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Cerveau, mensonge et antiterrorisme

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    Neurosciences sans conscience ?


    L’avenir de la lutte antiterroriste passerait-il par les neuro-sciences ? Effet de mode comme le « cyber » ou véritable révolution scientifique et culturelle, le préfixe « neuro » ajouté au nom d’une discipline lui confère instantanément du crédit au sein de l’opinion publique. A l’heure où plusieurs pays européens débattent de leurs projets de lois antiterroristes, les questions d’efficacité sur le terrain, mais aussi d’éthique, sont plus que jamais d’actualité.


    Les attentats perpétrés en Europe et en Asie au cours des deux dernières années ont rappelé à tous que nul continent, nul pays, nulle institution n’est à l’abri de tels actes de barbarie. En France, avant de dévoiler son projet de loi antiterroriste en conseil des ministres le 26 octobre 2005 (projet débattu en urgence depuis le 22 novembre), le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy affirmait que « la première liberté, c’est de pouvoir prendre le métro et le bus sans craindre pour sa vie (1) ». La référence aux attentats qui ont touché Londres le 7 juillet 2005 est sans équivoque.

    Au nom d’une lutte efficace contre le terrorisme, le gouvernement français compte systématiser l’utilisation des dernières avancées technologiques et scientifiques. Le but avoué est d’assister les autorités dans le contrôle des déplacements, des grands réseaux de communication ainsi que des espaces publics et privés.

    Ces mesures font écho au récent accord – d’un montant total de 1,2 million d’euros – conclu entre l’exécutif britannique et un grand opérateur de téléphonie mobile autorisant le stockage de données relatives aux communications pour une durée de un an (2). Il s’agit d’offrir aux autorités un accès plus rapide à des informations de meilleure qualité, comme cela se fait aux Etats-Unis depuis la promulgation du Patriot Act au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 (3).

    En Grande-Bretagne, afin de prévenir d’autres attaques, plusieurs millions de caméras filment désormais les faits et gestes de la population dans les lieux publics. La sécurité nationale justifie- t-elle de tels enregistrements ? L’opinion publique britannique semble partagée. Certes, ces caméras ont joué un rôle indéniable dans l’enquête de juillet dernier, qui a rapidement abouti à l’identification des poseurs de bombes présumés. Leur utilisation n’a cependant pas pu empêcher le drame de se produire. A priori, rien ne remplace l’œil humain pour détecter un comportement suspect.

    Décrypter et lire la pensée
    A priori seulement, car des techniques automatisées de traitement de l’information sont en cours de développement afin d’optimiser la lutte antiterroriste. Pilotées par des logiciels d’identification sophistiqués, de nouvelles caméras dites « intelligentes » en sont la parfaite illustration. Fruit de la collaboration avec des spécialistes des sciences du mouvement humain et des neurosciences comportementales, elles permettent de détecter très rapidement un comportement individuel inhabituel ou un regroupement suspect.

    En dépit des atteintes aux libertés individuelles, la Grande-Bretagne et la France font donc la part belle au stockage de données biométriques et à l’analyse comportementale in situ. Ces techniques font aussi partie de l’arsenal antiterroriste américain, mais il semble que les Etats-Unis s’orientent, en parallèle, vers un tout autre sujet d’observation et de surveillance : le cerveau. En effet, si l’on en croit un article paru récemment dans la prestigieuse revue scientifique Nature, il serait désormais possible d’utiliser l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) dans le cadre de la lutte contre la criminalité (4). Des chercheurs de l’université de Pennsylvanie, à Philadelphie, seraient parvenus à identifier une trace cérébrale du mensonge. Cette étude, dont les résultats complets seront publiés le mois prochain, a été financée par la Defense Advanced Projects Agency de l’armée américaine (5).

    La méthode utilisée consiste à demander à des sujets de mentir (ou non) sur la possession d’une carte à jouer. On compare alors l’activité cérébrale développée lorsqu’un individu ment à celle constatée quand il dit la vérité. L’extrapolation rapide de cette expérience réalisée en laboratoire à des situations de terrain – qui plus est dans le cadre de la lutte antiterroriste – paraît néanmoins fort discutable à plusieurs niveaux.

    D’un point de vue pragmatique, tout d’abord : une condition sine qua non dans une étude en imagerie cérébrale fonctionnelle est l’immobilité de la tête du sujet. Un mouvement du crâne de l’ordre de deux millimètres seulement pourrait suffire à compromettre l’exploitation des données. De fait, comment pourrait-on empêcher un suspect en possession d’une telle information de bouger la tête, sachant qu’il doit être conscient pour répondre aux questions sur son éventuelle appartenance à une organisation terroriste ?

    D’un point de vue scientifique, ensuite : les résultats rapportés dans Nature font état d’une sollicitation accrue du lobe frontal lorsqu’un individu ment. Or le fonctionnement en réseau du cerveau rend impossible tout lien univoque entre l’activité d’une aire donnée et un comportement volontaire complexe.

    Ainsi, le lobe frontal du cerveau humain est aussi activé lors de nombreuses autres tâches de réflexion, comme celles impliquant la mémoire ou la sélection de réponse. En théorie, il pourrait donc suffire à une personne, alors qu’elle répond à l’interrogatoire, de réaliser une de ces tâches pour solliciter, entre autres parties du cerveau, le lobe frontal. Par là même, elle pourrait potentiellement faire disparaître le contraste d’activité cérébrale entre mensonge et vérité qui constitue le cœur de la méthode de détection du mensonge telle qu’elle est proposée.

    Enfin – et peut-être est-ce la faiblesse majeure de l’édifice –, en dépit d’une fiabilité de détection du mensonge annoncée de 99 %, questionner une personne sur son appartenance à une organisation terroriste reste une approche par trop simpliste. En effet, nombre d’études sociopolitiques ont démontré que les terroristes ne se perçoivent pas comme tels. La transposition de la méthode, dans son application concrète, pose donc un véritable problème de fond : si le suspect lui-même ne se considère pas comme terroriste, comment savoir s’il ment ou non ? En d’autres termes, quel est son référentiel ? Et, par conséquent, quel devrait être celui de l’enquêteur ?

    La qualité des images du cerveau en activité peut laisser supposer que la compréhension de son fonctionnement est aisée. Il s’en faut. Ceci n’est qu’une illusion largement véhiculée par les médias. Car, si l’une des clés du comportement humain réside effectivement dans le cerveau, le rôle de l’interaction avec l’environnement politico-historique, physique et social reste capital.

    De fait, l’analyse ex nihilo rapportée par Nature ne peut être aussi facilement généralisée à une situation de la vie courante, fût-ce dans le cadre de la lutte antiterroriste. Il n’en demeure pas moins que, depuis 2001, une quinzaine d’articles axés sur des protocoles similaires de détection de mensonge assistée par la neuro-imagerie ont été publiés dans des revues scientifiques internationalement réputées.

    Décrypter et lire directement la pensée, la mémoire ou les intentions d’un individu en enregistrant son activité cérébrale relève pour le moment plus de la science-fiction que de la réalité. Pourtant, dès le premier trimestre 2006, une entreprise américaine proposera au grand public un service payant de détection de mensonge basé sur les études précédemment citées, en collaboration avec des chercheurs de l’université médicale de Caroline du Sud.

    Un proverbe oriental dit que la science chasse l’ignorance, mais qu’elle ne chasse pas un esprit mal tourné. L’histoire regorge en effet de détournements de découvertes et de techniques, scientifiquement validées ou non. Les neurosciences ne devraient malheureusement pas faire exception à cette triste règle. Une récente étude publiée dans le très respecté British Journal of Psychiatry (6) proclame qu’il existe une différence physique entre le cerveau des menteurs chroniques et celui des personnes dites « normales ». Gageons que de telles affirmations n’aideront pas à endiguer les dérives. Bien au contraire.

    Des doutes éthiques légitimes
    Il y a fort à craindre que ces « résultats », associés aux études, commerciales ou non, sur le fonctionnement du cerveau pendant le mensonge, serviront de caution, souvent malgré eux, à des catégorisations d’individus, voire à des discriminations abusives. Dans un avenir à court ou moyen terme, qu’il s’agisse de son utilisation dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de procédures judiciaires ou même d’embauche, toute méthode visant à identifier les « menteurs » à l’aide des neurosciences soulève des doutes éthiques légitimes.

    Aux Etats-Unis, où la frontière entre instituts de recherche publics et entreprises privées est de plus en plus mince, le National Institutes of Health (Institut national de la santé – NIH) a bien compris la nécessité d’un cadre de référence. C’est ainsi qu’il finance à présent des travaux qui devraient favoriser l’élaboration de règles spécifiques sur ce qu’il est permis de faire ou non en neuro-imagerie appliquée au milieu médical, industriel et légal (7).

    Il est toutefois un fait indéniable : la neuro-imagerie en soi n’est pas responsable des éventuels détournements dont elle pourrait être l’objet. De plus, au cours de la décennie qui vient de s’écouler, une technique comme l’IRMF a permis des avancées considérables dans l’identification, la prévention et le traitement de nombreuses pathologies, allant du traumatisme crânien à la maladie de Parkinson.

    Les neurosciences comportementales ont, elles aussi, bénéficié de ces progrès, aidant ainsi à mieux comprendre le fonctionnement des individus et de la société. Au niveau comportemental, une lutte efficace contre le terrorisme ne saurait se faire uniquement en laboratoire. Seules des collaborations pluridisciplinaires entre chercheurs en sciences politiques, économiques et en neuro-sciences cognitives sociales pourraient permettre de penser différemment et de proposer de nouvelles solutions contre ce fléau (8).

    Ces collaborations ne devront cependant pas faire l’économie d’une réflexion avancée en neuroéthique afin que, plusieurs siècles après Rabelais (9), l’usage des (neuro)sciences ne se fasse pas sans conscience.

    ssource le monde diplomatique
    Contrairement a la douleur, le bonheur ne s'écrit, pas il se vit... Moi je ne sais qu'écrire
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