Trois associations de défense de l’environnement et des droits des consommateurs ont porté plainte, mercredi 9 juillet, contre le leader français des ustensiles de cuisine. La raison : une campagne publicitaire affirmant que ses produits sont « reconnus comme sûrs » par les autorités.
Nicolas Cheviron
Tefal« Tefal. Nos revêtements antiadhésifs sont reconnus comme étant sûrs. » Accompagné de la photo d’une jeune femme radieuse cuisinant des nouilles sautées dans son wok, le slogan s’est étalé en 2024 sur les affiches du géant français des ustensiles de cuisine, désireux de rassurer les consommateurs sur l’innocuité de ses poêles fabriquées avec des matériaux comprenant des polluants éternels (PFAS, selon leur acronyme anglais).
L’affirmation, et quelques autres du même ressort, vaut aujourd’hui au groupe SEB, propriétaire de la marque, une plainte, que Mediapart a pu consulter, pour « pratiques commerciales trompeuses », déposée mercredi 9 juillet au parquet du tribunal de justice de Paris par deux associations de défense de l’environnement – France Nature Environnement (FNE) et Générations futures – ainsi que l’Association citoyenne et laïque des consommateurs (ACLC).
Les trois organisations reprochent à l’industriel une présentation partielle, partiale et donc délictuelle de l’état de la science sur les PFAS composant ses poêles. Ainsi, pour le PTFE, revêtement plastique assurant l’anti-adhésivité de l’ustensile, SEB convoque dans ses publicités « les études menées par les autorités de santé publique en Europe et aux États-unis » pour attester qu’il s’agit d’une « substance qui ne présente pas de danger ».
Agrandir l’image : Illustration 1Une pancarte pour faire voter à l'Assemblée nationale une loi interdisant les PFAS, lors d'un rassemblement à Lyon en février 2025. © Photo Elsa Biyick / Hans Lucas via AFP
Or, rétorquent les plaignants dans le texte transmis au parquet, le Centre international de recherche sur le cancer, à l’instar de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), « ne se prononce pas sur l’absence de cancérogénicité ni sur le fait que le PTFE est “sûr” », il se contente de conclure à « l’insuffisance de données pour classifier le PTFE en tant que cancérogène ».
Cycle de vie oublié
De la même façon, SEB met en valeur son abandon des PFOA, une substance cancérigène interdite depuis 2020, que l’entreprise utilisait pour « accrocher » le PTFE sur la poêle, mais ne dit mot sur son successeur, l’Adona.
Cet autre polluant éternel, qui a été « retrouvé dans les rejets aqueux de l’usine » Tefal d’Écully (Rhône) là où on retrouvait autrefois des PFOA, « fait partie des substances PFAS pour lesquelles on n’a pas encore d’éléments et pour lesquelles on ne peut donc pas se prononcer sur la toxicité », commente la chimiste Kildine Le Proux de la Rivière, de Générations futures.
Par ailleurs, « SEB concentre ses arguments sur l’usage des poêles mais ne parle pas du tout de leur cycle de vie », de leur production à leur destruction, souligne la scientifique. Or, lors du processus de fabrication, « le monomère utilisé pour produire le polymère PTFE est identifié comme cancérigène, poursuit-elle. Même s’il y a une gestion des risques, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de danger ».
Et en fin de parcours, « des PFAS peuvent également être déversés dans l’environnement par l’incinération des poêles jetées dans les ordures ménagères », indique le texte de la plainte.
Les polluants éternels sont utilisés par les industriels pour leurs propriétés imperméabilisantes, ignifuges ou encore anti-adhérentes. Ces composés chimiques se retrouvent dans nombre d’objets du quotidien : textiles, emballages alimentaires, cosmétiques. Une loi adoptée le 20 février prévoit la mise en œuvre progressive, entre 2026 et 2030, d’une interdiction d’utiliser ces substances dans les cosmétiques, les enduits pour les skis et les produits textiles. Mais pas pour les ustensiles de cuisine.
« SEB a mené un lobbying intense, ils ont instrumentalisé leurs employés pour organiser une “casserolade” devant l’Assemblée nationale pendant l’examen du texte, et ils sont arrivés à leurs fins », à savoir la sortie des produits de l’entreprise du champ de la loi, résume Laura Chiron, cheffe de projet pour FNE. La campagne de publicité Tefal visée par la plainte a été lancée en pleins débats parlementaires, rappelle la militante, dénonçant « un cas flagrant d’instrumentalisation de l’opinion publique ».
À lire aussi« La réglementation des PFAS est une question de justice environnementale »
Député du groupe Écologiste et social, Nicolas Thierry avait déposé une première plainte dès le 29 mai 2024. « Le parquet de Paris a confirmé il y a quelques semaines que l’enquête était ouverte, précise Anne Roques, juriste pour FNE. L’action des trois associations est là pour en remettre une couche auprès du parquet, avec toutes les études scientifiques les plus récentes à notre disposition pour démontrer que, de notre point de vue, Tefal n’est pas très honnête. »
Les pratiques commerciales trompeuses sont punies d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel. « Tout est entre les mains du procureur, qui pourrait opter pour le procès comme pour une solution transactionnelle, indique la juriste. Une amende de 40 millions d’euros a été infligée la semaine dernière à la version française de la plateforme chinoise Shein pour des pratiques commerciales trompeuses, à l’issue d’une transaction proposée par le parquet. »
Nicolas Cheviron
Tefal« Tefal. Nos revêtements antiadhésifs sont reconnus comme étant sûrs. » Accompagné de la photo d’une jeune femme radieuse cuisinant des nouilles sautées dans son wok, le slogan s’est étalé en 2024 sur les affiches du géant français des ustensiles de cuisine, désireux de rassurer les consommateurs sur l’innocuité de ses poêles fabriquées avec des matériaux comprenant des polluants éternels (PFAS, selon leur acronyme anglais).
L’affirmation, et quelques autres du même ressort, vaut aujourd’hui au groupe SEB, propriétaire de la marque, une plainte, que Mediapart a pu consulter, pour « pratiques commerciales trompeuses », déposée mercredi 9 juillet au parquet du tribunal de justice de Paris par deux associations de défense de l’environnement – France Nature Environnement (FNE) et Générations futures – ainsi que l’Association citoyenne et laïque des consommateurs (ACLC).
Les trois organisations reprochent à l’industriel une présentation partielle, partiale et donc délictuelle de l’état de la science sur les PFAS composant ses poêles. Ainsi, pour le PTFE, revêtement plastique assurant l’anti-adhésivité de l’ustensile, SEB convoque dans ses publicités « les études menées par les autorités de santé publique en Europe et aux États-unis » pour attester qu’il s’agit d’une « substance qui ne présente pas de danger ».

Or, rétorquent les plaignants dans le texte transmis au parquet, le Centre international de recherche sur le cancer, à l’instar de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), « ne se prononce pas sur l’absence de cancérogénicité ni sur le fait que le PTFE est “sûr” », il se contente de conclure à « l’insuffisance de données pour classifier le PTFE en tant que cancérogène ».
Cycle de vie oublié
De la même façon, SEB met en valeur son abandon des PFOA, une substance cancérigène interdite depuis 2020, que l’entreprise utilisait pour « accrocher » le PTFE sur la poêle, mais ne dit mot sur son successeur, l’Adona.
Cet autre polluant éternel, qui a été « retrouvé dans les rejets aqueux de l’usine » Tefal d’Écully (Rhône) là où on retrouvait autrefois des PFOA, « fait partie des substances PFAS pour lesquelles on n’a pas encore d’éléments et pour lesquelles on ne peut donc pas se prononcer sur la toxicité », commente la chimiste Kildine Le Proux de la Rivière, de Générations futures.
Un cas flagrant d’instrumentalisation de l’opinion publique.
Laura Chiron, cheffe de projet chez FNE
Par ailleurs, « SEB concentre ses arguments sur l’usage des poêles mais ne parle pas du tout de leur cycle de vie », de leur production à leur destruction, souligne la scientifique. Or, lors du processus de fabrication, « le monomère utilisé pour produire le polymère PTFE est identifié comme cancérigène, poursuit-elle. Même s’il y a une gestion des risques, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de danger ».
Et en fin de parcours, « des PFAS peuvent également être déversés dans l’environnement par l’incinération des poêles jetées dans les ordures ménagères », indique le texte de la plainte.
Les polluants éternels sont utilisés par les industriels pour leurs propriétés imperméabilisantes, ignifuges ou encore anti-adhérentes. Ces composés chimiques se retrouvent dans nombre d’objets du quotidien : textiles, emballages alimentaires, cosmétiques. Une loi adoptée le 20 février prévoit la mise en œuvre progressive, entre 2026 et 2030, d’une interdiction d’utiliser ces substances dans les cosmétiques, les enduits pour les skis et les produits textiles. Mais pas pour les ustensiles de cuisine.
« SEB a mené un lobbying intense, ils ont instrumentalisé leurs employés pour organiser une “casserolade” devant l’Assemblée nationale pendant l’examen du texte, et ils sont arrivés à leurs fins », à savoir la sortie des produits de l’entreprise du champ de la loi, résume Laura Chiron, cheffe de projet pour FNE. La campagne de publicité Tefal visée par la plainte a été lancée en pleins débats parlementaires, rappelle la militante, dénonçant « un cas flagrant d’instrumentalisation de l’opinion publique ».
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Député du groupe Écologiste et social, Nicolas Thierry avait déposé une première plainte dès le 29 mai 2024. « Le parquet de Paris a confirmé il y a quelques semaines que l’enquête était ouverte, précise Anne Roques, juriste pour FNE. L’action des trois associations est là pour en remettre une couche auprès du parquet, avec toutes les études scientifiques les plus récentes à notre disposition pour démontrer que, de notre point de vue, Tefal n’est pas très honnête. »
Les pratiques commerciales trompeuses sont punies d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros. Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel. « Tout est entre les mains du procureur, qui pourrait opter pour le procès comme pour une solution transactionnelle, indique la juriste. Une amende de 40 millions d’euros a été infligée la semaine dernière à la version française de la plateforme chinoise Shein pour des pratiques commerciales trompeuses, à l’issue d’une transaction proposée par le parquet. »