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Les jardins suspendus de Tazrouk

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  • Les jardins suspendus de Tazrouk



    C’est l’histoire d’un petit village, où des Imohaghs, pasteurs nomades depuis toujours, ont décidé de se sédentariser et de devenir agriculteurs.


    Tamanrasset.
    De notre envoyé spécial


    Même si les touristes ne viennent plus comme avant admirer ses paysages, Tazrouk a toujours son double motif de fierté : ses 1940 mètres d’altitude, qui en font le village le plus haut d’Algérie, et la saveur particulière des fruits de ses jardins haut perchés. L’histoire de cette oasis, distante de 225 km de Tamanrasset, se confond avec celle d’un homme : El Hadj Ahmed Ag El Hadj El Bekri, amenokal de l’Ahaggar de 1861 à 1877. Il est le fondateur des premiers villages agricoles de la région, comme Idles, Taghawhawt, Tit, Abalessa, Tazrouk, Mertoutek, Amghid ou Hirafok. C’est lui qui a eu l’idée, bien avant d’être élevé au rang d’amenokal, de ramener des agriculteurs du Touat et de Tidikelt pour cultiver les terrasses alluviales d’Idles puis de Tazrouk. Ces paysans, contrairement aux Touareg, avaient une bonne maîtrise du système d’irrigation des foggaras et savaient cultiver la terre et en tirer de bons produits.

    Idles, le premier village agricole de l’Ahaggar

    Nous arrivons à Idles en début d’après-midi. Le vent frais qui souffle continuellement sur ses plateaux situés à 1600 mètres d’altitude atténue la morsure du soleil. Cette localité, qui passe pour être le premier village agricole de l’Ahaggar, est aujourd’hui le chef-lieu de la commune. Au dernier recensement, la population était de 6000 braves citoyens qui n’ont que l’agriculture et l’administration pour pourvoir à leurs besoins. Tout le long de l’oued éponyme, des jardins grands comme des mouchoirs de poche s’alignent les uns à côté des autres. Ce sont essentiellement des vergers et quelques potagers. Contrairement aux sources locales, le tourisme s’est tari depuis belle lurette et plus aucun touriste étranger ne s’aventure sous ces latitudes pourtant très clémentes.
    Ben Hadj Hocine, adjoint au maire d’Idles, nous reçoit dans son bureau. Petit cours de sociologie des tribus Ihaggaren, Kel Ghela et Taytok, de la région dont sont issus tous les imenokalen de l’Ahaggar. Il est suivi d’un bref aperçu historique d’Idles avec quelques notables de la région et des membres de l’exécutif communal. Le très paisible village compte aujourd’hui 8 écoles primaires, un collège d’enseignement moyen et un lycée en construction.
    Il faut attendre le lendemain pour se rendre à Tazrouk, distante de 70 km. Faute d’hôtel et d’auberge, nous passons donc la nuit à Idles où Edaber Mechaoui nous offre très gentiment l’hospitalité. Le lendemain, de bonne heure, cap sur Tazrouk. De superbes paysages de toutes les couleurs et de toutes les nuances nous attendent sur la route. A l’arrivée, comme dans toutes les localités de l’Ahaggar, il faut toujours prendre contact avec les notables du village et les gardiens de l’Office national du parc de l’Ahaggar (OPNA). A Assouwel, là où tout a commencé, le plus vieux figuier de Tazrouk n’est plus qu’un morceau de bois sec.Abdoun Mustapha, 29 ans, fellah, exploite un petit lopin de terre moitié verger, moitié potager. Parallèlement, il élève un troupeau de 25 chèvres. Mustapha produit des tomates, des abricots, des pêches, des grenades, des figues et du raisin, mais durant l’été seulement, car l’hiver il y fait trop froid. Il gèle à pierre fendre et les températures peuvent descendre jusqu’à 5 degrés en dessous de zéro. L’eau, puisée de puits pas très profonds, semble abondante, mais ce n’est qu’un leurre. «S’il ne pleut pas, c’est la catastrophe. Tout sèche et meurt», dit Mustapha. L’Ahaggar ne disposant pas de grandes nappes phréatiques à cause de la nature du sol, on ne peut compter que sur les précipitations qui ont lieu généralement en août et septembre.

    Rencontre avec les Imgharen de Tazrouk

    Idles El Hadj Ahmed s’est déplacé vers Tazrouk avec son bras droit, Karzika, chargé de donner vie à ses terres. Au début, on arrosait les parcelles semées ou plantées avec une outre remplie à partir de la première foggara creusée, puis vint la première poulie et les premières techniques d’irrigation. «On a commencé à faire des hassi et à tirer l’eau à l’aide des chameaux», dit Karzika El Kheir Boukaya, descendant direct du premier agriculteur de Tazrouk et doyen du village, même si on ne connaît pas son âge avec exactitude. Assis à même le sol, discussion avec les Imgharen, les anciens de Tazrouk, dans un mélange d’arabe et d’amazigh. Ce sont les vieux qui doivent prendre la parole en premier.
    Les plus jeunes ne peuvent s’exprimer que si les anciens leur donnent la parole. Tradition oblige.
    Grands voyageurs devant l’Eternel, les Touareg ramènent des graines et des boutures de toutes les contrées dans lesquelles ils se rendent. On expérimente, on greffe et on sélectionne.
    Les arbres fruitiers arrivent les uns après les autres.
    De nouvelles variétés de blé et de mil aussi. «On a ramené du blé du Maroc, du mil de Libye et du maïs d’Egypte», précise Karzika Mohamed Loughlough. Les lentilles, les petits pois et les oignons sont arrivés un peu plus tard. Puis la tomate dans les années 1990. Le raisin, qui fait la fierté et la réputation de la région, est arrivé avec pépins. Par miracle, ou effet du climat et de cet écosystème particulier, il a perdu ses pépins et gagné une saveur exquise que l’on ne retrouve pas ailleurs, paraît-il. «On a atteint des rendements de 10 quintaux de blé à l’hectare», dit encore avec fierté notre interlocuteur.
    Dans la maison des Karzika, où l’on nous invite à prendre le thé, on nous montre une vieille médaille du mérite agricole, gardée comme une relique. Elle date du 21 janvier 1931. Le ministre de l’Agriculture de la République française de l’époque a conféré à Slimane Ag Karzika, demeurant à Tidikelt-Hoggar, territoires du sud d’Algérie, la médaille du mérite agricole comme récompense pour ses longs et loyaux services.

    «Nous travaillons toujours à la pelle et à la pioche»

    La grande majorité des produits de Tazrouk sont des produits du terroir, de surcroît bio, et à ce titre ils pourraient intéresser une vaste clientèle, aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. Il y a là un énorme potentiel à exploiter pour peu que l’on associe le fumier produit par l’élevage caprin et camelin à une production agricole centrée sur quelques produits phares qui ont déjà une réputation.
    Cependant, cette success-story ne doit pas faire oublier tous les grains de sable qui viennent gripper la machine. «Nous travaillons toujours avec la pelle et la pioche, à la force de nos bras», dit Mustapha Abdoun. Le gasoil n’est pas toujours disponible. «Sans gasoil point d’agriculture», dit-il encore. Certaines régions de Tazrouk n’ont pas encore d’électricité. Malgré la profusion de la production des fruits et des légumes, il n’existe aucune unité de transformation des produits maraîchers ni de conserverie à Tazrouk. Les produits sont vendus au marché de Tamanrasset, quand des mandataires ne viennent pas les chercher eux-mêmes. L’excédent de production qui n’a pas trouvé preneur sur les marchés se périme rapidement faute de chambre froide et d’unité de transformation.
    En dépit du fait qu’Idles et Tazrouk sont réputées pour la qualité de leurs produits agricoles, il n’existe aucun institut d’agriculture dans la région. Pourtant, les paysans ont grandement besoin de techniciens pour les conseiller et les assister dans leur travail.
    Le raisin sans pépins, qui fait la fierté de la région, n’est protégé par aucun label. En attendant, Tazrouk espère toujours que les touristes reviendront un jour. S’ils ne le font pas pour ses sublimes paysages, ce sera pour ses fruits.


    Djamel Alilat el watan
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