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Karim Zéribi, grande gueule des banlieues

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  • Karim Zéribi, grande gueule des banlieues

    Karim Zéribi quitte le centre culturel de Vaulx-en-Velin comme une star. Les jeunes de la banlieue lyonnaise venus participer à un Salon de recherche d'emploi organisé par la SNCF se pressent autour de lui pour lui taper sur l'épaule, lui serrer la main, le remercier. Quand il s'engouffre dans sa voiture, quelques-uns lui font encore un geste amical à distance. Un peu plus tôt, il avait été chaleureusement applaudi par 400 jeunes chômeurs, presque tous issus de l'immigration.

    Le conseiller "égalité des chances" de l'entreprise ferroviaire vient pourtant de leur tenir un discours extrêmement ferme. Presque désagréable même. "Vous devez sortir de la culture du fatalisme pour passer à la culture du possible. Vous n'êtes pas les enfants malheureux de la société française !, leur a-t-il lancé. Chacun doit prendre son destin en main. Nous, à la SNCF, on vient chercher les meilleurs. Montrez-nous que c'est vous !" D'abord estomaquée par la dureté et le caractère inhabituel du propos, la salle a semblé hésiter. Puis l'a applaudi sans réserve.

    Dans la voiture qui le ramène à la gare, Karim Zéribi, président du Parlement des banlieues, une institution autoproclamée chargée de porter la voix des quartiers, ne cache pas sa satisfaction d'avoir bousculé son public. "Je peux leur parler comme ça parce qu'ils sentent bien que ma fermeté veut d'abord dire que je les reconnais à part entière."

    A 40 ans, cette figure de l'élite beur veut voir dans cette réaction un signe politique. Les banlieues n'attendent pas de discours démagogique ou "angélique" qui invoquerait l'"excuse sociologique" pour justifier l'échec ou la violence dans les quartiers populaires. Homme de gauche, Karim Zéribi veut aussi remuer le Parti socialiste, l'amener à "réviser son logiciel" sur la sécurité, l'immigration, l'emploi. Dynamiter la bonne conscience de la gauche et l'obliger à mettre les mains dans le cambouis de la banlieue. "Ne plus être dans l'incantation, mais dans la République concrète."

    En 2002, il croyait en Jean-Pierre Chevènement. Aujourd'hui, en Ségolène Royal et sa vision de l'"ordre juste". Il a invité la candidate socialiste devant le Parlement des banlieues, à Bondy (Seine-Saint-Denis), en novembre, pour lui faire entendre ce que pensent les "cités". Celle-ci a promis de retenir quelques-unes des propositions formulées. "Elle nous a dit ce qu'on voulait entendre. Mais c'est peut-être le début de quelque chose", se réjouit-il.

    Karim Zéribi se voit jouer un rôle de premier plan dans le rapprochement entre les quartiers populaires et la gauche. Là où beaucoup tenteraient de masquer leur désir de réussite, lui joue franc jeu : "C'est interdit d'avoir de l'ambition personnelle ?" Ambitieux, convaincu de sa force, certain de ses capacités, il rêve de faire de la politique, de devenir député, et pourquoi pas ministre ?

    Il a déjà l'expérience des cabinets ministériels, entre 1999 et 2000, lorsqu'il conseillait le ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, sur la banlieue. Une expérience "fantastique". "Deux années de cabinet valent dix ans d'école", résume cet autodidacte qui a arrêté les études à 15 ans pour tenter une carrière (avortée) de footballeur professionnel.

    Mais ce type de poste, dans l'ombre de la République, ne le satisferait plus. "Je n'ai pas de complexe, je veux gagner. Aujourd'hui, je revendique autre chose que de porter les valises." Il rêverait d'être investi par le PS pour les législatives à Marseille, mais ses chances sont quasi nulles dans la mesure où un conseiller général a déjà été désigné. A défaut d'être soutenu par les socialistes, il n'exclut pas d'y aller tout seul, sous l'étiquette "divers gauche".

    Dans ce nouveau combat, il ne part pas sans munitions. Ses expériences associatives locales à Avignon et Marseille lui permettent de garder le contact avec les quartiers. L'animation du Parlement des banlieues lui apporte une vision d'ensemble. Depuis février 2006, il est aussi conseiller "égalité des chances" à la SNCF, chargé de la diversité dans l'entreprise publique. Avec de premiers succès : en 2005, sur 4 500 recrutements, l'entreprise avait embauché 200 personnes venues des zones urbaines sensibles ; pour les dix premiers mois de 2006, elle en recense déjà 400.

    Une action concrète, mais surtout pas de la discrimination positive, un concept qu'il combat au nom de l'idéal républicain et de sa propre expérience. Ses grands-pères avaient émigré d'Algérie respectivement dans les années 1940 et 1950 pour venir travailler l'un en usine et l'autre sur le port de Marseille. Il reste admiratif de leur courage et de leur engagement, surtout de la part de son grand-père paternel, devenu syndicaliste. Ses grands-mères, une musulmane, une catholique, lui ont appris les vertus de la laïcité. "Elles m'ont transmis une force incroyable."

    Le "gamin des quartiers Nord" de Marseille est un bateleur hors du commun. Sa capacité de conviction avait séduit Jean-Pierre Chevènement lors d'un colloque. Elle a tapé dans l'oeil d'Alain Weill, le PDG de RMC. Karim Zéribi était venu à l'antenne présenter son livre, Le Sauvageon de la République (éd. JC Lattès, 2003), qui retraçait son expérience au ministère de l'intérieur.

    "On l'avait trouvé excellent, donc on lui a demandé de revenir", explique le PDG de la radio. Depuis deux ans, il est devenu un des piliers de l'émission phare de RMC, "Les grandes gueules". Un rendez-vous quotidien avec 900 000 auditeurs, qui plébiscitent, selon Alain Weill, ses prises de position "déroutantes" et "inattendues", émises avec un accent inimitable, mélange de tonalités marseillaises et maghrébines.

    "C'est ce que j'appelle un Beur moderne, explique son amie, la réalisatrice Yamina Benguigui. Il sait d'où il vient, mais il sait aussi qu'il appartient, comme n'importe qui, à la société française. Cela explique son désir d'engagement." Elle y voit l'explication de son républicanisme et de sa capacité à assumer son ambition personnelle. "Il s'est fait tout seul", ajoute, admiratif, Bernard Debré, député de Paris (apparenté UMP), qui le côtoie dans l'émission.

    Comme les footballeurs, il a construit sa carrière à la volonté et au "mental". De son expérience personnelle, ce père de quatre enfants déduit que tout est toujours possible. A condition de travailler, de s'accrocher. "C'est pour ça qu'il faut tenir un discours de vérité aux jeunes des banlieues. On ne peut s'en sortir que par le travail." A Vaulx-en-Velin, le message est passé.



    Luc Bronner

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    Parcours

    1966
    Naissance à Avignon.


    1986
    Contrat de footballeur professionnel stagiaire à Laval.


    1990
    Agent commercial pour la SNCF.


    1999
    Conseiller du ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement.


    2006
    Conseiller du président de la SNCF sur les questions d'égalité des chances.




    Article paru dans l'édition du 12.01.07
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