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Dans les administrations, « on met la tête sous l’eau aux plus pauvres », dénonce ATD Quart monde

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  • Dans les administrations, « on met la tête sous l’eau aux plus pauvres », dénonce ATD Quart monde

    Le mouvement de lutte contre la pauvreté publie ce 19 septembre un plaidoyer pour alerter sur la « maltraitance institutionnelle » à l’œuvre dans les administrations. Mediapart a interrogé des professionnels en première ligne d’un système défaillant et parfois violent à l’égard des personnes fragiles.

    Faïza Zerouala



    « Être« Être pauvre, c’est faire partie d’un système qui vous fait attendre indéfiniment dans un état de peur et d’incertitude », formule une personne lors d’un atelier organisé par l’association ATD Quart monde à propos de ses interactions avec l’administration. Une autre s’inquiète. « Tu demandes de l’aide, mais tu dois rester derrière les décisions de la personne qui t’aide. Si tu t’opposes à elle, tu vas avoir peur qu’elle te refuse complètement son aide. »

    Elles témoignent de leur détresse et de leur vulnérabilité face aux personnels des administrations publiques comme la Caisse d’allocations familiales, France Travail ou l’assurance-maladie, censées leur apporter de l’assistance.

    Ces récits sont issus du nouveau rapport d’ATD Quart monde rendu public le 19 septembre. L’association a décidé de consacrer une étude à ce sujet insuffisamment considéré, celui de la « maltraitance institutionnelle ». Il découle d’un travail mené en 2019sur les dimensions cachées de la pauvreté dans le cadre d’une recherche avec des personnes qui ont l’expériencede la grande pauvreté et l’université d'Oxford.

    L’absurdité des administrations

    ATD Quart monde s’appuie sur la définition officielle de la maltraitance sur une personne en situation de vulnérabilité issue de la loi de 2022. Il y est précisé que les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non. Et que leur origine peut être « individuelle, collective ou institutionnelle ».

    Agrandir l’image : Illustration 1Dans les locaux de la caisse d’allocations familiales de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en 2023. © Photo Isa Harsin / Sipa

    Des professionnel·les de terrain interrogé·es par Mediapart confirment que le sujet est crucial, même s’il est parfois difficile à assumer. À la question de savoir si elle avait été, d’une manière ou d’une autre, témoin ou actrice d’une quelconque maltraitance institutionnelle, Rita* répond sans ambages : « On est en plein dedans, c’est notre quotidien. »

    Cette trentenaire est assistante sociale et a travaillé plus de six ans au sein du service social d’un conseil départemental. Elle a choisi, après un arrêt maladie de quelques mois, de rejoindre le privé. Elle ne supportait plus de ne pas pouvoir « mener à bien » sa mission. Rita voyait trop de détresses aggravées par son impossibilité d’y répondre de manière adéquate.

    Voir les dégâts en direct de la dégradation des services publics attriste Rita, qui dit n’avoir plus le sentiment de « faire du social ». Elle songe à ces piles de dossiers de la caisse d’allocations familiales bloqués sans résolution et sans possibilité de joindre qui que ce soit par téléphone. « Moi-même, en tant que professionnelle, je n’ai plus de numéro partenaire, prioritaire pour les autres administrations. On est soumis à la même attente que les personnes. »

    Karine Abensour,représentante de la section syndicale Solidaire SUD Emploi Occitanie, observe aussi « quotidiennement » cette maltraitance. Elle officie dans une agence France Travail où de nombreuses personnes « ont des difficultés à se débrouiller avec l’absurdité des administrations ». Un accueil sans rendez-vous y est maintenu, et il est « vital » selon elle. Mais ce n’est pas suffisant pour fluidifier les relations avec les usagères et usagers de France Travail.

    ATD insiste sur les facettes multiples de cette maltraitance institutionnelle. Elle peut être le fruit d’une méconnaissance, d’un manque de tact, d’une condescendance, de méfiance, voire de mépris à l’égard des publics reçus. Ce qui révèle les dysfonctionnements d’organisation de ces organismes.

    La présidente d’ATD Quart monde, Marie-Aleth Grard, insiste sur le fait que les professionnel·les souffrent parce qu’ils et elles ne peuvent pas exercer leur travail correctement et, de fait, « mettent la tête sous l’eau aux plus pauvres ». Mais plus que les professionnel·les, elle incrimine les personnes décisionnaires. Ainsi, elle ne décolère pas d’avoir entendu un directeur d’une caisse d’allocations familiales expliquer devoir choisir entre affecter son personnel à régler les allocations en temps et en heure ou mettre des agent·es aux guichets pour répondre aux personnes ayant un problème précis.

    Maltraitance « inconsciente » et incivilités « en miroir »

    Daniel Lenoir est énarque et a dirigé la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf) de 2013 à 2017. Désormais retraité, il a participé aux travaux préparatoires à la rédaction de ce rapport d’ATD Quart monde sur ces maltraitances institutionnelles et leurs conséquences.

    À Mediapart, il explique que ce sujet est perçu par les institutions et n’est pas tabou mais reste un grand « impensé ». Lui-même reconnaît que lorsqu’il était aux manettes de la Cnaf, il n’en a pas suffisamment pris la mesure. Car « en miroir de la maltraitance institutionnelle, il y a ce qu’on appelle les incivilités dont sont victimes les personnes dans les accueils physique et téléphonique, avec des formes de violences verbales, psychologiques, voire parfois physiques de la part d’allocataires », détaille Daniel Lenoir**. « J’ai beaucoup travaillé sur la prévention de ces incivilités et, de fait, j’ai essayé de comprendre la raison de cette réponse violente, et j’ai compris qu’elle pouvait aussi être une réponse à ce qu’on peut appeler la maltraitance. »

    Avec le recul, Daniel Lenoir reste persuadé que cette maltraitance est « inconsciente » et qu’elle continue d’être difficile à appréhender par les institutions. La situation s’est dégradée notamment à cause des diminutions d’effectifs à l’œuvre dans les CAF, qui ont réduit les possibilités d’accueil numérique et allongé les délais de traitement des dossiers.

    La syndicaliste Karine Abensour confirme. Les agences France Travail accueillent des CDD de plus en plus nombreux, sur des petites périodes, et qui n’ont pas reçu les formations idoines, ou pas à temps. « Ils apprennent sur le tas, que ce soit au niveau de la gestion des droits ou de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Mettre des débutants face à des personnes peu autonomes ne semble déranger personne. »


    J’avais l’impression de passer mon temps à dire “non, vous n’avez pas le droit”, “non, je ne peux pas”, “non, vous ne relevez pas de cette aide”.
    Rita, assistante sociale
    Rita pense aussi à cette personne qui a vu son allocation adulte handicapé suspendue, avec toutes les conséquences afférentes, à cause de la fin de la validité de son titre de séjour. Même si elle a régularisé sa situation administrative, elle n’a plus accès à rien.

    L’assistante sociale a fait ce qu’elle pouvait mais difficile, en plein été, d’orienter la personne vers des associations d’aide alimentaire en pause estivale. « C’est pour ça que j’ai quitté le département, alors que ma situation, en termes de salaire notamment, y était plus que confortable. J’avais l’impression de passer mon temps à dire “non, vous n'avez pas le droit”, “non, je ne peux pas”, "non, vous ne relevez pas de cette aide”. Je me battais pour des choses tellement basiques parfois… »

    Les procédures sont lourdes, les logiciels laissent peu de latitude aux agent·es pour résoudre des erreurs dans les dossiers, détaille Karine Abensour. De fait, explique-t-elle, certain·es agent·es se désinvestissent, d’autres sont bouleversé·es jusqu’à ne plus pouvoir travailler et les troisièmes vont « un poil désobéir » pour arranger des situations, décrit la responsable syndicale. « Forcément, les usagers vont rencontrer l’un de ces trois profils… »

    Alors, celle qui s’occupe du volet indemnisation s’excuse, en permanence. « Je m’excuse parce que telle démarche n’a pas été bien faite. Je promets aux personnes que je vais reprendre leur dossier et les contacter dès que possible… »


    En conséquence, des personnes vont préférer ne plus faire valoir leurs droits, ce non-recours qui permet à l’État des économies substantielles. Mais ce n’est pas la seule conséquence. ATD Quart monde souligne dans son rapport les conséquences psychologiques et sur l’estime de soi des personnes pauvres, déjà fragilisées par leur situation, de cette violence. Pour l’association, il s’agit d’une atteinte à la dignité manifeste.

    Karine Abensour rappelle que sans situation financière stable, il est impossible pour une personne de se projeter dans une recherche d’emploi. « Il faut déjà qu’elle puisse être sûre de pouvoir conserver son appartement et pas finir à la rue. Donc, la question des allocations est cruciale. Ne pas répondre à cela est impensable. On est submergés de messages, difficile de répondre dans les 48 heures comme promis. On n’est pas à la hauteur, je comprends que les gens s’agacent ! »

    Rita vivait très « mal » de ne pas pouvoir être réactive dans son précédent poste. Elle sait que proposer un rendez-vous sous deux ou trois mois à une personne qui demande à la voir de manière urgente la fait souffrir et la fragilise davantage. « On essaie de pallier ça en faisant des rendez-vous plus courts pour avoir le temps de recevoir cette personne très rapidement. Parce que, sinon, on sait qu’elle ne va jamais revenir et va essayer de se débrouiller par elle-même. »

    Garder le lien humain malgré le tout numérique

    Le plaidoyer d’ATD Quart monde s’adresse aux responsables politiques et institutionnels. Marie-Aleth Grard aimerait créer du lien social et que cette alerte donne envie à des personnes de s’engager pour aider les plus fragiles à effectuer leurs démarches par exemple. Elle attend évidemment une politique de redressement de la part des services publics.

    Pour rectifier la situation, Daniel Lenoir, l’ancien dirigeant de la Cnaf, préconise quant à lui de remettre de l’humain dans les accueils mais aussi du personnel pour traiter les dossiers, de former les agent·es afin qu’ils et elles puissent réellement aider les personnes face aux procédures. Sous peine d’une augmentation de cette maltraitance et, par capillarité, de la pauvreté.

    Bien qu’il ait été l’un des architectes de la numérisation des services, Daniel Lenoir rêve d’un « numérique à visage humain », en associant les usagers et usagères à la conception des procédures et en développant une stratégie d’inclusion numérique. Il insiste sur « l’attention à porter aux allocataires ».

    Marie-Aleth Grard plaide aussi pour la création d’un « revenu insaisissable et inconditionnel » qui soulagerait ces personnes précaires. Daniel Lenoir la rejoint sur ce dernier point qui permettrait « de supprimer les conditionnalités dont la vérification est la principale source de maltraitance ». Cela permettrait aussi de désengorger les services publics et, surtout, de donner de l’air aux plus pauvres.


    Boîte noire


    * Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.

    ** Daniel Lenoir a demandé à relire ses citat

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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