Boumediene, nous n'avons rien oublié !
Par Maâmar FARAH
[email protected]
L’autre jour, le présentateur du journal télévisé bombait le torse en nous annonçant pompeusement que l’espoir de vie chez les Algériens avait grimpé à 75 ans ! Oui, c’est une belle prouesse, si l’on se souvient des conditions pénibles dans lesquelles croupissait ce même Algérien au lendemain de l’indépendance.
Les poux plein les cheveux, les pieds nus dans la boue ou sur la chaussée ardente, la maladie, la faim, l’ignorance, le gourbi : c’était le lot de la majorité des autochtones. Mais si l’espoir de vie a atteint cette moyenne appréciable, à qui le mérite ? Voilà ce qu’a oublié de préciser le présentateur du JT. Pour en arriver là, il a fallu prémunir cet Algérien de toutes les épidémies mortelles. Il a fallu lui offrir une bonne prise en charge sanitaire, des médicaments gratuits, des produits de première nécessité à bas prix ; il a fallu qu’il étudie dans de bonnes conditions et sans ruiner ses parents, qu’il s’épanouisse socialement et culturellement… Et ce n’était pas rien, quand les caisses de l’Etat étaient pratiquement vides et que le pays ne comptait que quelques ingénieurs et techniciens ! Soyons sérieux et n’insultons pas le passé, tout le passé, pour des coquetteries intellectuelles et ne mettons pas tout dans le même chapitre, noirci à volonté, au nom de la formule lapidaire et tentante de «quarante années de dictature» ! L’Algérie d’aujourd’hui n’existait pas au lendemain de l’indépendance. Il n’y avait rien ; rien, à part une petite bande côtière développée comme peut l’être un pays saigné à blanc et dont toute l’économie était orientée vers l’exportation de matières premières en direction de la Métropole. Dans les villes et les villages coloniaux, gracieux comme une carte postale et équipés convenablement, vivait une société à part, dont le niveau de vie était parmi les plus élevés d’Afrique. Mais, c’était l’Algérie des colons et des pieds-noirs. Les autres, les Algériens d’ici, dont les parents avaient été chassés de leurs terres et refoulés vers les piémonts des montagnes, ne vivaient pas. Ils végétaient dans les bidonvilles, connaissant les affres de la misère et du dénuement total et les plus chanceux d’entre eux étaient soit ouvriers agricoles, soit portefaix dans les marchés, ou, encore femmes de ménage chez les colons !
N’insultons pas la mémoire !
Il a fallu tout créer ! N’insultons pas la mémoire de ceux qui ne sont plus là et qui ont cru que le rêve était possible, qui ont bâti des écoles partout, des usines, des centres de santé dans les coins les plus reculés, qui ont tracé des routes et introduit le progrès aux quatre coins du pays ; n’insultons pas la mémoire de ceux qui ont consacré leur vie à planifier, étudier, réfléchir pour que le gaz de ville, privilège de deux ou trois centres, aille partout ; que l’électricité, totalement absente des foyers algériens, pénètre les cités populaires et les douars ; que l’eau potable, qu’on allait chercher dans les fontaines publiques, devienne un élément incontournable du milieu domestique ; que les fosses septiques soient bourrées de mortier et oubliées, au profit de réseaux d’assainissement modernes, que les salles de bains remplacent le hammam, que la télévision, captée par une infime minorité d’Algériens à Oran, Alger et Constantine, étende son réseau à tout le territoire national, à travers la diffusion hertzienne, puis par satellite. Dès 1975, l’Algérie utilisait le satellite pour porter le faisceau du programme national jusqu’au Hoggar et Tassili, devenant l’un des premiers pays au monde à avoir accès à cette technologie, utilisée, à l’époque, seulement par quelques opérateurs aux Etats-Unis, au Canada et en URSS ! Il a fallu former des enseignants, des ingénieurs agronomes, des techniciens dans le bâtiment et le génie civil, des pilotes, des gendarmes, des médecins, des infirmières, des chercheurs, des pétroliers, des urbanistes, et j’en passe.
Gloire aux visionnaires !
Jeudi dernier, je rêvais à une Algérie qui, non seulement disposerait de fusées, mais les ferait également décoller de Hammaguir. Un ami m’a traité de fou ! Alors, comment devrais-je désigner ces visionnaires qui ont dressé le Barrage vert, muraille d’arbres allant de Tébessa à El Bayadh et que j’ai parcouru de long en large, rencontrant des jeunes, appelés sous les drapeaux, fiers de participer à une gigantesque œuvre d’édification nationale à l’heure où l’ANP plantait des arbres aussi ! Comment devrais-je appeler ces pionniers qui ont porté le goudron jusqu’à Tamanrasset, et bien au-delà, et tous ceux qui ont bâti des centaines de villages agricoles ? Comment devrais-je traiter ces bâtisseurs au long cours qui ont cru qu’il était possible de convoquer les deux génies japonais et brésilien de l’architecture mondiale pour leur confier les plans de deux bijoux universitaires trop souvent oubliés : Constantine et Bab Ezzouar ? Comment qualifier ces promoteurs qui ont ouvert le pays à l’informatique, à une époque où cette science échappait encore au tiers-monde, faisant du CERI la première grande école supérieure d’Afrique formant des ingénieurs dans cette spécialité ! Comment traiter ces hommes qui ont cru qu’il était possible de nationaliser le pétrole et le rendre à son propriétaire ? Et ceux qui ont cru qu’il était possible de traiter le minerai de l’Ouenza ici, à El- Hadjar. Et le complexe est encore là, produisant cet acier dont nous avons tant besoin pour bâtir et bâtir encore ! Comment traiter ceux qui ont eu l’idée folle de liquéfier le gaz et le mettre dans de beaux et grands méthaniers qui sillonnent le monde ? Comment qualifier ceux qui ont osé présenter un film algérien au festival de Cannes et cru en ses chances jusqu’au bout ? Et ceux qui ont introduit la réforme sportive dont les fruits avaient pour noms Madjer, Belloumi, Assad et tant d’autres ? Comment appeler ces fous qui ont placé quelques camions de la Sonacome dans la prestigieuse course du Paris- Dakar ? J’étais là et, sur les pistes brûlantes du désert, dans les forêts sénégalaises, la brousse nigérienne et les plateaux de ce qui s’appelait alors Haute-Volta (le Burkina actuel), j’ai vu notre véhicule national damer le pion à Saviem, Lan, Mercedes et tant d’autres marques prestigieuses. De petits chauffeurs du Grand Sud, nourris aux pois chiches, chauffés par quelques verres de thé à la menthe sirotés après les prières matinales : j’ai vu ces gars au cœur grand comme ça, mais sans étoiles, battre les plus prestigieux des pilotes de course ! Comment appeler ceux qui avaient planifié la construction d’un réacteur nucléaire à Draria ? Et ceux qui en firent autant à Aïn Oussera, avec un centre beaucoup plus important, que les impérialistes avaient voulu bombarder à une époque où ils voyaient d’un mauvais œil les efforts d’émancipation de notre pays ? Je peux citer à l’infini la liste des «folies» qui ont permis à ce pays de se hisser au firmament de la légende tiers-mondiste, avant qu’un ouragan de force six n’emporte tous nos espoirs ! Avant que la néo-bourgeoisie, fabriquée à l’usine de la contrefaçon, revancharde, égoïste, ne vienne détruire ce beau rêve.
Une lignée d’arbres debout et fiers
Un jour, c’était peut-être dans la plaine de Aïn-F’houl (Tlemcen) ou du côté de Belghimouz (Jijel), quelque part sur cette terre généreuse et arrosée de la sueur des braves, j’avais entendu Boumediene dire, à peu près ceci, s’adressant aux paysans : «Le pire qui puisse nous arriver est que la bourgeoisie réactionnaire prenne le pouvoir. Elle tentera de vous enlever vos terres. Résistez et sortez les fusils s’il le faut ! Elle essayera de tout prendre aux ouvriers et de casser toutes les réalisations de la révolution. Aidée par l’impérialisme, elle tentera de supprimer toutes les traces de dignité pour que le khemmas redevienne khemmas et que Kaddour et Amar prennent les places de Claude et Pierre…» Dans cette Algérie de fin 2006, à l’heure du démantèlement du secteur public, du bradage à large échelle, de l’exploitation la plus éhontée des ouvriers par le secteur privé trabendiste, avec des salaires ridicules et l’absence de protection sociale — sans compter l’emploi de mineurs —, à l’heure où l’agriculture des copains, renflouée à coups de milliards, n’arrive qu’à alourdir la facture alimentaire, à l’heure où les plus riches et les plus puissants s’envolent pour se faire soigner à l’étranger, laissant nos hôpitaux, surchargés et sous-équipés, gémir de douleur et hurler de colère, à l’heure où l’industrie nationale publique et privée — des femmes et des hommes ont continué de relever le défi — se heurte au bazar et à la puissante maffia de l’import- export que va conforter l’accord avec l’OMC, à l’heure où l’artisanat et le tourisme se meurent, où l’école sinistrée de Benbouzid se découvre une nouvelle réforme, décriée par les enseignants compétents — encore une, allez-y, comme dirait mon ami Zoubir Souissi : (Source : wikipedia)
Par Maâmar FARAH
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L’autre jour, le présentateur du journal télévisé bombait le torse en nous annonçant pompeusement que l’espoir de vie chez les Algériens avait grimpé à 75 ans ! Oui, c’est une belle prouesse, si l’on se souvient des conditions pénibles dans lesquelles croupissait ce même Algérien au lendemain de l’indépendance.
Les poux plein les cheveux, les pieds nus dans la boue ou sur la chaussée ardente, la maladie, la faim, l’ignorance, le gourbi : c’était le lot de la majorité des autochtones. Mais si l’espoir de vie a atteint cette moyenne appréciable, à qui le mérite ? Voilà ce qu’a oublié de préciser le présentateur du JT. Pour en arriver là, il a fallu prémunir cet Algérien de toutes les épidémies mortelles. Il a fallu lui offrir une bonne prise en charge sanitaire, des médicaments gratuits, des produits de première nécessité à bas prix ; il a fallu qu’il étudie dans de bonnes conditions et sans ruiner ses parents, qu’il s’épanouisse socialement et culturellement… Et ce n’était pas rien, quand les caisses de l’Etat étaient pratiquement vides et que le pays ne comptait que quelques ingénieurs et techniciens ! Soyons sérieux et n’insultons pas le passé, tout le passé, pour des coquetteries intellectuelles et ne mettons pas tout dans le même chapitre, noirci à volonté, au nom de la formule lapidaire et tentante de «quarante années de dictature» ! L’Algérie d’aujourd’hui n’existait pas au lendemain de l’indépendance. Il n’y avait rien ; rien, à part une petite bande côtière développée comme peut l’être un pays saigné à blanc et dont toute l’économie était orientée vers l’exportation de matières premières en direction de la Métropole. Dans les villes et les villages coloniaux, gracieux comme une carte postale et équipés convenablement, vivait une société à part, dont le niveau de vie était parmi les plus élevés d’Afrique. Mais, c’était l’Algérie des colons et des pieds-noirs. Les autres, les Algériens d’ici, dont les parents avaient été chassés de leurs terres et refoulés vers les piémonts des montagnes, ne vivaient pas. Ils végétaient dans les bidonvilles, connaissant les affres de la misère et du dénuement total et les plus chanceux d’entre eux étaient soit ouvriers agricoles, soit portefaix dans les marchés, ou, encore femmes de ménage chez les colons !
N’insultons pas la mémoire !
Il a fallu tout créer ! N’insultons pas la mémoire de ceux qui ne sont plus là et qui ont cru que le rêve était possible, qui ont bâti des écoles partout, des usines, des centres de santé dans les coins les plus reculés, qui ont tracé des routes et introduit le progrès aux quatre coins du pays ; n’insultons pas la mémoire de ceux qui ont consacré leur vie à planifier, étudier, réfléchir pour que le gaz de ville, privilège de deux ou trois centres, aille partout ; que l’électricité, totalement absente des foyers algériens, pénètre les cités populaires et les douars ; que l’eau potable, qu’on allait chercher dans les fontaines publiques, devienne un élément incontournable du milieu domestique ; que les fosses septiques soient bourrées de mortier et oubliées, au profit de réseaux d’assainissement modernes, que les salles de bains remplacent le hammam, que la télévision, captée par une infime minorité d’Algériens à Oran, Alger et Constantine, étende son réseau à tout le territoire national, à travers la diffusion hertzienne, puis par satellite. Dès 1975, l’Algérie utilisait le satellite pour porter le faisceau du programme national jusqu’au Hoggar et Tassili, devenant l’un des premiers pays au monde à avoir accès à cette technologie, utilisée, à l’époque, seulement par quelques opérateurs aux Etats-Unis, au Canada et en URSS ! Il a fallu former des enseignants, des ingénieurs agronomes, des techniciens dans le bâtiment et le génie civil, des pilotes, des gendarmes, des médecins, des infirmières, des chercheurs, des pétroliers, des urbanistes, et j’en passe.
Gloire aux visionnaires !
Jeudi dernier, je rêvais à une Algérie qui, non seulement disposerait de fusées, mais les ferait également décoller de Hammaguir. Un ami m’a traité de fou ! Alors, comment devrais-je désigner ces visionnaires qui ont dressé le Barrage vert, muraille d’arbres allant de Tébessa à El Bayadh et que j’ai parcouru de long en large, rencontrant des jeunes, appelés sous les drapeaux, fiers de participer à une gigantesque œuvre d’édification nationale à l’heure où l’ANP plantait des arbres aussi ! Comment devrais-je appeler ces pionniers qui ont porté le goudron jusqu’à Tamanrasset, et bien au-delà, et tous ceux qui ont bâti des centaines de villages agricoles ? Comment devrais-je traiter ces bâtisseurs au long cours qui ont cru qu’il était possible de convoquer les deux génies japonais et brésilien de l’architecture mondiale pour leur confier les plans de deux bijoux universitaires trop souvent oubliés : Constantine et Bab Ezzouar ? Comment qualifier ces promoteurs qui ont ouvert le pays à l’informatique, à une époque où cette science échappait encore au tiers-monde, faisant du CERI la première grande école supérieure d’Afrique formant des ingénieurs dans cette spécialité ! Comment traiter ces hommes qui ont cru qu’il était possible de nationaliser le pétrole et le rendre à son propriétaire ? Et ceux qui ont cru qu’il était possible de traiter le minerai de l’Ouenza ici, à El- Hadjar. Et le complexe est encore là, produisant cet acier dont nous avons tant besoin pour bâtir et bâtir encore ! Comment traiter ceux qui ont eu l’idée folle de liquéfier le gaz et le mettre dans de beaux et grands méthaniers qui sillonnent le monde ? Comment qualifier ceux qui ont osé présenter un film algérien au festival de Cannes et cru en ses chances jusqu’au bout ? Et ceux qui ont introduit la réforme sportive dont les fruits avaient pour noms Madjer, Belloumi, Assad et tant d’autres ? Comment appeler ces fous qui ont placé quelques camions de la Sonacome dans la prestigieuse course du Paris- Dakar ? J’étais là et, sur les pistes brûlantes du désert, dans les forêts sénégalaises, la brousse nigérienne et les plateaux de ce qui s’appelait alors Haute-Volta (le Burkina actuel), j’ai vu notre véhicule national damer le pion à Saviem, Lan, Mercedes et tant d’autres marques prestigieuses. De petits chauffeurs du Grand Sud, nourris aux pois chiches, chauffés par quelques verres de thé à la menthe sirotés après les prières matinales : j’ai vu ces gars au cœur grand comme ça, mais sans étoiles, battre les plus prestigieux des pilotes de course ! Comment appeler ceux qui avaient planifié la construction d’un réacteur nucléaire à Draria ? Et ceux qui en firent autant à Aïn Oussera, avec un centre beaucoup plus important, que les impérialistes avaient voulu bombarder à une époque où ils voyaient d’un mauvais œil les efforts d’émancipation de notre pays ? Je peux citer à l’infini la liste des «folies» qui ont permis à ce pays de se hisser au firmament de la légende tiers-mondiste, avant qu’un ouragan de force six n’emporte tous nos espoirs ! Avant que la néo-bourgeoisie, fabriquée à l’usine de la contrefaçon, revancharde, égoïste, ne vienne détruire ce beau rêve.
Une lignée d’arbres debout et fiers
Un jour, c’était peut-être dans la plaine de Aïn-F’houl (Tlemcen) ou du côté de Belghimouz (Jijel), quelque part sur cette terre généreuse et arrosée de la sueur des braves, j’avais entendu Boumediene dire, à peu près ceci, s’adressant aux paysans : «Le pire qui puisse nous arriver est que la bourgeoisie réactionnaire prenne le pouvoir. Elle tentera de vous enlever vos terres. Résistez et sortez les fusils s’il le faut ! Elle essayera de tout prendre aux ouvriers et de casser toutes les réalisations de la révolution. Aidée par l’impérialisme, elle tentera de supprimer toutes les traces de dignité pour que le khemmas redevienne khemmas et que Kaddour et Amar prennent les places de Claude et Pierre…» Dans cette Algérie de fin 2006, à l’heure du démantèlement du secteur public, du bradage à large échelle, de l’exploitation la plus éhontée des ouvriers par le secteur privé trabendiste, avec des salaires ridicules et l’absence de protection sociale — sans compter l’emploi de mineurs —, à l’heure où l’agriculture des copains, renflouée à coups de milliards, n’arrive qu’à alourdir la facture alimentaire, à l’heure où les plus riches et les plus puissants s’envolent pour se faire soigner à l’étranger, laissant nos hôpitaux, surchargés et sous-équipés, gémir de douleur et hurler de colère, à l’heure où l’industrie nationale publique et privée — des femmes et des hommes ont continué de relever le défi — se heurte au bazar et à la puissante maffia de l’import- export que va conforter l’accord avec l’OMC, à l’heure où l’artisanat et le tourisme se meurent, où l’école sinistrée de Benbouzid se découvre une nouvelle réforme, décriée par les enseignants compétents — encore une, allez-y, comme dirait mon ami Zoubir Souissi : (Source : wikipedia)
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