Hommage à Daoud Bouach, assassiné à Bordeaux pour un simple verre de rosé. Et qui, avant de mourir, offrit la plus lumineuse définition de la laïcité.

«Rien ne permet à ce stade de parler d’une attaque terroriste, mais c’est déjà un peu plus qu’une simple rixe », rapporte un journal après l’attaque au couteau à Bordeaux, survenue le 10 avril. Ce n’est donc pas du terrorisme, mais ce n’est déjà plus un « simple » fait divers.
En somme, le tueur a été clair, les juges se sont faits poètes. La langue française, si belle, se perd ainsi dans l’usage d’un infini et lâche euphémisme face au terrorisme. Mais de quoi s’agit-il ? Un homme afghan, en keffieh et qamis, agresse au couteau deux Algériens, parce qu’ils boivent un verre de vin, face à un miroir d’eau, le jour de la fin du ramadan dans une ville française.
Plus tard, la France médiatique parlera d’elle-même vivant sous la menace et de l’Afghan en portrait flouté, pour ne pas heurter les sensibilités politiques. On dira même de cet Afghan qu’il est victime en France d’un mauvais accueil, qui devrait être meilleur que celui des soixante-douze vierges au paradis. On comprendra vite que le prétexte du mauvais accueil est à mettre sur la même échelle sismique que la sentence éculée : « Elle a été violée parce qu’elle portait une minijupe. » On hésitera, par la suite, à trancher entre le terrorisme et l’égratignure.
Un drame d’importance secondaire
Mais qu’est-ce que le terrorisme ? Quand on tue avec un couteau au nom de sa religion ? Ou lorsque le tueur l’articule explicitement en suivant la bonne conjugaison du Littré ? Voici donc un pays qui montre qu’il a peur et qui cherche dans les mots le trou d’autruche qu’il ne trouve pas sur sa terre.
Mais encore ?
Ce sont les deux victimes algériennes dont on n’a pas parlé. L’auteur de ces lignes l’étant aussi, il entrevoit un drame négligé, méprisé, peu « important », ni français ni communautaire, prétexte ni à culpabilité ni à autre chose.
Ce drame, le voici : vivre dans un pays qui a vécu une guerre civile (1992-2002) avec les islamistes en armes, vivre sous la menace des couteaux des égorgeurs, des tueurs, entre fatwa et intolérance, vivre sans apprécier la vie, vivre sans jouir. Puis grandir, traverser la mer en chaloupe et venir en France. Un pays libre, laïque, heureux et riche où l’on peut boire un verre de rosé au soleil un jour de fête. C’est là que l’Algérien qui a échappé aux années de sang les retrouve en embuscade : les « tueurs au nom d’Allah », c’est-à-dire au nom de leur propre personne. Le pauvre Daoud Bouach tombe sous les coups de couteau, condamné par l’interdiction de boire un verre dans la lumière attisée par le printemps, avec le rire du monde autour de soi. Et il est tué.
Un mort doublement ignoré
Alors, voici ce qui arrive : l’Algérien mort n’est pas un héros pour l’Algérie d’aujourd’hui. Qui voudrait d’un buveur dans ce qui est devenu un État islamiste ? Le tué ne l’est pas non plus pour la France, qui recule, se désarme, s’abaisse et se met à genoux face aux culpabilisateurs et autres thuriféraires du communautaire. La victime n’en est pas même une pour l’autre France, car elle n’est pas de nationalité française. Le mort, c’est une sorte de bogue, un accident de l’entre-deux, un détail.
Et pourtant.
L’auteur de ces lignes n’a jamais lu une définition aussi nette, claire et courageuse de la laïcité depuis le texte de loi de 1905. Jamais il n’a entendu un résumé aussi puissant, aussi brave donné à la laïcité en France. Jamais une personne venue d’ailleurs, sans intellectualisme, ni euphémisme torsadé, ni synonymie infinie, ni nuance épuisante et contrite, n’a pu définir la laïcité aussi brièvement, avec la force inouïe du dernier mot d’une vie : « Cela ne te regarde pas. »
C’est ce que cet Algérien, enfant de la postguerre civile en Algérie et de la préguerre d’usure en France, a prononcé avant de mourir. Il l’a dit au tueur. « Boire un verre, au moment où je le veux, cela ne te regarde pas. »
C’était autrefois, et encore quelquefois aujourd’hui, la signification même de vivre en France, en Occident ou en démocratie.
Et peut-être que certains ont raison : ce n’est pas du terrorisme, mais plutôt une défaite

«Rien ne permet à ce stade de parler d’une attaque terroriste, mais c’est déjà un peu plus qu’une simple rixe », rapporte un journal après l’attaque au couteau à Bordeaux, survenue le 10 avril. Ce n’est donc pas du terrorisme, mais ce n’est déjà plus un « simple » fait divers.
En somme, le tueur a été clair, les juges se sont faits poètes. La langue française, si belle, se perd ainsi dans l’usage d’un infini et lâche euphémisme face au terrorisme. Mais de quoi s’agit-il ? Un homme afghan, en keffieh et qamis, agresse au couteau deux Algériens, parce qu’ils boivent un verre de vin, face à un miroir d’eau, le jour de la fin du ramadan dans une ville française.
Plus tard, la France médiatique parlera d’elle-même vivant sous la menace et de l’Afghan en portrait flouté, pour ne pas heurter les sensibilités politiques. On dira même de cet Afghan qu’il est victime en France d’un mauvais accueil, qui devrait être meilleur que celui des soixante-douze vierges au paradis. On comprendra vite que le prétexte du mauvais accueil est à mettre sur la même échelle sismique que la sentence éculée : « Elle a été violée parce qu’elle portait une minijupe. » On hésitera, par la suite, à trancher entre le terrorisme et l’égratignure.
Un drame d’importance secondaire
Mais qu’est-ce que le terrorisme ? Quand on tue avec un couteau au nom de sa religion ? Ou lorsque le tueur l’articule explicitement en suivant la bonne conjugaison du Littré ? Voici donc un pays qui montre qu’il a peur et qui cherche dans les mots le trou d’autruche qu’il ne trouve pas sur sa terre.
Mais encore ?
Ce sont les deux victimes algériennes dont on n’a pas parlé. L’auteur de ces lignes l’étant aussi, il entrevoit un drame négligé, méprisé, peu « important », ni français ni communautaire, prétexte ni à culpabilité ni à autre chose.
Ce drame, le voici : vivre dans un pays qui a vécu une guerre civile (1992-2002) avec les islamistes en armes, vivre sous la menace des couteaux des égorgeurs, des tueurs, entre fatwa et intolérance, vivre sans apprécier la vie, vivre sans jouir. Puis grandir, traverser la mer en chaloupe et venir en France. Un pays libre, laïque, heureux et riche où l’on peut boire un verre de rosé au soleil un jour de fête. C’est là que l’Algérien qui a échappé aux années de sang les retrouve en embuscade : les « tueurs au nom d’Allah », c’est-à-dire au nom de leur propre personne. Le pauvre Daoud Bouach tombe sous les coups de couteau, condamné par l’interdiction de boire un verre dans la lumière attisée par le printemps, avec le rire du monde autour de soi. Et il est tué.
Un mort doublement ignoré
Alors, voici ce qui arrive : l’Algérien mort n’est pas un héros pour l’Algérie d’aujourd’hui. Qui voudrait d’un buveur dans ce qui est devenu un État islamiste ? Le tué ne l’est pas non plus pour la France, qui recule, se désarme, s’abaisse et se met à genoux face aux culpabilisateurs et autres thuriféraires du communautaire. La victime n’en est pas même une pour l’autre France, car elle n’est pas de nationalité française. Le mort, c’est une sorte de bogue, un accident de l’entre-deux, un détail.
Et pourtant.
L’auteur de ces lignes n’a jamais lu une définition aussi nette, claire et courageuse de la laïcité depuis le texte de loi de 1905. Jamais il n’a entendu un résumé aussi puissant, aussi brave donné à la laïcité en France. Jamais une personne venue d’ailleurs, sans intellectualisme, ni euphémisme torsadé, ni synonymie infinie, ni nuance épuisante et contrite, n’a pu définir la laïcité aussi brièvement, avec la force inouïe du dernier mot d’une vie : « Cela ne te regarde pas. »
C’est ce que cet Algérien, enfant de la postguerre civile en Algérie et de la préguerre d’usure en France, a prononcé avant de mourir. Il l’a dit au tueur. « Boire un verre, au moment où je le veux, cela ne te regarde pas. »
C’était autrefois, et encore quelquefois aujourd’hui, la signification même de vivre en France, en Occident ou en démocratie.
Et peut-être que certains ont raison : ce n’est pas du terrorisme, mais plutôt une défaite
