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Dans les couples islamo-chrétiens, la religion n’est pas toujours un sujet… sauf pour les autres

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  • Dans les couples islamo-chrétiens, la religion n’est pas toujours un sujet… sauf pour les autres


    En France, la mixité des unions progresse au fil des générations. Si l’amour transcende les clivages religieux dans le couple, se faire une place au sein de la belle-famille relève souvent du défi. Et s’accorder sur la pratique religieuse des enfants n’est pas simple.

    Par Adam Lebert



    Cécile et Ibrahim, couple islamo-chrétien, marié depuis août 2021, à leur domicile à Beauvais (Oise), le 10 avril 2025. STÉPHANIE LACOMBE POUR « LE MONDE »

    Damir et Melissa se sont rencontrés au lycée, à l’âge où les questions sont plus nombreuses que les réponses. Lui a été charmé par son physique puis sa mentalité ; elle, par sa mentalité puis son physique. Le fait que le premier soit musulman et la seconde chrétienne n’en a pas été une, de question. Du moins au début. « Ce sont nos parents qui, quand ils ont découvert qu’on était ensemble, nous ont fait remarquer qu’on était de deux religions différentes », confie Damir au téléphone, lui qui est originaire des Comores. A ses côtés, Melissa ajoute : « Ils sont très croyants et pratiquants, et très explicites sur le fait que notre relation va devenir un problème le jour où on souhaitera se marier et avoir des enfants. Pour eux, ce n’est qu’une passade. » Une « passade » qui dure maintenant depuis quatre ans.

    Le jeune homme de 22 ans, préparateur de commandes dans une entreprise de pâtes des Alpes-Maritimes, et la jeune femme de 20 ans, étudiante en BTS commerce, vivent encore chez leurs parents. Si la mère de Melissa, divorcée du père, se montre plus conciliante et les accueille parfois, ce n’est pas le cas des trois autres parents. Alors, le couple se retrouve en ville après le travail et s’échappe le week-end. Ce sont eux, les amoureux des bancs publics.

    En 2023, ils ont commencé à partager leur quotidien de couple mixte sur TikTok et comptent désormais plus de 155 000 abonnés. « La situation avec nos parents nous a touchés, donc on a décidé d’en parler sur TikTok et il y a eu un engouement, raconte Damir. On a reçu énormément de messages pour nous donner de la force, mais aussi beaucoup d’autres affirmant que notre relation n’avait aucune chance. » L’une de leurs vidéos a reçu près de 33 000 « j’aime » : on les y voit main dans la main, dansant sur une chanson de Jul, avec en légende : « Nous, en train de vivre notre best life malgré le regard des gens sur notre relation mixte. » Cette année, comme de nombreux couples islamo-chrétiens, ils ont vécu sereinement les périodes du ramadan et du carême, qui se chevauchaient dans le calendrier.

    « Tu vivras dans le péché »


    En France, la mixité des unions progresse au fil des générations. Selon les données de l’Insee, en 2023, 66 % des descendants d’immigrés de deuxième génération vivaient avec un conjoint sans ascendance migratoire directe, contre 21 % des immigrés de première génération. Cette mixité d’origine peut se traduire par une plus grande mixité religieuse. Toujours selon l’Insee, en 2023, le catholicisme reste la première religion (29 % de la population se déclare catholique), suivi par l’islam (10 % de fidèles), puis par les autres confessions chrétiennes, qui regroupent 9 % de la population. Depuis 1977, le Groupe des foyers islamo-chrétiens (GFIC) « permet à ces couples de se rencontrer et de partager leurs expériences pour que chacun crée son propre chemin », explique sa présidente, Murielle Mesbah. L’association aide ses membres à relever un certain nombre de défis, notamment celui relatif à la famille de chaque partenaire.


    Kawthar et Guillaume, couple islamo-chrétien, à Paris, le 11 avril 2025. STÉPHANIE LACOMBE POUR « LE MONDE »

    Lors de son mariage avec Guillaume, Kawthar a dû composer avec un absent : son père. Ce n’était pas une surprise, car il avait toujours refusé de rencontrer son compagnon. A l’annonce de leurs fiançailles, il s’était contenté de lui dire : « Fais ce que tu veux, tu es une grande fille maintenant », avant d’ajouter, quelques jours plus tard : « Tu vivras dans le péché. » « Il a toujours estimé que mon frère et moi devions nous marier avec des musulmans, et peut-être moi encore plus, se désole l’avocate de 41 ans. Pour lui, c’est un facteur de réussite du couple, alors même que mes parents, musulmans, sont divorcés. » La mère de Guillaume, chrétienne, était bien présente, malgré « quelques piques » islamophobes. Un an après leur union, le père de Kawthar est réapparu, sans explication ni pardon, et a échangé avec Guillaume sur un ton léger. Mais la blessure, elle, demeure.

    Membre du GFIC depuis 2016, le couple a observé que la relation avec la famille est l’un des sujets de discussion les plus fréquents chez les jeunes couples de l’association, parfois marqués par des « violences psychologiques et physiques très fortes », précise Guillaume.

    Selon le sociologue italien Francesco Cerchiaro, professeur à l’université Radboud de Nimègue (Pays-Bas) et spécialiste du sujet, ces souffrances sont liées aux stéréotypes et à la stigmatisation que ces unions peuvent susciter : « Par exemple, il existe l’idée que toutes les femmes chrétiennes mariées à un musulman seraient forcément soumises, ou que les femmes musulmanes mariées à un chrétien auraient trahi leur culture et leur religion. » Ses recherches montrent aussi que le statut social de l’homme musulman joue un rôle primordial dans son acceptation, ou son rejet, par la famille chrétienne. En effet, celui-ci est « souvent confronté à un imaginaire collectif qui l’associe à la défense d’un patriarcat rétrograde et violent ». Or, un médecin musulman sera mieux accueilli qu’un ouvrier musulman non qualifié.

    Ces couples engendrent également une inquiétude de la part des institutions religieuses qui, d’après le sociologue, craignent une « “dilution” ou une “perte” du fait religieux en raison de la mixité ». Jean-François Bour, prêtre et délégué national pour les relations avec les musulmans à la Conférence des évêques de France, reconnaît qu’il arrive que certains de ses confrères, « dans des cas extrêmes, s’opposent au mariage, alors même que le discours officiel de l’Eglise catholique autorise ce type d’union ». Lui accepte d’accompagner les couples islamo-chrétiens et de célébrer leur mariage, tout comme l’imame progressiste Eva Janadin, pour qui « de tels mariages mixtes interconvictionnels n’ont aucune raison de ne pas pouvoir se faire tant qu’ils permettent de préserver les croyances de chacun ».

    Lasagnes halal pour tout le monde


    Lorsque Cécile, 38 ans, catholique, parle de son mariage religieux avec Ibrahim, 39 ans, musulman, un sourire envahit son visage. Tous deux ont choisi de célébrer leur union dans un lieu neutre : une grange aménagée, avec un autel drapé d’un tissu offert par la mère d’Ibrahim, en présence d’un prêtre et d’un représentant de l’islam. Entourés de leurs parents, ils ont récité la prière du Notre Père et la sourate Al-Fatiha, et entonné des chants catholiques et musulmans. « A ce moment-là, on s’est dit : “Ce n’est pas si difficile de faire communauté” », se remémore la professeure agrégée en sciences sociales, la larme jamais très loin. Leurs cadeaux de mariage ? Une nouvelle Bible pour elle et un nouveau Coran pour lui, signe de « [leur] volonté d’aider l’autre à s’épanouir dans sa religion ». A Noël 2024, la famille alsacienne de Cécile, pour qui la viande est aussi une religion, a préparé des lasagnes halal pour tout le monde.


    Cécile et Ibrahim, à Beauvais (Oise), le 10 avril 2025. STÉPHANIE
    LACOMBE POUR « LE MONDE »


    Léa et Walid, couple islamo-chrétien, à Paris, le 7 avril 2025. STÉPHANIE LACOMBE POUR « LE MONDE »

    Léa, 30 ans, et Walid, 33 ans, se sont, eux aussi, mariés religieusement lors d’une cérémonie catholique et musulmane. « Avant ma rencontre avec Walid, je m’étais un peu éloignée de la religion catholique, mais j’ai compris, à travers sa foi, qu’être croyante ne voulait pas dire être fermée aux autres », explique la jeune femme, qui célèbre l’Aïd-el-Fitr au sein de sa belle-famille, tandis que son compagnon vient avec elle à la messe de Noël. Au quotidien, ils l’assurent : « Chacun fait comme il veut. » Léa, d’ailleurs, ne se prive pas de manger du porc. Au restaurant, elle commande régulièrement des pâtes carbonara, « une astuce pour qu’il ne pique pas dans [s]on plat », ironise-t-elle.

    « Ces familles montrent que les identités ne se diluent pas, mais qu’elles se transforment et se reconstruisent », souligne Francesco Cerchiaro. Un constat partagé par Murielle Mesbah, présidente du GFIC, qui ajoute : « Il y a très peu de divorces parmi les couples de l’association, car ils ont pris l’habitude, en amont du mariage, de se poser des questions et de dialoguer. »
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    Léa et Walid ont intégré le GFIC en 2024, afin de réfléchir à une nouvelle étape de leur vie : leurs futurs enfants. Devront-ils suivre les interdits alimentaires en islam ? Etre baptisés et/ou circoncis ? Les questions restent en suspens. « Je me suis toujours dit qu’avec Walid on finira par trouver une solution, même sur des sujets sur lesquels on n’est pas forcément d’accord », confie Léa, qui, par exemple, penche pour plus de souplesse sur les interdits alimentaires.


    Dans la bibliothèque des enfants de Kawthar et Guillaume, à Paris, le 11 avril 2025. STÉPHANIE LACOMBE POUR « LE MONDE »

    Chez Kawthar et Guillaume, parents d’Ismaël (5 ans) et de Solal (2 ans), on parle des différences entre les deux religions, mais surtout de leurs similitudes, notamment lors du ramadan et du carême, parfois à l’aide de livres pour enfants. Au départ, Guillaume était psychologiquement réticent à l’idée de faire circoncire ses enfants, mais il a fini par l’accepter. Pour Kawthar et lui, tout est une question de compromis : leurs enfants ne mangent pas de porc, « jusqu’à ce qu’ils soient en âge de choisir », et ont tous les deux été baptisés, « pour que l’Eglise les reconnaisse comme les siens, sans que cela n’entrave leur libre arbitre plus tard », explique Guillaume. Il poursuit : « Je crois beaucoup au fait que ce sera à nos enfants de former leurs propres croyances religieuses, ou l’absence de croyance. » Selon Francesco Cerchiaro, « un nombre significatif d’enfants rejettent les catégorisations statiques (“je suis musulman” ou “je suis chrétien”) et se décrivent plutôt comme une multitude en devenir ». Toutefois, il note aussi que certains individus renforcent leur identification à la religion musulmane en réaction à un contexte islamophobe.

    Les enfants de Murielle Mesbah sont devenus de jeunes adultes de 19, 22 et 24 ans, dont elle ne connaît pas la religion. « Ce qui compte, pour mon mari et moi, c’est qu’ils partagent nos valeurs d’universalité et de respect », assure la conseillère médicale en environnement. Pour le ramadan, sa fille, qui « éprouve des envies d’aller à la messe », est venue à la maison afin de préparer des gâteaux pour son père.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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