqué dans l'affaire mais ils ont la surprise de n'en rien découvrir, pas même un cratère d'impact. L'objet, chauffé à blanc, s'est désintégré dans l'atmosphère à plusieurs kilomètres d'altitude. On a estimé depuis que l'explosion a été environ mille fois plus puissante que celle de la bombe atomique d'Hiroshima. En revanche, on ignore si le bolide en question était un petit noyau cométaire ou bien un astéroïde et le débat entre astronomes se poursuit encore aujourd'hui.
A ce jour, l'événement de la Toungouska reste le plus important cas de collision avec un vagabond de l'espace de l'Histoire (bien sûr, d'autres chutes plus importantes de météorites ont eu lieu par le passé, mais aucun humain n'en a laissé de témoignage). Ce n'est cependant qu'à la fin du XXe siècle que l'on a vraiment pris conscience du danger que représentent ce que les chercheurs appellent les "géocroiseurs", c'est-à-dire les petits astres dont la trajectoire frôle ou croise celle de la Terre. Aujourd'hui, plusieurs programmes de recherche travaillent pour faire la liste de ces objets, à commencer par les plus gros, les astéroïdes de plusieurs centaines de mètres ou de plusieurs kilomètres de diamètre, qui sont aussi les plus dangereux puisque capables de détruire notre civilisation. On estime connaître plus de 90 % d'entre eux.
Mais des astéroïdes plus modestes, comme celui qui s'est désintégré au-dessus de la Toungouska, s'avèrent nettement plus nombreux et plus difficiles à détecter. Il arrive même qu'on ne les repère qu'après leur passage près de notre planète. Certes ils ne provoqueront pas la disparition de l'humanité si jamais ils entrent en collision avec la Terre mais, d'un autre côté, on imagine très bien les dégâts monstrueux qu'une explosion semblable à celle qui s'est produite en 1908 ferait au-dessus d'une zone densément peuplée. C'est pour cette raison que la fondation américaine B612 (du nom de l'astéroïde du Petit Prince) a le projet de lancer une mission spatiale censée dresser un catalogue de ces astéroïdes, pour les trouver, dit-elle, "avant qu'ils ne nous trouvent". Si les financements sont au rendez-vous, elle partira avant la fin de la décennie et aura pour nom Sentinelle.
Pierre Barthélémy
le monde
Ce témoignage n'évoque pas la pluie de météorites qui s'est abattue, ce vendredi 15 février sur la région de Tcheliabinsk, dans le centre de la Russie, et dont l'onde de choc a fait un millier de blessés. Non. L'événement qui est décrit ici s'est aussi produit en Russie mais c'était il y a près de cent cinq ans. Le 30 juin 1908, un peu après 7 heures du matin, un bolide céleste explose dans l'atmosphère au-dessus de la Toungouska, en Sibérie. Si la bourgade de Vanavara ne compte alors que quelques blessés, c'est surtout parce qu'elle se situe à une centaine de kilomètres de là.
Comme je l'ai écrit dans Le Monde en 1998, pour le 90e anniversaire de ce cataclysme sans victime, et comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, la taïga toungouze a eu nettement moins de chance : "20 000 hectares de végétation réduits en cendres, des arbres abattus sur 2 150 km², alignés sur le sol comme des allumettes. Le bruit de la déflagration se fit entendre à 800 kilomètres de là. Encore plus loin, à l'observatoire d'Irkoutsk, des perturbations du champ magnétique terrestre furent enregistrées. Le sismographe de Saint-Pétersbourg nota une sorte de tremblement de terre. Pendant deux jours, l'atmosphère en Russie et jusque dans l'ouest de l'Europe fut remplie d'une fine poussière qui diffusait assez de lumière pour que l'on puisse lire le journal dans la rue en pleine nuit..."
Pendant plusieurs années, on ignore ce qui s'est exactement passé, ce 30 juin 1908, au-dessus de la Toungouska. Il faut attendre 1927 pour qu'une expédition scientifique emmenée par le Russe Léonide Kulik se rende enfin sur place, au milieu de nulle part. Protégés de milliards de moustiques par des gants et des voilettes d'apiculteurs, les chercheurs traversent une centaine de kilomètres de tourbières et de forêts avant d'arriver au point zéro. Ils savent, d'après les témoignages, qu'un corps céleste est impliqué dans l'affaire mais ils ont la surprise de n'en rien découvrir, pas même un cratère d'impact. L'objet, chauffé à blanc, s'est désintégré dans l'atmosphère à plusieurs kilomètres d'altitude. On a estimé depuis que l'explosion a été environ mille fois plus puissante que celle de la bombe atomique d'Hiroshima. En revanche, on ignore si le bolide en question était un petit noyau cométaire ou bien un astéroïde et le débat entre astronomes se poursuit encore aujourd'hui.
A ce jour, l'événement de la Toungouska reste le plus important cas de collision avec un vagabond de l'espace de l'Histoire (bien sûr, d'autres chutes plus importantes de météorites ont eu lieu par le passé, mais aucun humain n'en a laissé de témoignage). Ce n'est cependant qu'à la fin du XXe siècle que l'on a vraiment pris conscience du danger que représentent ce que les chercheurs appellent les "géocroiseurs", c'est-à-dire les petits astres dont la trajectoire frôle ou croise celle de la Terre. Aujourd'hui, plusieurs programmes de recherche travaillent pour faire la liste de ces objets, à commencer par les plus gros, les astéroïdes de plusieurs centaines de mètres ou de plusieurs kilomètres de diamètre, qui sont aussi les plus dangereux puisque capables de détruire notre civilisation. On estime connaître plus de 90 % d'entre eux.
Mais des astéroïdes plus modestes, comme celui qui s'est désintégré au-dessus de la Toungouska, s'avèrent nettement plus nombreux et plus difficiles à détecter. Il arrive même qu'on ne les repère qu'après leur passage près de notre planète. Certes ils ne provoqueront pas la disparition de l'humanité si jamais ils entrent en collision avec la Terre mais, d'un autre côté, on imagine très bien les dégâts monstrueux qu'une explosion semblable à celle qui s'est produite en 1908 ferait au-dessus d'une zone densément peuplée. C'est pour cette raison que la fondation américaine B612 (du nom de l'astéroïde du Petit Prince) a le projet de lancer une mission spatiale censée dresser un catalogue de ces astéroïdes, pour les trouver, dit-elle, "avant qu'ils ne nous trouvent". Si les financements sont au rendez-vous, elle partira avant la fin de la décennie et aura pour nom Sentinelle.
Pierre Barthélémy
le monde