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Des femmes enceintes et des mères avec des nouveau-nés sans hébergement d’urgence

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  • Des femmes enceintes et des mères avec des nouveau-nés sans hébergement d’urgence

    Alors que le nombre de places a été réduit par le gouvernement, des personnes au profil prioritaire se retrouvent à la rue ou restent hébergées dans des maternités, bloquant des lits. Des situations non sans répercussions sur la santé des femmes et des nourrissons.

    Par Claire Ané et Minh Dréan


    Maryse Rossi (à gauche), sage-femme de l’équipe mobile périnatalité de l’association Basiliade, à Paris, le 21 novembre 2023. CAMILLE GHARBI POUR « LE MONDE »

    Fatoumata (le prénom a été modifié) entre dans le café, très droite, sa fille serrée contre elle dans un porte-bébé. La mère s’est habillée avec soin, l’enfant de 3 semaines porte un joli pyjama fleuri. Rien ne permet de soupçonner l’extrême précarité qui est la leur. Il y a plusieurs mois, Fatoumata s’est résolue à quitter la chambre d’hébergement d’urgence qu’elle partageait avec une autre sans-domicile. « Je ne dormais pas, à cause des punaises de lit et de mon hépatite B. Je passais la nuit à me gratter. Toute seule, ça pouvait aller, mais pas enceinte », dit-elle.

    Les équipes parisiennes du numéro d’urgence 115, maintes et maintes fois appelées, n’ont pas été en mesure de lui proposer un nouveau toit. Elle a dormi jusqu’à l’accouchement, sur le canapé d’une dame rencontrée dans le salon de coiffure afro où elle travaillait. Elle explique que, sitôt l’enfant née, à l’hôpital Lariboisière, elle appelait « tout le temps, de 6 heures le matin jusqu’à tard le soir. » Il lui a fallu deux jours pour réussir à joindre un écoutant de ce service débordé. Sept jours après la naissance, elle a dû sortir de la maternité, sans solution d’hébergement.

    Si elle avait accouché il y a un an, elle n’aurait quitté l’hôpital qu’une fois obtenue une chambre en centre ou en hôtel, où, en vertu du droit à la continuité de l’hébergement d’urgence, elle aurait pu rester aussi longtemps que nécessaire. Mais la situation s’est dégradée. Après avoir atteint un nombre record de 205 000 places d’hébergement d’urgence durant l’hiver 2022-2023, et consommé l’essentiel des crédits prévus pour l’année 2023, le gouvernement a décidé de réduire la voilure, bien que le besoin n’ait pas faibli.

    En Ile-de-France, fin juin, la Préfecture a annoncé aux associations gérant ces places qu’il fallait en fermer 3 000. Pour Paris, la perte, bien que limitée à 200 ou 300 places, a conduit à revoir des critères déjà drastiques. « Depuis septembre, nous n’arrivons même plus à répondre à toutes les personnes en priorité 1, dont font partie les femmes enceintes de plus de sept mois et les familles avec des bébés de moins de 3 mois. C’est inédit et [cela] montre une défaillance du système », reconnaît la directrice générale du Samusocial de la capitale, Vanessa Benoît.

    « Presque plus personne ne peut entrer dans le dispositif »


    La situation est encore plus compliquée en Seine-Saint-Denis, où l’Etat a souhaité supprimer 2 000 places. « On a obtenu de fermer des places progressivement, sans remises à la rue, afin de respecter la continuité de l’hébergement prévue dans la loi. Mais presque plus personne ne peut entrer dans le dispositif », déplore le directeur adjoint de l’association Interlogement93, Maxence Delaporte. Lors du dernier décompte, le 5 décembre, 700 personnes sont restées à la rue bien qu’elles aient réussi à joindre le 115. Parmi elles, 51 étaient des femmes enceintes et 95 étaient des enfants de moins de 3 ans


    Fatoumata et son nouveau-né, à Paris, le 21 novembre 2023. CAMILLE GHARBI POUR « LE MONDE »

    Dans ce contexte, Fatoumata a eu de la chance. Alors qu’elle errait après sa sortie de la maternité, une maraude du Samusocial l’a repérée et adressée à l’équipe mobile périnatalité de l’association Basiliade. Le 115 lui a trouvé un hébergement d’urgence, dans Paris, ce qui est devenu rare – de nombreux hôtels y sont revenus à leur vocation touristique après la crise due au Covid-19 ou ont fermé pour travaux en vue des Jeux olympiques de Paris 2024. Plus rare encore, « c’est un bon hôtel, avec un frigo, un matelas en bon état et même un lit bébé », dit Nora Zedek, l’assistante sociale de l’équipe mobile, avant d’ajouter : « Elle ne profite pas, elle pense à la suite. » « Dans mon hôtel, ils ont mis une famille dehors aujourd’hui. J’ai pleuré », confie Fatoumata.

    « C’est une catastrophe !, s’indigne Julia Lucas, assistante sociale de Solipam, un réseau qui suit des femmes en grande précarité durant leur grossesse et jusqu’aux 3 mois de l’enfant. En 2022, on avait 37 % de femmes à la rue à l’entrée dans notre dispositif. En 2023, c’est 60 % ! Et malgré nos efforts,en novembre, un tiers étaient toujours ou à nouveau à la rue au moment de sortir de notre dispositif. » Quand accueil il y a, la discontinuité prime : une jeune mère a eu 25 hébergements différents en quelques mois, situés dans six départements, et connu 18 retours à la rue, où elle se trouve encore.

    L’avocat Samy Djemaoun, qui multiplie depuis décembre 2022 les actions en justice pour faire respecter le droit à l’hébergement d’urgence, se souvient d’avoir déposé coup sur coup, fin octobre, des recours pour trois familles avec des nouveau-nés de moins de 18 jours, auxquelles le 115 n’avait pas pu proposer de solution. Il a défendu plusieurs autres cas similaires depuis. « Il y a encore trois mois, de tels recours permettaient d’obtenir, souvent avant l’audience, une place d’hébergement d’urgence durable. Désormais, même pour des femmes qui ont accouché récemment, j’obtiens surtout des orientations en sas d’accueil temporaire régional, loin de Paris, avec seulement trois semaines d’hébergement garanties », explique-t-il.

    Un coût humain immense


    Cette saturation de l’hébergement d’urgence rejaillit sur les hôpitaux. L’Agence régionale de la santé d’Ile-de-France observe une « augmentation forte depuis quelques semaines » des femmes qui restent à la maternité non par nécessité de soins, mais faute d’autre solution : elle a décompté jusqu’à 50 « bed blockers » (« bloqueuses de lit ») en simultané, au lieu de 20 ou 30 habituellement, sur 27 maternités recensées.

    L’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), est en première ligne. Ses sages-femmes, qui refusent de mettre dehors ces mères en détresse, ont envoyé, le 30 octobre, un courrier d’alerte. Le département de Seine-Saint-Denis a rouvert une centaine de places, mais seulement 6 jeunes mères ont pu quitter la maternité. Treize y restent bloquées.Avec des effets délétères. « On passe des heures à essayer de transférer vers d’autres hôpitaux des femmes qui devaient accoucher chez nous, ou qui viennent d’accoucher. Il faut laisser des mamans dans les couloirs ou dans des salles inadaptées, avec une douche pour 10 accouchées », s’alarme la sage-femme Edith Rain, qui n’a jamais connu une telle situation en 28 années passées dans cet hôpital.

    La chute du nombre d’accouchements pratiqués au sein de la maternitéa pour effet de diminuer ses financements. Mais plus que ce coût financier, c’est le coût humain, immense, qui inquiète. « Rester à l’hôpital n’est pas adapté pour ces femmes qui ont souvent connu un parcours d’exil très traumatique, ou des violences conjugales… Elles sont dans un état désespéré, et ont besoin d’un accompagnement global, que nous ne pouvons pas assurer », décrit Tissia Polycarpe, jeune sage-femme de Delafontaine.

    Pour les femmes laissées ou remises à la rue, le quotidien est plus difficile encore. Parfois, elles reçoivent, tard le soir, une proposition d’hébergement. « Quand on est très enceinte ou qu’on a une cicatrice de césarienne, et qu’il faut prendre les transports avec sa valise, puis monter 4 étages à pied, c’est compliqué », euphémise Maryse Rossi, sage-femme de l’association Basiliade.

    Souvent, il y a la fatigue et l’angoisse des nuits passées à marcher, ou à essayer de dormir dans des bus de nuit, des gares, des halls d’hôpital, des parcs, des squats, ou chez des inconnus. Les vols et les agressions sont fréquents. « Une dame enceinte de 7 mois me confiait avoir dû accepter de coucher avec l’homme qui l’hébergeait. Et ces “services sexuels” ne sont pas rares », raconte une psychologue souhaitant rester anonyme etrattachée à « l’une des quelques maternités parisiennes qui acceptent d’accueillir les patientes à la rue ».

    La création d’une mission parlementaire envisagée


    « Ces femmes sont des guerrières », dit admirative Nora Zedek. Non sans souffrances, complète Maryse Rossi : « Elles ont plus de pathologies, plus de risques de développer un diabète gestationnel, car elles ne mangent pas tous les jours, plus de risques d’accoucher prématurément, plus de risques d’avoir une césarienne. Et plus de risques que leur situation santé mentale se dégrade. »

    Leurs nouveau-nés aussi paient le prix fort. « La mortalité infantile est plus élevée, on a beaucoup de bébés de petit poids, ils sont aussi plus exposés aux bronchiolites. Certains sont épuisés, d’autres ne sourient pas. Leurs parents, accaparés par la survie, n’ont pas les ressources pour se mettre au rythme de l’enfant, le stimuler »,énumère Mme Rossi. L’un des bébés restés plusieurs mois à l’hôpital Delafontaine y a attrapé une grave maladie nosocomiale.

    Dans le bureau parisien de l’équipe mobile périnatalité de l'association Basiliade, le 21 novembre 2023. CAMILLE GHARBI POUR « LE MONDE »

    Quel est l’horizon ? Le ministre du logement, Patrice Vergriete, a annoncé, le 7 novembre, la création de 500 postes dans les services sociaux d’urgence,et le versement de primes à ceux qui y travaillent. « Ces postes sont indispensables pour mieux répondre à ceux qui appellent le 115, pour évaluer les situations et travailler l’accès au logement – à condition qu’il y ait plus de logement social », selon Vanessa Benoît, du Samusocial de Paris.Celui-ci a vu son plafond de nuitées hôtelières rehaussé de 400 places mi-novembre, pour atteindre 17 100, mais ses équipes ne parviennent pas à trouver d’hôteliers volontaires.

    Le ministre déclare au Monde envisager la création d’une mission parlementaire pour mieux connaître la situation des personnes en hébergement d’urgence. Mais il ne prévoit pasd’augmenter le nombre total de places, bien que les sénateurs aient voté en faveur d’une rallonge de 6 000 places pour 2024. « Si rien n’est fait, la maternité de Delafontaine va mourir, car elle n’aura plus de sages-femmes acceptant d’y travailler vu la situation dégradée », prévient Edith Rain. « On n’est même plus capables d’héberger ceux qui sont les plus fragiles. Et il ne faut pas oublier tous les autres publics qu’on laisse à la rue », déplore Maxence Delaporte qui ajoute « craindre des drames pour cet hiver ».
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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