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Arnaud Lacheret, politiste : « On étudie trop peu les réussites ordinaires des enfants d’immigrés »

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  • Arnaud Lacheret, politiste : « On étudie trop peu les réussites ordinaires des enfants d’immigrés »


    Le docteur en science politique publie le fruit d’une série d’entretiens avec des enfants d’immigrés nord-africains. Il en tire plusieurs enseignements, et notamment la faible influence de la religion sur les parcours d’intégration.


    Arnaud Lacheret, 46 ans, est professeur associé et directeur de programme à la Skema Business School sur le campus du Grand Paris, à Suresnes (Hauts-de-Seine). Docteur en science politique, il est l’auteur de quatre livres, tous publiés aux éditions Le Bord de l’Eau : Les Territoires gagnés de la République ? (2019), La femme est l’avenir du Golfe. Ce que la modernité arabe dit de nous (2020), Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française (2021), et enfin Les Intégrés. Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine (192 pages, 18 euros), dont il parle ici.

    Votre premier livre s’appelait « Les Territoires gagnés de la République ». Vous venez de publier « Les Intégrés ». Votre démarche est-elle fondée sur l’optimisme ?


    Le livre en soi n’est pas si optimiste mais il part du principe que les personnes intégrées sont le point aveugle de la recherche française qui se focalise sur les échecs, les discriminations, les problématiques sécuritaires, mais très rarement sur les réussites ordinaires. Or si l’on veut intégrer, il faut étudier ceux qui y sont parvenus. Leurs récits sont optimistes, mais ce sont davantage les difficultés et les obstacles rencontrés que j’ai voulu étudier.

    On entend souvent que l’ascenseur social est en panne. Vous semblez penser le contraire au terme de votre recherche…


    Les chiffres sont assez étonnants : en une génération, l’accès aux postes de cadres et à l’enseignement supérieur des enfants d’immigrés nord-africains arrive à une proportion comparable à la moyenne nationale. On s’aperçoit qu’ils occupent toutes sortes de postes à responsabilité et qu’on ne le remarque pas. Quelque part, cette indifférence de la population majoritaire française est une preuve de leur intégration. Dans l’enseignement supérieur, n’importe quel professeur le voit : les amphis d’il y a dix ans étaient nettement moins diversifiés que ceux d’aujourd’hui, particulièrement dans les formations qui promettent une insertion économique rapide comme les écoles de commerce, y compris les plus prestigieuses.

    Quelle est, selon vous, la raison d’un tel différentiel de réussite en faveur des femmes d’origine arabe en France par rapport à leurs frères ?


    Les filles doivent systématiquement négocier, souvent avec leur père, dans leur jeunesse pour obtenir ce que leurs frères obtiennent beaucoup plus facilement. Cela s’explique par la nature de l’immigration nord-africaine des années 1970 : souvent les pères sont venus seuls depuis des zones rurales des pays d’Afrique du Nord et ont reproduit des traditions patriarcales et conservatrices quand ils ont fondé un foyer en France. Les codes ruraux méditerranéens, où les filles doivent être surveillées de près au sein de la famille, du clan, du village, ont été reproduits en France.

    Confrontées à la société française, qui peut être discriminante et obéit à des codes particuliers, les filles gardent cette habitude de négocier, de se battre pour obtenir un poste, un droit, là où les garçons ont nettement moins cette habitude et soit changent de voie, soit se fracassent contre l’obstacle et deviennent beaucoup plus sensibles à des discours qui peuvent les éloigner d’une intégration dans la société française.

    Quel rôle jouent les interactions avec la police dans le cas des jeunes hommes ?


    Parmi les hommes interrogés, ceux qui ont vécu dans les quartiers ont presque tous eu affaire aux forces de l’ordre. Cependant, même les quelques hommes ayant été brièvement arrêtés, voire violentés, par les forces de l’ordre pendant leur jeunesse n’en font pas un élément décisif de leur parcours. Au contraire, des jeunes interrogées dans les médias ou par d’autres sociologues, ceux que j’ai interviewés ont réussi socialement et ont tendance à mobiliser la notion de responsabilité individuelle en indiquant que ceux qui ont souvent affaire à la police sont responsables de ce qui leur arrive.

    Ce qui revient aussi, c’est la notion de défi. L’interaction avec la police est présentée comme une sorte de rite initiatique au cours duquel il y a ceux qui s’en sortent et ceux qui échouent, un peu comme un processus de sélection dont les hommes que j’ai interrogés seraient les gagnants.

    En matière d’intégration, quel paramètre vous paraît primer : le culturel ou l’économique ?


    On me reproche souvent d’ignorer le culturel, mais en fait, quand on passe cinquante heures par semaine, repas compris, dans le milieu professionnel à côtoyer des gens différents, on acquiert leurs codes culturels. Bien entendu, certains rentrent à la maison et changent de comportement, mais la socialisation dans le milieu professionnel permet une acquisition des codes de la société majoritaire. L’économique et le culturel sont donc étroitement liés.

    Quelle est la part de la religion dans les freins à l’intégration ?


    L’islam joue un rôle assez réduit concernant l’intégration des enfants d’immigrés. Leurs parents sont musulmans, mais n’ont souvent qu’une pratique limitée, importée depuis les pays maghrébins dans les années 1960-1970. Bien entendu, lorsqu’il s’agit d’accepter un mariage exogame, les choses sont plus compliquées.

    La religion commence à poser un problème en termes d’intégration à partir du moment où elle est réintroduite et cible les descendants d’immigrés de la fin des années 1980 à nos jours. Elle est souvent plus rigoureuse dans sa pratique et assez déconnectée de la société dans laquelle vivent les personnes qui se réislamisent, ce qui, évidemment, pose des problèmes lorsqu’il s’agit d’adopter les codes de la société majoritaire. C’est peu ou prou ce que prônait Tariq Ramadan, et force est de constater que son idée de réislamiser les descendants d’immigrés en Occident a relativement bien fonctionné et constitue un facteur qui peut jouer sur les frustrations que ressentent les descendants d’immigrés en cas d’échec.




    « Les Intégrés. Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine », d’Arnaud Lacheret (éditions Le Bord de l’Eau, 192 p., 18 €)




    « Les Intégrés », fruit d’une enquête « empirique »

    Arnaud Lacheret est un « empiriste », ce n’est pas une école de pensée, même si en sciences sociales rien ni personne n’est jamais neutre. Il aime avant tout le terrain, l’échange. Après les banlieues, l’émancipation des femmes dans les monarchies du Golfe et de la réussite de celles de l’immigration maghrébine en France, le voilà qui s’intéresse aux « intégrés », ces enfants de la réussite sociale issus de l’immigration, hommes et femmes mélangés dans son livre Les Intégrés. Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine (éditions Le Bord de l’Eau, 192 pages, 18 euros) . Au lieu d’aligner les statistiques, il leur donne la parole à travers quelque soixante-dix entretiens.

    Voilà pour le terrain ! Versant théorique, la préface de son dernier ouvrage par le sociologue Gérald Bronner donne des pistes. Mais il suffit de lire l’introduction rédigée par Arnaud Lachereret pour savoir « d’où il parle » : il y livre une biographie sommaire et courageusement honnête dans laquelle on apprend que les questions de l’immigration et de l’intégration lui ont été à peu près totalement étrangères dans sa jeunesse passée dans la petite classe moyenne du nord de l’Ardèche. Cela ne donne que plus de prix à son ouvrage plein d’empathie et de curiosité intellectuelle.


    Christophe Ayad
    Dernière modification par HADJRESS, 04 octobre 2023, 15h55.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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