C’est une intuition sourde, insistante, très peu fondée, ne reposant sur presque rien, antinationaliste, pessimiste et franchement désagréable. Elle revient à chaque fois que le chroniqueur essaye de trouver un sujet de chronique, s’expliquer intimement pourquoi un pays riche, avec des réservoirs pleins et des puits féconds, n’arrive pas à démarrer, à se lancer, à marcher vers sa lune et s’accepter en acceptant son histoire.
C’est une intuition féroce, un peu ridicule, qui va dans le sens contraire de l’histoire officielle mais dans le bon sens de l’histoire millénariste de ce pays: elle n’a rien à voir avec le politique, le Bouteflikisme, l’explication par les martyrs, la crise d’identité ou la crise de la pomme de terre.
C’est une explication que l’on récolte seule face aux étoiles, lorsqu’on se retrouve debout dans un arrêt de bus, comme son propre pays, lorsqu’on est un peu fatigué, lorsqu’on n’est que l’animal triste après le mariage, lorsqu’on remonte un peu plus loin que 1954, ou on descend plus avant que l’échéance de 2008.
Une sorte de certitude qui permet d’identifier ce qu’attend ce peuple sans oser se le dire ni se l’avouer, ce qu’il espère comme solution à son propre blocage et permet d’expliquer quel est le seul ordre capable de faire de l’ordre chez ce peuple et quelle est l’unique manière pour lui d’avoir un sens, une histoire, une explication terrestre, un rôle valable et un morceau d’épopée qui fait contrepoids à la banalité de la géographie et à l’inexistence du Nil chez nous. De quoi s’agit-il ? Que manque-t-il vraiment à ce peuple ? Qu’attend-il vraiment au plus profond de lui-même, dans le coin sépulcral où reposent les cendres collectives et les totems réformés, dans l’angle mort où la mort n’est qu’un détail respiratoire, à chaque fois qu’il veut comprendre pourquoi il ne veut pas vivre normalement ? Osons donc l’évidence: tout le monde attend un autre colon, un nouveau maître, une occupation qui puisse déclencher l’héroïsme et mettre fin à la déambulation.
Quelque part, à bien regarder ce peuple, à partir du point de vue du satellite et de l’historien non embrigadé, il semble parfois que ce peuple attend une invasion, la souhaite, la désire et en espère un nouvel ordre qu’il n’a pas su fonder lui-même. Une sorte de nouveau maître, dans la tradition des Phéniciens, des Romains, des Vandales, des Turcs, des Espagnols, des Arabes et des Français et qui reviendront aussi pour provoquer le même cycle: prendre la terre, s’offrir des fermes, écraser le local, le refouler vers l’Atlas, le remplacer par du blé ou du raisin ou des deys, croire avoir réussi et puis se faire chasser après une guerre glorieuse, des martyrs tombés comme des lucioles dans l’immortalité et pousser des hourras à l’indépendance. Cela dure depuis deux millénaires et il faut croire et accepter que cela ne va pas s’arrêter avec l’élection de Bouteflika ou le baril à 70 dollars.
C’est plus fort que nous et nous avons toujours «fonctionné» selon cette même règle profondément enfouie en nous: le colon comme la guerre ou la victoire et enfin l’ennui nous sont nécessaires et vitaux. Sans eux, nous ne sommes plus que des Algériens qui attendent un bus tombé en panne dans l’usine où il n’a même pas été fabriqué. C’est comme ça et cela a toujours fonctionné comme ça. C’est cet instinct qui explique pourquoi avec un président élu, une grosse épargne en dollars, des chantiers partout et une victoire officielle sur le terrorisme, nous sommes toujours mécontents, acariâtres, soupçonneux, en colère, envieux, méchants et insatisfaits. Il nous manque la matraque, le fusil et une nouvelle indépendance. Il nous manque un nouveau Maître.
Le Quotidien d'Oran
=== EDITION ===
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C’est une intuition féroce, un peu ridicule, qui va dans le sens contraire de l’histoire officielle mais dans le bon sens de l’histoire millénariste de ce pays: elle n’a rien à voir avec le politique, le Bouteflikisme, l’explication par les martyrs, la crise d’identité ou la crise de la pomme de terre.
C’est une explication que l’on récolte seule face aux étoiles, lorsqu’on se retrouve debout dans un arrêt de bus, comme son propre pays, lorsqu’on est un peu fatigué, lorsqu’on n’est que l’animal triste après le mariage, lorsqu’on remonte un peu plus loin que 1954, ou on descend plus avant que l’échéance de 2008.
Une sorte de certitude qui permet d’identifier ce qu’attend ce peuple sans oser se le dire ni se l’avouer, ce qu’il espère comme solution à son propre blocage et permet d’expliquer quel est le seul ordre capable de faire de l’ordre chez ce peuple et quelle est l’unique manière pour lui d’avoir un sens, une histoire, une explication terrestre, un rôle valable et un morceau d’épopée qui fait contrepoids à la banalité de la géographie et à l’inexistence du Nil chez nous. De quoi s’agit-il ? Que manque-t-il vraiment à ce peuple ? Qu’attend-il vraiment au plus profond de lui-même, dans le coin sépulcral où reposent les cendres collectives et les totems réformés, dans l’angle mort où la mort n’est qu’un détail respiratoire, à chaque fois qu’il veut comprendre pourquoi il ne veut pas vivre normalement ? Osons donc l’évidence: tout le monde attend un autre colon, un nouveau maître, une occupation qui puisse déclencher l’héroïsme et mettre fin à la déambulation.
Quelque part, à bien regarder ce peuple, à partir du point de vue du satellite et de l’historien non embrigadé, il semble parfois que ce peuple attend une invasion, la souhaite, la désire et en espère un nouvel ordre qu’il n’a pas su fonder lui-même. Une sorte de nouveau maître, dans la tradition des Phéniciens, des Romains, des Vandales, des Turcs, des Espagnols, des Arabes et des Français et qui reviendront aussi pour provoquer le même cycle: prendre la terre, s’offrir des fermes, écraser le local, le refouler vers l’Atlas, le remplacer par du blé ou du raisin ou des deys, croire avoir réussi et puis se faire chasser après une guerre glorieuse, des martyrs tombés comme des lucioles dans l’immortalité et pousser des hourras à l’indépendance. Cela dure depuis deux millénaires et il faut croire et accepter que cela ne va pas s’arrêter avec l’élection de Bouteflika ou le baril à 70 dollars.
C’est plus fort que nous et nous avons toujours «fonctionné» selon cette même règle profondément enfouie en nous: le colon comme la guerre ou la victoire et enfin l’ennui nous sont nécessaires et vitaux. Sans eux, nous ne sommes plus que des Algériens qui attendent un bus tombé en panne dans l’usine où il n’a même pas été fabriqué. C’est comme ça et cela a toujours fonctionné comme ça. C’est cet instinct qui explique pourquoi avec un président élu, une grosse épargne en dollars, des chantiers partout et une victoire officielle sur le terrorisme, nous sommes toujours mécontents, acariâtres, soupçonneux, en colère, envieux, méchants et insatisfaits. Il nous manque la matraque, le fusil et une nouvelle indépendance. Il nous manque un nouveau Maître.
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