A l’hôpital public de Boufarik, les cafards et les rats d’égout côtoient les malades
Invasion d’insectes, fuites d’eau, monticules de déchets… La visite de l’hôpital public de Boufarik, une ville située à 35 km à l’est d’Alger, fait froid dans le dos. Ici, les patients se soignent, en évitant de tomber encore plus gravement malade. Face à un manque d’hygiène criant, même le personnel médical semble avoir démissionné. Reportage dans un hôpital désaffecté, mais qui continue à recevoir des malades.
Fella n’oubliera jamais les jours qui ont suivi son accouchement. Un bonheur infini gâché par des nuits d’angoisse. Car, dans l’établissement public hospitalier de Boufarik, où Fella a donné la vie, les patients doivent cohabiter dans leur chambre avec d’étranges locataires, qui apparaissent surtout dans l’obscurité. “J’ai passé ma dernière nuit toute éveillée en prenant mon bébé dans mes bras. Les cafards surgissent de partout une fois la lumière éteinte”, se souvient Fella, encore bouleversée.
A Boufarik, les femmes enceintes connaissent la réputation de l’hôpital public de la ville, alors, lorsqu’elles s’y rendent pour mettre au monde leur enfant, elles prennent toujours soin de glisser dans leur sac, entre les couches, le linge neuf et la tétine, un insecticide. “C’est presque toutes les femmes qui apportent avec elles des insecticides pour se débarrasser des cafards”, témoigne Fella.
Infesté par les cafards et les rats
Le service gynéco-obstétrique n’est pas le seul envahi par ces insectes rampants. Au Service des maladies infectieuses, les patients vivent le même calvaire. Au premier étage, les enfants hospitalisés se plaignent eux aussi de l’invasion des cafards. Au rez-de-chaussée, côté adultes, on tient à dénoncer l’insalubrité du CHU. Un garde malade saisi ainsi l’occasion de notre visite pour évoquer les conditions d’accueil des malades, qui dérogent à toutes les règles élémentaires d’hygiène. “Venez voir les sanitaires comment elles sont !”, s’indigne cet employé. Dès l’entrée, on trouve des preuves irréfutables que les toilettes du rez-de-chaussée de cet hôpital public ressemblent davantage à une salle désaffectée qu’à un espace propre et bien entretenu. On remarque d’abord deux poubelles, qui débordent d’ordures, et le carton posé à même le sol. Il a certainement été placé là pour absorber les fuites d’eau et éviter que les patients ne glissent lorsqu’ils veulent faire leurs besoins. Puis, le regard glisse vers la cuvette anglaise, qui n’est pas nettoyée. Il y reste des tâches d’excréments et d’urine. Avec sa main, le garde malade montre une porte fermée. “C’est la porte de la douche. C’est de là qu’un rat d’égout sort… Il avance jusqu’aux chambres des patients… Je l’ai croisé à maintes reprises la nuit”, fulmine-t-il. Y-a-il aussi des cafards dans ce service ? “Il y en a plein”, s’énerve l’assistant médical. Pour appuyer sa réponse, un patient ouvre le tiroir de sa table de nuit. Avec ses doigts, il tente de lever un papier posé en couverture. “Ils sortent d’ici !”, dit-il. Mais, comme il fait jour, ils ne pointent pas encore le bout de leurs antennes. Ce patient est chanceux, il a hérité d’une chambre au plafond replâtré. “Ça doit être à cause des toilettes de l’étage d’en haut”, explique-t-on. Mais le luxe est précaire ici. Sur les murs, la noirceur d’une récente soudure des tuyaux du chauffage est visible.
Interrogée sur l’invasion des cafards et des rats dans cette structure hospitalière, une femme médecin préfère se défaire de toute responsabilité. “Ce problème relève des services administratives”, répond-elle. “Nous, en tant que médecins, on s’occupe de l’aspect médical. Nous avons déjà soulevé le problème de l’hygiène à l’administration”, affirme-t-elle.
Dans cet hôpital empuanti et rongé par les bêtes, le personnel médical n’est pas dupe du manque d’hygiène. ”Oui, j’ai constaté que les enfants ont effectivement peur”, avoue une employée de l’hôpital, rencontrée dans son bureau, qui promet du changement. “Les agents de nettoyage viennent d’effectuer une opération de désinfection”, soutient-elle.
Une opération cruciale pour préserver la sécurité et la santé des patients internés. Les cafards sont des insectes nocturnes nuisibles pour la santé de l’Homme car ils s’attaquent aux provisions et aux vêtements par leurs excréments et une sécrétion, qui coule de leur bouche. Porteurs de bactéries, ces insectes peuvent également transmettre des maladie à l’humain. Le danger est tout aussi élevé avec la présence de rats dans les couloirs, les chambres et sanitaires d’un hôpital. Cet animal présente lui aussi un risque sérieux pour la santé des malades.
Chaleur étouffante
La souffrance des patients, qui fréquent le centre hospitalier public de Boufarik, ne s’arrêtent pas à une désagréable cohabitation avec bestioles, insectes et rongeurs qui infestent les lieux. L’été tire à sa fin mais les températures restent caniculaires à l’intérieur de ce centre de soins. Et pour cause, toutes les pièces ne disposent pas d’un climatiseur opérationnel. “Cela fait une dizaine de jours que le climatiseur ne fonctionne pas, en cette période de canicule”, se lamente Abdenour, qui occupe la chambre n°1. Et d’ajouter, en soupirant : “Et lorsque je me suis plaint de cette panne au chef du service, il m’a répondu que même les avions tombent en panne”. Hospitalisé ici depuis trois mois, Abdenour, atteint d’un “microbe dans la tête”, a connu plusieurs autres mésaventures déjà. Il témoigne : “Une fois, j’ai demandé une ambulance pour me déplacer, à l’hôpital de Blida, pour une imagerie par résonances magnétique (IRM), à la suite de la recommandation de mon médecin traitant, mais l’administration a refusé ma demande. J’ai été obligé de prendre un taxi à 1000 Da. Et lorsque j’ai raconté cela à mon médecin, il est resté étonné”.
Autre problème : l’hôpital ne dispose pas de service d’échographie. Embêtant pour un centre hospitalier qui reçoit chaque année des centaines de femmes enceintes. Sur place, on affirme même que l’absence de ce service est à l’origine d’un drame. Une femme enceinte aurait perdu la vie dans le service maternité après la mort du fœtus faute d’échographie, dénonce une personne qui préfère garder l’anonymat.
Maladies nosocomiales
A Boufarik, les patients, qui déambulent dans les couloirs de l’hôpital public, semblent livrés à eux-mêmes. A l’image de Mohamed, 6 ans, abandonné sur des chaises du service de radiologie. “Cela fait cinq jours qu’il souffre de fièvre et de vomissements”, confie Salah, son père. “Je viens lui faire passer une deuxième radio pour m’assurer qu’il ne souffre pas d’une méningite d’origine virale”, précise-t-il. Sous le banc, sur lequel l’enfant est allongé, le visage fatigué, des bouteilles vides et des mouchoirs usés. “Trop de saleté !”, s’énerve le père.
Même le personnel ne supporte plus ces conditions d’accueil, notamment au niveau du service des maladies infectieuses. “Il faut mettre une croix rouge sur ce service. Il y a trop de saleté”, lâche un agent de sécurité, en tirant sur une cigarette. Il se trouve pourtant dans un espace non fumeur, lui fait-on la remarque. Il rétorque, l’air désabusé : “Qu’est-ce qu’une cigarette par rapport aux microbes ?”
Dans ce contexte, les patients qui passent par cet hôpital public sont de véritables rescapés. Après cette visite à travers les différents services, on se demande même comment ces visiteurs ne contractent pas de maladies nosocomiales tant les chances d’être infecté au cours d’un séjour dans cet hôpital sont élevées.
Djemaï B.
Invasion d’insectes, fuites d’eau, monticules de déchets… La visite de l’hôpital public de Boufarik, une ville située à 35 km à l’est d’Alger, fait froid dans le dos. Ici, les patients se soignent, en évitant de tomber encore plus gravement malade. Face à un manque d’hygiène criant, même le personnel médical semble avoir démissionné. Reportage dans un hôpital désaffecté, mais qui continue à recevoir des malades.
Fella n’oubliera jamais les jours qui ont suivi son accouchement. Un bonheur infini gâché par des nuits d’angoisse. Car, dans l’établissement public hospitalier de Boufarik, où Fella a donné la vie, les patients doivent cohabiter dans leur chambre avec d’étranges locataires, qui apparaissent surtout dans l’obscurité. “J’ai passé ma dernière nuit toute éveillée en prenant mon bébé dans mes bras. Les cafards surgissent de partout une fois la lumière éteinte”, se souvient Fella, encore bouleversée.
A Boufarik, les femmes enceintes connaissent la réputation de l’hôpital public de la ville, alors, lorsqu’elles s’y rendent pour mettre au monde leur enfant, elles prennent toujours soin de glisser dans leur sac, entre les couches, le linge neuf et la tétine, un insecticide. “C’est presque toutes les femmes qui apportent avec elles des insecticides pour se débarrasser des cafards”, témoigne Fella.
Infesté par les cafards et les rats
Le service gynéco-obstétrique n’est pas le seul envahi par ces insectes rampants. Au Service des maladies infectieuses, les patients vivent le même calvaire. Au premier étage, les enfants hospitalisés se plaignent eux aussi de l’invasion des cafards. Au rez-de-chaussée, côté adultes, on tient à dénoncer l’insalubrité du CHU. Un garde malade saisi ainsi l’occasion de notre visite pour évoquer les conditions d’accueil des malades, qui dérogent à toutes les règles élémentaires d’hygiène. “Venez voir les sanitaires comment elles sont !”, s’indigne cet employé. Dès l’entrée, on trouve des preuves irréfutables que les toilettes du rez-de-chaussée de cet hôpital public ressemblent davantage à une salle désaffectée qu’à un espace propre et bien entretenu. On remarque d’abord deux poubelles, qui débordent d’ordures, et le carton posé à même le sol. Il a certainement été placé là pour absorber les fuites d’eau et éviter que les patients ne glissent lorsqu’ils veulent faire leurs besoins. Puis, le regard glisse vers la cuvette anglaise, qui n’est pas nettoyée. Il y reste des tâches d’excréments et d’urine. Avec sa main, le garde malade montre une porte fermée. “C’est la porte de la douche. C’est de là qu’un rat d’égout sort… Il avance jusqu’aux chambres des patients… Je l’ai croisé à maintes reprises la nuit”, fulmine-t-il. Y-a-il aussi des cafards dans ce service ? “Il y en a plein”, s’énerve l’assistant médical. Pour appuyer sa réponse, un patient ouvre le tiroir de sa table de nuit. Avec ses doigts, il tente de lever un papier posé en couverture. “Ils sortent d’ici !”, dit-il. Mais, comme il fait jour, ils ne pointent pas encore le bout de leurs antennes. Ce patient est chanceux, il a hérité d’une chambre au plafond replâtré. “Ça doit être à cause des toilettes de l’étage d’en haut”, explique-t-on. Mais le luxe est précaire ici. Sur les murs, la noirceur d’une récente soudure des tuyaux du chauffage est visible.
Interrogée sur l’invasion des cafards et des rats dans cette structure hospitalière, une femme médecin préfère se défaire de toute responsabilité. “Ce problème relève des services administratives”, répond-elle. “Nous, en tant que médecins, on s’occupe de l’aspect médical. Nous avons déjà soulevé le problème de l’hygiène à l’administration”, affirme-t-elle.
Dans cet hôpital empuanti et rongé par les bêtes, le personnel médical n’est pas dupe du manque d’hygiène. ”Oui, j’ai constaté que les enfants ont effectivement peur”, avoue une employée de l’hôpital, rencontrée dans son bureau, qui promet du changement. “Les agents de nettoyage viennent d’effectuer une opération de désinfection”, soutient-elle.
Une opération cruciale pour préserver la sécurité et la santé des patients internés. Les cafards sont des insectes nocturnes nuisibles pour la santé de l’Homme car ils s’attaquent aux provisions et aux vêtements par leurs excréments et une sécrétion, qui coule de leur bouche. Porteurs de bactéries, ces insectes peuvent également transmettre des maladie à l’humain. Le danger est tout aussi élevé avec la présence de rats dans les couloirs, les chambres et sanitaires d’un hôpital. Cet animal présente lui aussi un risque sérieux pour la santé des malades.
Chaleur étouffante
La souffrance des patients, qui fréquent le centre hospitalier public de Boufarik, ne s’arrêtent pas à une désagréable cohabitation avec bestioles, insectes et rongeurs qui infestent les lieux. L’été tire à sa fin mais les températures restent caniculaires à l’intérieur de ce centre de soins. Et pour cause, toutes les pièces ne disposent pas d’un climatiseur opérationnel. “Cela fait une dizaine de jours que le climatiseur ne fonctionne pas, en cette période de canicule”, se lamente Abdenour, qui occupe la chambre n°1. Et d’ajouter, en soupirant : “Et lorsque je me suis plaint de cette panne au chef du service, il m’a répondu que même les avions tombent en panne”. Hospitalisé ici depuis trois mois, Abdenour, atteint d’un “microbe dans la tête”, a connu plusieurs autres mésaventures déjà. Il témoigne : “Une fois, j’ai demandé une ambulance pour me déplacer, à l’hôpital de Blida, pour une imagerie par résonances magnétique (IRM), à la suite de la recommandation de mon médecin traitant, mais l’administration a refusé ma demande. J’ai été obligé de prendre un taxi à 1000 Da. Et lorsque j’ai raconté cela à mon médecin, il est resté étonné”.
Autre problème : l’hôpital ne dispose pas de service d’échographie. Embêtant pour un centre hospitalier qui reçoit chaque année des centaines de femmes enceintes. Sur place, on affirme même que l’absence de ce service est à l’origine d’un drame. Une femme enceinte aurait perdu la vie dans le service maternité après la mort du fœtus faute d’échographie, dénonce une personne qui préfère garder l’anonymat.
Maladies nosocomiales
A Boufarik, les patients, qui déambulent dans les couloirs de l’hôpital public, semblent livrés à eux-mêmes. A l’image de Mohamed, 6 ans, abandonné sur des chaises du service de radiologie. “Cela fait cinq jours qu’il souffre de fièvre et de vomissements”, confie Salah, son père. “Je viens lui faire passer une deuxième radio pour m’assurer qu’il ne souffre pas d’une méningite d’origine virale”, précise-t-il. Sous le banc, sur lequel l’enfant est allongé, le visage fatigué, des bouteilles vides et des mouchoirs usés. “Trop de saleté !”, s’énerve le père.
Même le personnel ne supporte plus ces conditions d’accueil, notamment au niveau du service des maladies infectieuses. “Il faut mettre une croix rouge sur ce service. Il y a trop de saleté”, lâche un agent de sécurité, en tirant sur une cigarette. Il se trouve pourtant dans un espace non fumeur, lui fait-on la remarque. Il rétorque, l’air désabusé : “Qu’est-ce qu’une cigarette par rapport aux microbes ?”
Dans ce contexte, les patients qui passent par cet hôpital public sont de véritables rescapés. Après cette visite à travers les différents services, on se demande même comment ces visiteurs ne contractent pas de maladies nosocomiales tant les chances d’être infecté au cours d’un séjour dans cet hôpital sont élevées.
Djemaï B.
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