Le gouvernement de Boris Johnson a décidé de faire sentir aux citoyens européens qu’ils ne sont plus les bienvenus sur le territoire britannique. «Les cas de refoulement et de détention que l’on a recensés montrent que les autorités britanniques sont particulièrement sévères à l’égard de nos ressortissants, ce qui dénote un état d’esprit, s’agace un diplomate français. Ils veulent envoyer le signal politique qu’il est désormais difficile de venir au Royaume-Uni.» Si l’utilité diplomatique de ces mauvais traitements est pour le moins douteuse, le bénéfice de politique intérieure est évident : «La souveraineté se construit d’abord contre l’Union et cela plaît à l’électorat conservateur et à la presse populaire», constate le même diplomate.
«Baby-sitting». A Bruxelles, l’attitude des services de police britanniques a été décortiquée :«Clairement, ils veulent piéger les jeunes qui arrivent en leur faisant dire qu’ils vont travailler même quelques heures, ce qui depuis le 1er janvier est impossible sans visa ad hoc, explique un diplomate européen. Si le malheureux dit qu’il va faire du baby-sitting, il est envoyé en centre de rétention avant d’être expulsé. Nous avons la conviction qu’il ne s’agit pas de zèle administratif après le retrait de l’Union et du marché unique, mais que c’est une volonté politique de discriminer les Européens.» La Commission a fait part à Londres de son agacement que des ressortissants de l’Union soient placés en rétention : «Ils nous ont dit que
c’était à cause du Covid, mais il a bon dos. Depuis, ils ont arrêté cette pratique, ce qui montre que c’était volontaire», déplore un fonctionnaire européen. A Bruxelles, on n’apprécie pas non plus que le Royaume-Uni pratique des tarifs différenciés selon la nationalité pour les visas de travail ou de long séjour (de plus de six mois, en dessous,un passeport suffit). En particulier, les Bulgares et les Roumains payent bien plus cher que les
autres Européens : «Quand on parle aux autorités britanniques des pays européens en dehors de l’Irlande, de l’Allemagne et de la France, ils ne cachent pas leur mépris, parlant même de "garbage countries" (pays poubelles)», s’offusque un diplomate de haut rang.
L’affaire, même si elle ne concerne que peu de monde à cause de la fermeture des frontières en raison de la pandémie de coronavirus, est prise très au sérieux par les chefs d’Etat et de gouvernement qui l’ont abordée lors de leur sommet des 24 et 25 mai. Ils ont rappelé à Londres l’esprit qui doit présider à la mise en œuvre des accords de retrait et de libre-échange, en particulier le principe de non-discrimination entre pays européens. «Londres croit qu’il va nous diviser, il se trompe lourdement, souligne un diplomate. On lui signale que désormais le traitement des citoyens européens est dans notre radar, que ça nous agace très sérieusement et qu’on ne lâchera pas le sujet.»
Le problème est que, juridiquement, le traitement des citoyens européens est dans une «zone grise» comme on le souligne à Bruxelles : dès lors qu’il s’agit de citoyens ne résidant pas au Royaume-Uni avant le Brexit, Londres peut les traiter comme il l’entend. «Ce n’est plus une
compétence de l’Union, c’est une affaire qui relève des relations bilatérales entre les Etats membres et le Royaume-Uni à condition qu’il n’y ait pas de discrimination.»
Néanmoins, la Commission estime qu’il y a un lien politique entre le traitement des citoyens et la mise en œuvre de l’accord de retrait ainsi que celui formalisant les relations post-Brexit avec l’Union : «Si les Britanniques s’imaginent qu’on va [accéder à leurs demandes], par exemple,
[sur] leurs services financiers ou [l’accès] à certaines de nos politiques s’ils continuent à maltraiter nos citoyens, ils se trompent», tranche-t-on à la Commission.
Rétorsion. «D’autant qu’ils n’appliquent pas correctement l’accord que nous avons conclu sur la pêche et qu’ils essayent de nous entraîner dans une renégociation du protocole sur l’Irlande du Nord qui permet de maintenir la frontière ouverte entre les deux Irlandes, s’emporte un
diplomate européen. La pression va monter, car il faut qu’ils comprennent qu’ils ne parviendront pas à leurs fins.» On rappelle à Bruxelles qu’il y a des procédures de recours prévues et que l’Union peut aussi décider de mesures de rétorsion, notamment en imposant des droits de
douane sur les marchandises britanniques…
Le Slovaque Maros Sefcovic, vice-président de la Commission, se rend à Londres mercredi où
doit se tenir un «comité conjoint» sur le suivi de l’accord de retrait et la première réunion du
«conseil de partenariat» sur la mise en œuvre de la «relation future» entre l’Union et le
Royaume-Uni. L’occasion de rappeler que l’Europe n’a aucune intention de se laisser maltraiter.
a suivre...