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Dans les familles immigrées, des fractures générationnelles sur le choix des métiers

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  • Dans les familles immigrées, des fractures générationnelles sur le choix des métiers

    Contrairement à leur famille, pour qui le succès passe par des professions perçues comme stables et respectables, certains jeunes nés de parents étrangers osent embrasser des carrières artistiques et sortir des sentiers battus. Au prix de fortes tensions entre les générations.


    Par Christelle Murhula


    Diplômée de deux masters en économie à la Sorbonne, Nadine (les personnes citées par leur seul prénom ont requis l’anonymat) était sur le point d’entamer un doctorat quand elle a décidé de tourner le dos à la voie académique pour travailler dans la restauration. « Je n’ai pas eu de financements et, au même moment, j’ai accédé à un poste de responsable de salle en restaurant pour des extras. Je me suis prise de passion pour ce métier, j’ai obtenu un CDI et j’y suis restée », raconte la trentenaire. Un choix totalement incompris par sa mère, qui le regrette encore aujourd’hui : « Ma fille a deux masters à la Sorbonne, et elle finit par passer la serpillière dans un restau. » Le père de Nadine, lui, travaillait déjà dans ce secteur. Mais, pour sa mère, qui a émigré d’Egypte dans les années 1980, voir sa fille y revenir symbolise l’effritement des espoirs d’ascension sociale. « Elle ne comprenait pas que ce n’était pas un retour en arrière, mais un choix », se souvient Nadine.

    Professeur, fonctionnaire, banquier… Dans de nombreuses familles issues de l’immigration, la réussite sociale reste étroitement liée à certaines professions considérées comme stables. Mais cette vision, rassurante pour les aînés, entre souvent en tension avec les aspirations d’une nouvelle génération qui revendique le droit de choisir sa voie – quitte à s’éloigner du chemin tracé. Ainsi un paradoxe émerge : alors que les parents redoutent un échec ou une prise de risque inconsidérée, leurs enfants construisent une autre forme de réussite, moins linéaire, grâce à un métier passion.

    Fou de littérature, Christian souhaitait faire un master d’édition à Edimbourg. Un rêve vite rattrapé par la peur familiale. « Ma mère m’a dit : “Non, il n’y a pas de Noirs en Ecosse” », raconte cet auteur et podcasteur de 29 ans, fervent admirateur de la culture japonaise. Dans sa famille, d’origine béninoise, la réussite passe par un métier de bureau. Pourtant, malgré un cursus à HEC Paris, il décide de suivre sa vocation, se rêvant conteur d’histoires. Ce qui laisse sa mère circonspecte.

    « La nouvelle génération cherche avant tout un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et veut exercer un métier qui a du sens. C’est une tendance générationnelle, certes, mais elle est plus marquée chez les enfants d’immigrés, éclaireCarmen Diop, docteure en sociologie et psychologue du travail. Si les parents rasent les murs, les enfants, eux, n’acceptent plus de faire de même et se permettent d’avoir des exigences. »

    Fossé infranchissable


    Une fois arrivé en France, Alvin, aujourd’hui créateur de mode de 29 ans, suit un parcours bien différent de celui que sa mère avait imaginé pour lui. Cette dernière, vendeuse de pain en République démocratique du Congo, l’envoie seul en France à l’âge de 12 ans, où il est accueilli chez de la famille, puis en foyer, pour qu’il y poursuive ses études. Attiré par la mode, il débute en boutique, avant de se lancer dans la création. Sa mère, elle, ne comprend pas : « Quand tu as financé le voyage de ton fils vers l’Europe en rêvant qu’il puisse devenir avocat ou médecin et qu’il finit créateur, tu te demandes : “Ça veut dire quoi ?” », lui a-t-elle asséné.

    Pour Elodie Chevallier, chercheuse au Centre de recherche sur le travail et le développement, ce type de décalage est révélateur d’une transformation plus large. « Les générations actuelles arrivent sur un marché du travail déjà fragilisé. Elles n’ont jamais connu l’illusion qu’elles pourraient obtenir un emploi stable. Résultat : elles intègrent dès le départ une autre vision du travail. Moins tournées vers la sécurité à tout prix, elles recherchent davantage un travail qui a du sens, qui permet de se réaliser. Ce n’est pas un rejet du travail, mais une autre manière de l’habiter. » Finalement, Alvin n’a été ni dissuadé ni encouragé par sa mère : « Elle m’a laissé faire mes preuves. Elle m’a fait confiance. »

    Néanmoins, le fossé entre aspirations et sécurité économique peut être infranchissable. Fatma, 32 ans, est aujourd’hui journaliste indépendante. Cette Franco-Tunisienne arrivée en France à l’âge de 10 ans découvre l’écriture en rejoignant le Bondy Blog. « Mes parents souhaitaient pour moi un métier où je gagnais ma vie : prof, fonctionnaire, infirmière Ils ne comprenaient pas ce délire d’être indépendante. » Car pour eux, un métier doit rapporter et offrir une stabilité. Pas la précarité. « Etre indépendante, pour eux, c’est être tout le temps en galère. Dans leur tête, je n’ai pas de projet concret de stabilité », se désole Fatma.

    Ses parents souhaitent qu’elle devienne plutôt professeure. « La fonction publique joue un rôle central dans les trajectoires des descendants de migrants : elle incarne un statut social, une reconnaissance, qu’il y ait une passion derrière ou non »,analyse Carmen Diop.

    Ornella, assistante de production de 32 ans, aurait dû, selon sa mère, viser un métier dans la diplomatie, la banque, ou un poste à l’université. Mais elle choisit de travailler à la télévision. « Pour ma mère, l’audiovisuel n’est pas quelque chose de sérieux. C’est soit les animateurs télé, soit les acteurs qu’on voit au ciné. » S’engage alors un bras de fer, où Ornella doit convaincre sa mère de la pertinence de son choix de métier. « J’ai tenu bon parce que je sais que sa réaction est celle de quelqu’un qui a fait des choix pragmatiques pour survivre et qui est inquiet pour l’avenir de sa fille. »

    Profonde déception


    Diana, 37 ans, s’est vue contrainte de renoncer à l’orientation souhaitée. Elle est la seule de sa famille à être née en France, alors que ses parents et ses sœurs ont fui le Cambodge après la guerre, au début des années 1980. En classe de seconde, elle exprime le souhait de s’orienter vers un bac littéraire. Une idée immédiatement écartée par ses parents, pour qui cette voie ne saurait ouvrir suffisamment de portes. « Pour eux, le bac L était impensable. Ils exigeaient un bac scientifique. Et si vraiment ce n’était pas possible, un bac ES », raconte-t-elle. Elle s’y résout. La suite de son parcours est tout aussi balisée : il faudra nécessairement viser un bac + 5. « Quel que soit le milieu social, les parents sont rarement enclins à ce que leurs enfants s’orientent vers des filières artistiques. La priorité, c’est la stabilité. Et, dans certains contextes, elle prend des formes très précises »,précise Carmen Diop.

    Diana poursuit ses étudesde communication et économie des médias,décroche un CDI dans la communication : une réussite conforme aux attentes de ses parents, qui y voient une forme de stabilité rassurante. Mais tout bascule le jour où elle décide de quitter son poste pour se consacrer à la poterie et à d’autres activités. Un choix difficile à comprendre pour ses parents. L’art, dans leur regard, demeure un loisir et non un projet professionnel légitime. « Pour eux, la vie d’artiste ou d’indépendante n’est pas une option. Elle est réservée, pensent-ils, à ceux dont les parents disposent déjà d’un solide capital culturel et social. »

    Une perception que confirme la sociologue Elodie Chevallier : « Chez les enfants issus de l’immigration, cette tension est particulièrement forte. D’un côté, ils héritent d’un modèle basé sur la stabilité et la reconstruction. De l’autre, ils grandissent dans une société où l’épanouissement personnel à travers le travail devient central. Une fois les cases cochées – études, emploi stable, sécurité financière –, ils peuvent se poser une nouvelle question : “Qu’est-ce qui me ressemble vraiment ?” »

    Aujourd’hui encore, alors qu’elle a trouvé un équilibre, Diana fait face à l’inquiétude de ses parents, parfois formulée sous forme de simples réflexions : « Tu cherches un CDI ? »,ou, plus désarmant encore : « Tu es en vacances ? » quand elle part faire un stage de poterie. Un témoignage similaire à celui d’Ornella, qui perçoit une profonde déception lorsqu’elle confie à sa mère son désir de travailler dans l’audiovisuel : « Elle voyait ça comme une crise d’adolescence tardive. Pour elle, l’idée de travailler dans quelque chose qui me plaît relevait d’un caprice de Blanc. »

    Cette réaction montre le manque de reconnaissance des métiers artistiques qui peut exister dans ces familles, regrette Christian : « Des générations entières d’artistes sont mortes avec leur projet créatif enfoui en elles. La pression des parents est telle qu’on finit toujours par choisir la responsabilité plutôt que la créativité. »
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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