Une mère de famille de 58 ans, qui vit en France depuis 1993 et possède une double nationalité, a été retenue tout un après-midi par la police aux frontières de Roissy. Elle conteste l’obligation de quitter le territoire qui lui a été notifiée.
Par Simon Roger
Dans la file d’attente du poste de douane de l’aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle, le 2 juin vers 9 heures, Soraya (le prénom a été modifié à sa demande) pensait déjà aux retrouvailles avec ses parents, quelques heures plus tard à Alger, la ville où elle a grandi et où elle retourne fréquemment. Mais c’est à un tout autre scénario que cette femme de 58 ans, qui possède la double nationalité algérienne et française, a été confrontée, jusqu’à la notification, le 2 juin au soir, d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) d’un an.
Elle n’a pas bénéficié du délai de départ volontaire, généralement fixé à trente jours, et est sommée de quitter la France sous quarante-huit heures. Pour étayer cette mesure d’OQTF, la Préfecture de police de Paris indique dans le courrier remis à Soraya – dont Le Monde a pris connaissance – qu’elle ne « justifie pas d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ». L’intéressée vit pourtant en France depuis 1993, elle y a obtenu son certificat de nationalité française quatre ans plus tard, y a fondé une famille et jouit d’une situation professionnelle stable.
Contactée par Le Monde, la Préfecture de police n’a pas donné suite à nos questions. « Elle se contente de cocher des cases, de reproduire des phrases stéréotypées, alors que ses services ont à leur disposition les informations nécessaires pour vérifier les éléments qui semblent poser problème », déplore Samy Djemaoun, l’avocat de Soraya. Cette dernière aurait également, d’après la préfecture, « contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité et de voyage ».
« Ces mots sont forts, mais surtout ils ne correspondent pas à la réalité des faits », réagit Me Djemaoun. La « contrefaçon » dénoncée renvoie à une erreur d’état civil et non à un acte intentionnel : « Je suis française par ma mère, qui elle-même avait obtenu la nationalité par son père, car elle était mineure au moment où il avait engagé la démarche. L’administration s’est rendu compte, bien plus tard, que ma mère était majeure, à un mois près, quand la nationalité française lui a été accordée, détaille Soraya. Par conséquent, ma mère aurait dû engager elle-même la demande pour que je puisse bénéficier, à mon tour, de la naturalisation. »
Une procédure est diligentée contre Soraya et aboutit en 2001 à une décision de justice constatant l’extranéité. La mère de famille la conteste par voie d’avocat. Dès lors, elle n’aura plus aucune nouvelle de ce dossier.Elle poursuit sa vie normalement, jusqu’à cette journée du 2 juin où elle est retenue tout l’après-midi dans une cellule de la direction de la police aux frontières (PAF) de Roissy, avant que son mari ne soit autorisé à venir la chercher à 19 heures.
« Ma vie est ici »
« Dans ces locaux, on m’appelle par mon nom de jeune fille, on me demande de retirer mes bagues, mon soutien-gorge et mes chaussures, et je rejoins la cellule n° 3 dans l’attente de mon audition par un officier de police judiciaire », témoigne Soraya, qui vit depuis dans l’angoisse d’un contrôle d’identité, alors que sa carte d’identité et ses passeports français et algérien lui ont été confisqués.
Dans la matinée du 2 juin, avant son transfert dans les bâtiments de la PAF, elle a déjà dû faire face aux questions et remarques d’une fonctionnaire des douanes qui lui répète qu’elle est en situation irrégulière, qu’elle risque d’être placée en centre de rétention administrative et que la seule option qui lui reste est de prendre l’avion pour Alger puisqu’elle dispose d’un billet d’avion et d’un passeport algérien en règle. « Mais ma vie est ici, se justifie Soraya. J’y ai un mari, deux grands garçons et une fille qui est encore petite. »
En près de vingt-cinq ans d’existence de ce côté-ci de la Méditerrannée, elle a obtenu à trois reprises le renouvellement de son passeport, et a vu aussi sa carte d’identité renouvelée. Elle a toujours circulé sans entrave hors de France. Et a donc été considérée comme une citoyenne française de bonne foi… jusqu’au 2 juin.
L’avocat de Soraya va déposer un recours devant le tribunal administratif compétent afin de contester l’OQTF et l’IRTF qui lui ont été notifiées. L’exécution de l’OQTF sera dans ce cas-là suspendue jusqu’à ce que le juge statue sur le recours. Il a six mois pour le faire. Me Djemaoun comprend d’autant moins le zèle des services de la Préfecture de police que sa cliente ne peut être éloignée puisqu’elle remplit toutes les conditions d’éligibilité à un titre de séjour : elle démontre une présence continue sur le sol français depuis dix ans, est parent d’enfant français et son conjoint est un Français.
« Ce que fait Bruno Retailleau, cette façon de lâcher la bride aux forces de police, peut expliquer certaines décisions et certains comportements », avance le mari de Soraya. « Le contexte est particulier en ce moment, reconnaît cette dernière. Mais j’ai connu un autre contexte, particulier lui aussi, lorsque nous sommes arrivés en France en 1993. L’Algérie basculait dans une guerre civile terrible. La France, à l’époque, nous a offert la possibilité de construire notre vie. »