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    ÉDUCATION




    Il y a des moments où je me demande si tu mérites un père comme moi ?

    Déjà tout petit, t'étais pas assez malin pour piquer un chewing-gum dans les magasins. Tu hésitais devant le choix. Tu regardais autour de toi. T'avais l'air si coupable d'avance que c'est comme si t'allumais des clignotants.

    Alors, forcément, la vendeuse :

    - Hé, petit ! Retourne tes poches !

    La première fois, ça passait. Tu bredouillais un peu. Tu rougissais beaucoup. On te laissait partir. Sans ton chewing-gum, c'est vrai, mais avec une bonne tartine de morale.

    La morale, ils adorent ça, les vendeurs, les surveillants de grands magasins, mâles et femelles, tous tant qu'ils sont !

    Ça leur procure d'ineffables jouissances. Ça les gratte dans l'entrejambes du cœur; là où ça sent le vieux rance clérical et la graisse à sornettes. Beuark !

    La deuxième fois, ça grinçait davantage.

    Et la troisième, recta, on venait me chercher !

    - Votre fils, monsieur, c'est un voyou ! Comment l'avez-vous éduqué ?

    - Eh bien, voyez-vous, je ne l'ai pas éduqué.

    - Ça se voit! Nom de Dieu, ça se voyait, quelle honte !

    Alors, j'ai juré publiquement de faire ton éducation.

    Je t'ai tout d'abord appris l'art de mentir, les yeux dans les yeux. Le b.a. ba, quoi !

    Souviens-toi de ma première leçon :

    « Puisque, pour les caves, l'œil est la fenêtre de l'âme, il te faut peindre sur les vitres l'honnêteté et la candeur. Aucun escroc ne fait long feu s'il n'a le regard franc. C'est la base même de l'entôlage. »

    Quand tu as pu fixer les caissières avec un regard d'enfant de chœur, un regard si touchant qu'elles en fondaient :



    « Ah, si seulement je pouvais avoir un gosse comme celui-ci ! » nous étions assez fiers de toi, ta mère et moi.

    Surtout quand, soulevant ton blouson, tu en tirais un jambon commac, ou une roteuse pas trop dégueu. Tu arrangeais nos fins de mois en payant tes cours, en somme.

    Plus tard, bien sûr, je t'ai appris à distinguer les champagnes de qualité des topettes sans envergure, le caviar des œufs de lompes, les bas de soie des fils nylons. Tu es devenu connaisseur.

    Après l'étalage, je t'ai appris le vol à la carre, à l'américaine, au rendez-moi, à l'escalade, avec ou sans effraction.

    Mais jamais à main armée. Jamais !

    Je suis contre toute violence.

    Un voleur, un fraudeur, un escroc, c'est un artiste qui vit de baraterie, baratin, virtuosité. On admire sa science !

    Dérober, chiper, détourner, soustraire, escamoter, subtiliser, ça tient de l'art du magicien, du don de prestidigitation.

    On peut applaudir.

    Mais si tu menaces pour obtenir, tu n'es jamais rien qu'un militaire. Un reître sans éducation. Autrement dit, un brigand.

    Que tu pointes le surin ou le flingue, tu n'es plus un voleur, métier noble, t'es un malfaiteur et un lâche.

    Tu fais honte à la profession.

    Mais bon, tu as les doigts habiles, furieusement crocheteurs et c'est plaisir que de te voir plumer l'oie sans la faire crier.

    Aussi, t'ayant enseigné les subtilités du vol, celles du mensonge, de l'arnaque, de la corruption, de la fraude, du chantage et de l'escroquerie, je m'attendais à ce que tu me dises :

    « Père, j'ai trouvé ma voie. Je veux devenir avocat et puis politicien ! »

    J'aurais tué le veau gras et éventré ma meilleure barrique pour fêter cette réussite !

    Hélas, tu as trahi les tiens ! Tu as profité de mon enseignement pour mettre ton savoir au service de la société. Tu es entré dans la police.

    Il y a des moments, vois-tu, où je me demande si tu mérites un père comme moi ?

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