Il arrive parfois que des souvenirs remontent en surface et apparaissent tantôt comme une lueur d’espoir, tantôt comme une entrave obstruant le long chemin qui reste à parcourir dans ce bas monde.
Le soleil avait eu le temps de réchauffer les horizons, le vacarme des voitures était à son paroxysme, les oiseaux avaient déjà rejoint leurs cachettes après avoir cueilli des brins d’herbe et des rameaux pour faire leurs nids.
Comme dans un rêve, loin des espaces cloisonnés par des murs et des obscurités charriées par les rayons brulants du soleil ; loin de la fatalité des espoirs meurtris et des ambitions fleuries, comme un bruit strident qui rompit le silence de la nuit, la sonnerie du téléphone se fit entendre
Le téléphone sonna.
« Mais ! c’est déjà le jour ? » me demandai-je, étonnée de l’impression que j’avais au même moment, celle de commencer à peine de sombrer dans le sommeil.
Un bruit pesant qui venait s’ajouter au tumulte extérieur mais qui se faisait entendre de par sa proximité et son contraste avec les autres bruits environnants.
Rêve ou réalité ?.
Je me réveillai en sursaut et sautai sur le combiné pour répondre.
Une voix frémissante me demanda de loin si je me portais bien.
Sceptique quant aux facteurs qui avaient motivé l’appel, méfiante, je regardai l’heure.
Il était déjà dix heures moins vingt. Comment avais-je pu dormir jusqu’à cette heure-ci ?
Je m’étais rendue compte, quelques minutes après, que j’avais lu les chiffres à l’envers.
Il était en réalité huit heures moins dix et non pas dix heures moins vingt. Le réveil provoqué en plein rêve m’avait étourdie.
En plus, n’ayant pas l’habitude de recevoir des appels avant huit heures, il ne m’était pas du tout venu à l’esprit que quelqu’un pouvait le faire.
Après une conversation intelligemment écourtée par mon beau frère à l’autre bout de l’appareil, j’avais eu droit à quelques tourments mais je ne pouvais savoir ce qui s’était passé si ce n’était la voix sanglotant de mon frère qui n’avait pas hésité à reprendre le téléphone pour m’annoncer la nouvelle.
« Ramia est morte ! Ramia n’est plus ! Elle a été tuée »
Ramia est ma sœur.
Enseignante de son état, elle travaillait dans une région à hauts risques, dans le plat de la Mitidja.
Elle bravait tous les interdits, tels que la circulation sans foulard, sans hidjab, cheveux dénudés descendant en flots sur ses épaules.
La cascade ondulée couvrant son dos ne réjouissait guère les misogynes qui devaient la guetter dans l’espoir de l’éliminer ou de la voir repentie.
Le sort avait voulu que la pauvre enseignante ne tombe pas sous la main d’un quelconque ravisseur, mais plutôt sous les balles d’un proche «serviteur ».
Elle fut tuée par un journaliste, le père de ses enfants.
Je le désigne ainsi car quelques mois avant le crime, Rédha et Ramia ne vivaient plus ensemble.
Ils étaient séparés, divorcés même.
Après l’annonce de la nouvelle et en l’espace de quelques secondes, j’avais senti que mon cœur s’était arrêté de battre.
Une sueur froide, ravivée par les chaleurs matinales du mois de juin m’avait envahie.
Je ne pouvais pas placer un mot pour rassurer mon frère à l’autre bout du fil.
Je m’étais ressaisie difficilement après un moment.
Désemparée, je demandai à mon frère d’être courageux au moment où j’avais du mal à l’être moi-même.
Je restais clouée à mon fauteuil me demandant comment faire pour arriver le plus tôt possible chez mes parents qui habitaient à cent kilomètres du lieu où je me trouvais.
Le visage cachée dans le creux des mains, je fondis en larmes.
Je pleurai un bon coup, j’avais vidé mes entrailles de cette douleur atroce que nul ne pouvait décrire tant elle rongeait et creusait la poitrine.
Une douleur indélébile malgré les flots de larmes incapables d’effacer le choc macabre.
Je pleurais Ramia que j’avais vu naître, cette enfant aux cheveux blonds, couleur des rayons de soleil. Je pleurais la femme qui ne voulait jamais céder devant les balles assassines de la décennie noire. Je pleurais la femme courage qui traversait des kilomètres pour aller travailler dans une région où l’islamisme battait son plein.
Je pleurais la flamme qui s’était éteinte en elle au moment où on avait besoin du flambeau de la liberté.
Je pleurais, car je savais que Ramia, symbole de courage et de bravoure ne pouvait plus revenir.
Ramia était une enseignante très estimée aussi bien par ses élèves que par ses collègues.
Elle était pleine de bonté et de générosité. Elle était petite de taille mais savait régler des problèmes de taille.
Elle était un petit bout de femme mais n’hésitait jamais à aller jusqu’au bout.
Elle avait un bon fond et dans sa franchise, elle avait le courage d’aller au fond des choses. Ramia n’avait jamais choisi de mourir, elle était le symbole de la vie.
Elle était pleine d’énergie et de vivacité.
On lui reprochait souvent sa joie de vivre, son humeur joyeuse, son enthousiasme dans un environnement triste, macabre où on apprenait, chaque jour, qu’un journaliste était tué par ci, un écrivain par là, un politicien ou un président d’un parti happé à la vie pour avoir exercé la politique.
La situation était telle que les gens ne s’arrogeaient même pas le droit de rire, de s’amuser, de danser ou de faire la fête. Tout ceci était tabou, blasphème et malveillance.
Après avoir digéré la nouvelle qui venait de tomber comme un couperet et dans une amertume incommensurable, j’avais réussi à rassembler toutes mes forces et à fournir des efforts colossaux pour retrouver mes esprits. Sentant mes jambes s’alourdir et ma tête s’enfoncer dans mes épaules, je m’étais secouée et enfin me décidai à me diriger dans la chambre de mon fils pour le réveiller, le préparer et quitter la maison pour participer aux funérailles.
Le temps était lourd, le soleil envoyait ses rayons dans tous les sens comme pour éclairer le chemin qui se faisait de plus en plus sombre devant moi.
Racim, à peine réveillé par le bruit de mes pas dans sa chambre, ouvrit les yeux et me fit un grand sourire.
J’esquissai un sourire comme pour l’épargner de la douleur qui assombrissait mon cœur.
Il voulait que je le prenne, que je l’amuse comme j’avais l’habitude de le faire.
Il voulait que je lui chante le refrain que je lui fredonnais chaque matin après son réveil.
Mais, hélas ! Le refrain de ce matin là ressemblait à un requiem funèbre, les rires se transformaient en sanglots interminables, le regard de Racim rencontrait le mien, triste et langoureux et, comme pour partager ma douleur, il me tendit la main pour que je puisse l’aider à se hisser de son lit.
Je le pris dans mes bras et, dans une étreinte affectueuse mêlée à l’amertume, je pleurai encore un bon moment, ce qui me soulagea mais paradoxalement inquiéta mon fils.
Absent, mon époux n’était pas informé.
Il se trouvait dans le sud pour un voyage d’affaire. Je m’étais rappelée tout de même qu’il devait rentrer la veille et j’avais décidé de prendre contact avec l’organisme qui l’avait envoyé en mission.
Je lui avais annoncé la nouvelle avec beaucoup d’amertume. Il était aussi choqué que je ne l’étais car, il faut l’avouer, il lui vouait beaucoup d’affection.
Elle l’estimait beaucoup elle aussi, elle blaguait avec lui comme avec un ami de longue date.
Lui, la taquinait souvent et la considérait comme sa propre sœur tant elle avait du respect et de l’amitié pour lui.
Ramia avait disparu et sa disparition pesait sur toute la famille.
Elle avait laissé un vide énorme même si, physiquement, elle avait dédoublé sa présence.
Ramia avait laissé deux enfants, un garçon et une fille : Yassine et Fadia. Le premier avait huit ans et la seconde avait six ans et demi. Les deux bourgeons avaient fleuri chez leur grand-mère.
Ils étaient scolarisés dans une petite ville de la Mitidja, se situant à l’ouest d’Alger, à seulement vingt-cinq kilomètres de la grande ville, Alger.
Yassine et Fadia étaient intelligents et réussissaient bien leur scolarité.
Ils avaient conquis l’estime et le respect de leurs enseignants.
« Est-ce bien eux qui n’ont pas de parents ? » avait demandé un jour, une institutrice qui les avait en classe.
« Il me semble qu’ils sont plus équilibrés que certains enfants qui vivent avec leur famille » avait-elle rétorqué.
Les enfants étaient effectivement bien élevés.
Ils étaient un peu trop mûrs pour leur âge.
Ils avaient bien fait le deuil de leurs parents même s’ils étaient présents le jour du drame.
Le soleil avait eu le temps de réchauffer les horizons, le vacarme des voitures était à son paroxysme, les oiseaux avaient déjà rejoint leurs cachettes après avoir cueilli des brins d’herbe et des rameaux pour faire leurs nids.
Comme dans un rêve, loin des espaces cloisonnés par des murs et des obscurités charriées par les rayons brulants du soleil ; loin de la fatalité des espoirs meurtris et des ambitions fleuries, comme un bruit strident qui rompit le silence de la nuit, la sonnerie du téléphone se fit entendre
Le téléphone sonna.
« Mais ! c’est déjà le jour ? » me demandai-je, étonnée de l’impression que j’avais au même moment, celle de commencer à peine de sombrer dans le sommeil.
Un bruit pesant qui venait s’ajouter au tumulte extérieur mais qui se faisait entendre de par sa proximité et son contraste avec les autres bruits environnants.
Rêve ou réalité ?.
Je me réveillai en sursaut et sautai sur le combiné pour répondre.
Une voix frémissante me demanda de loin si je me portais bien.
Sceptique quant aux facteurs qui avaient motivé l’appel, méfiante, je regardai l’heure.
Il était déjà dix heures moins vingt. Comment avais-je pu dormir jusqu’à cette heure-ci ?
Je m’étais rendue compte, quelques minutes après, que j’avais lu les chiffres à l’envers.
Il était en réalité huit heures moins dix et non pas dix heures moins vingt. Le réveil provoqué en plein rêve m’avait étourdie.
En plus, n’ayant pas l’habitude de recevoir des appels avant huit heures, il ne m’était pas du tout venu à l’esprit que quelqu’un pouvait le faire.
Après une conversation intelligemment écourtée par mon beau frère à l’autre bout de l’appareil, j’avais eu droit à quelques tourments mais je ne pouvais savoir ce qui s’était passé si ce n’était la voix sanglotant de mon frère qui n’avait pas hésité à reprendre le téléphone pour m’annoncer la nouvelle.
« Ramia est morte ! Ramia n’est plus ! Elle a été tuée »
Ramia est ma sœur.
Enseignante de son état, elle travaillait dans une région à hauts risques, dans le plat de la Mitidja.
Elle bravait tous les interdits, tels que la circulation sans foulard, sans hidjab, cheveux dénudés descendant en flots sur ses épaules.
La cascade ondulée couvrant son dos ne réjouissait guère les misogynes qui devaient la guetter dans l’espoir de l’éliminer ou de la voir repentie.
Le sort avait voulu que la pauvre enseignante ne tombe pas sous la main d’un quelconque ravisseur, mais plutôt sous les balles d’un proche «serviteur ».
Elle fut tuée par un journaliste, le père de ses enfants.
Je le désigne ainsi car quelques mois avant le crime, Rédha et Ramia ne vivaient plus ensemble.
Ils étaient séparés, divorcés même.
Après l’annonce de la nouvelle et en l’espace de quelques secondes, j’avais senti que mon cœur s’était arrêté de battre.
Une sueur froide, ravivée par les chaleurs matinales du mois de juin m’avait envahie.
Je ne pouvais pas placer un mot pour rassurer mon frère à l’autre bout du fil.
Je m’étais ressaisie difficilement après un moment.
Désemparée, je demandai à mon frère d’être courageux au moment où j’avais du mal à l’être moi-même.
Je restais clouée à mon fauteuil me demandant comment faire pour arriver le plus tôt possible chez mes parents qui habitaient à cent kilomètres du lieu où je me trouvais.
Le visage cachée dans le creux des mains, je fondis en larmes.
Je pleurai un bon coup, j’avais vidé mes entrailles de cette douleur atroce que nul ne pouvait décrire tant elle rongeait et creusait la poitrine.
Une douleur indélébile malgré les flots de larmes incapables d’effacer le choc macabre.
Je pleurais Ramia que j’avais vu naître, cette enfant aux cheveux blonds, couleur des rayons de soleil. Je pleurais la femme qui ne voulait jamais céder devant les balles assassines de la décennie noire. Je pleurais la femme courage qui traversait des kilomètres pour aller travailler dans une région où l’islamisme battait son plein.
Je pleurais la flamme qui s’était éteinte en elle au moment où on avait besoin du flambeau de la liberté.
Je pleurais, car je savais que Ramia, symbole de courage et de bravoure ne pouvait plus revenir.
Ramia était une enseignante très estimée aussi bien par ses élèves que par ses collègues.
Elle était pleine de bonté et de générosité. Elle était petite de taille mais savait régler des problèmes de taille.
Elle était un petit bout de femme mais n’hésitait jamais à aller jusqu’au bout.
Elle avait un bon fond et dans sa franchise, elle avait le courage d’aller au fond des choses. Ramia n’avait jamais choisi de mourir, elle était le symbole de la vie.
Elle était pleine d’énergie et de vivacité.
On lui reprochait souvent sa joie de vivre, son humeur joyeuse, son enthousiasme dans un environnement triste, macabre où on apprenait, chaque jour, qu’un journaliste était tué par ci, un écrivain par là, un politicien ou un président d’un parti happé à la vie pour avoir exercé la politique.
La situation était telle que les gens ne s’arrogeaient même pas le droit de rire, de s’amuser, de danser ou de faire la fête. Tout ceci était tabou, blasphème et malveillance.
Après avoir digéré la nouvelle qui venait de tomber comme un couperet et dans une amertume incommensurable, j’avais réussi à rassembler toutes mes forces et à fournir des efforts colossaux pour retrouver mes esprits. Sentant mes jambes s’alourdir et ma tête s’enfoncer dans mes épaules, je m’étais secouée et enfin me décidai à me diriger dans la chambre de mon fils pour le réveiller, le préparer et quitter la maison pour participer aux funérailles.
Le temps était lourd, le soleil envoyait ses rayons dans tous les sens comme pour éclairer le chemin qui se faisait de plus en plus sombre devant moi.
Racim, à peine réveillé par le bruit de mes pas dans sa chambre, ouvrit les yeux et me fit un grand sourire.
J’esquissai un sourire comme pour l’épargner de la douleur qui assombrissait mon cœur.
Il voulait que je le prenne, que je l’amuse comme j’avais l’habitude de le faire.
Il voulait que je lui chante le refrain que je lui fredonnais chaque matin après son réveil.
Mais, hélas ! Le refrain de ce matin là ressemblait à un requiem funèbre, les rires se transformaient en sanglots interminables, le regard de Racim rencontrait le mien, triste et langoureux et, comme pour partager ma douleur, il me tendit la main pour que je puisse l’aider à se hisser de son lit.
Je le pris dans mes bras et, dans une étreinte affectueuse mêlée à l’amertume, je pleurai encore un bon moment, ce qui me soulagea mais paradoxalement inquiéta mon fils.
Absent, mon époux n’était pas informé.
Il se trouvait dans le sud pour un voyage d’affaire. Je m’étais rappelée tout de même qu’il devait rentrer la veille et j’avais décidé de prendre contact avec l’organisme qui l’avait envoyé en mission.
Je lui avais annoncé la nouvelle avec beaucoup d’amertume. Il était aussi choqué que je ne l’étais car, il faut l’avouer, il lui vouait beaucoup d’affection.
Elle l’estimait beaucoup elle aussi, elle blaguait avec lui comme avec un ami de longue date.
Lui, la taquinait souvent et la considérait comme sa propre sœur tant elle avait du respect et de l’amitié pour lui.
Ramia avait disparu et sa disparition pesait sur toute la famille.
Elle avait laissé un vide énorme même si, physiquement, elle avait dédoublé sa présence.
Ramia avait laissé deux enfants, un garçon et une fille : Yassine et Fadia. Le premier avait huit ans et la seconde avait six ans et demi. Les deux bourgeons avaient fleuri chez leur grand-mère.
Ils étaient scolarisés dans une petite ville de la Mitidja, se situant à l’ouest d’Alger, à seulement vingt-cinq kilomètres de la grande ville, Alger.
Yassine et Fadia étaient intelligents et réussissaient bien leur scolarité.
Ils avaient conquis l’estime et le respect de leurs enseignants.
« Est-ce bien eux qui n’ont pas de parents ? » avait demandé un jour, une institutrice qui les avait en classe.
« Il me semble qu’ils sont plus équilibrés que certains enfants qui vivent avec leur famille » avait-elle rétorqué.
Les enfants étaient effectivement bien élevés.
Ils étaient un peu trop mûrs pour leur âge.
Ils avaient bien fait le deuil de leurs parents même s’ils étaient présents le jour du drame.
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