TRIBUNE - Plutôt que d’importer de la main-d’œuvre étrangère dans les métiers de la restauration, le fondateur du groupe de restauration Éclore plaide pour une baisse du coût du travail permettant une revalorisation des salaires.
Disons-le sans détour : la restauration française ne souffre pas d’une absence de bras venus d’ailleurs, mais d’un modèle devenu fou où le coût du travail explose, les salaires stagnent et l’attractivité s’effondre. Au lieu d’affronter ce malaise, le débat public se laisse piéger par le mirage du « secteur en tension ». On brandit 336 850 « projets de recrutement » pour 2025, chiffre officiel de France Travail, comme si chaque projet masquait un poste désespérément vacant. Mais ces chiffres ne disent pas la vérité du terrain. Ce sont des intentions, rien de plus : on additionne remplacements temporaires, arrêts maladie, emplois saisonniers – jusqu’à 65 % dans certaines régions. Cette comptabilité n’a rien à voir avec une pénurie structurelle. Le vrai diagnostic est ailleurs.
Aujourd’hui, plus de 56.700 cuisiniers et 45.200 serveurs sont inscrits sur France Travail, donc disponibles immédiatement. À Paris, le chiffre dépasse les 32.000 chômeurs indemnisés capables de retravailler demain matin. Comment parler de « pénurie » ? La seule vraie pénurie, c’est celle des conditions de travail dignes. Beaucoup d’établissements proposent encore des salaires trop faibles, des horaires impossibles, des logements introuvables. Comment s’étonner que les vocations s’évaporent ?
« La faillite de notre exigence sociale »
À ce malaise social s’ajoute un autre malentendu. Ceux qui réclament l’ouverture sans limite de l’immigration brandissent le secteur de la restauration comme un repoussoir : il manquerait tant de bras, il faudrait élargir encore la liste des métiers en tension. Mais demander à des travailleurs étrangers d’accepter ce que nos concitoyens refusent n’est pas un projet politique, c’est la faillite de notre exigence sociale. Certes, il faut régulariser ceux qui travaillent déjà et sont intégrés. Mais faire de l’immigration massive un levier de gestion RH, c’est institutionnaliser la précarité au détriment de tous. Il y a plus grave. Comment peut-on, la main sur le cœur, classer la restauration comme « secteur en tension » tout en acceptant qu’un chômeur de ce même secteur touche jusqu’à 18, voire 24 mois d’indemnités ? Cette aberration coûte chaque année plus de 42 milliards d’euros à notre système. Si la tension était réelle, la logique commanderait de tout faire pour accélérer le retour à l’emploi, pas d’entretenir l’inactivité.
La restauration française mérite mieux qu’une gestion technocratique de la misère ou une importation sans fin de précarité. Ce dont la France a besoin, c’est récompenser le travail, rendre envie et fierté à nos métiers et remettre la dignité au centre de notre modèle
Stéphane Manigold
Stéphane Manigold
« Remettre à l’emploi ceux qui en sont le plus loin »
Mais le temps presse. Il ne s’agit pas seulement d’offrir un pont fiscal temporaire : il s’agit d’engager immédiatement un retour massif à l’emploi pour tous ceux qui, parfois depuis plus de deux ans, en sont durablement éloignés. L’artisanat français sait accueillir, former, transmettre – c’est sa vocation et sa force. Au lieu de maintenir ces dizaines de milliers de personnes dans l’attente, orientons-les sans délai vers la restauration, avec une formation courte, concrète, en situation de travail réel. Il n’y a pas de fatalité à la longue durée du chômage, juste un manque de volonté collective. D’autant plus que l’argent ne manque pas : en 2024, la seule enveloppe consacrée au CPF (compte personnel de formation) a dépassé 2,2 milliards d’euros, pendant que France Compétences multiplie les dispositifs de financement d’urgence, parfois au détriment du bon sens et du résultat concret. Ce gâchis budgétaire n’est plus tenable. Plutôt que d’alimenter une inflation administrative de la formation, utilisons ces ressources pour accompagner directement le retour à l’emploi, là où la France excelle : dans l’artisanat, dans la restauration, dans la transmission.
Voilà la vraie réforme sociale attendue. Remettre à l’emploi ceux qui en sont le plus loin, donner à chacun une chance réelle de se former sur le terrain, investir dans le travail plutôt que dans l’assistanat ou les dispositifs bureaucratiques. Il n’y a plus de temps à perdre. Les solutions sont là, les besoins aussi. Ce qui manque, c’est l’audace politique. La restauration française mérite mieux qu’une gestion technocratique de la misère ou une importation sans fin de précarité. Ce dont la France a besoin, c’est récompenser le travail, rendre envie et fierté à nos métiers et remettre la dignité au centre de notre modèle. Le vrai courage politique n’est pas d’ajouter des couches d’aides, mais de baisser le coût du travail pour financer les salaires. Ce choix-là, il nous revient de le faire. Maintenant.