Pour la première fois un média lourd français, France-Culture évoque ouvertement la crainte des généraux algériens qui, à l’instar des poursuites judiciaires internationales dont fait l’objet actuellement Rose Kabuye, chef du protocole du président Rwandais Paul Kagamé, redoutent le pire pour les exactions commises par l’armée algérienne durant la guerre au terrorisme.
Transcription intégrale de l’émission de France-Culture - Les Enjeux internationaux par Thierry Garcin et Eric Laurent du jeudi 27 novembre 2008
Ali Badou : Sept heures et quart, les enjeux internationaux, Bonjour Thierry Garcin.
Thierry Garcin : Bonjour Ali Badou
Ali Badou : Et aujourd’hui l’Algérie dans la perspective d’un nouveau mandat pour le président Bouteflika
TG : Avec notre invitée Feriel Fates. Bonjour
Ferial Fates : Bonjour
TG : Vous êtes Politologue, vous êtes spécialiste évidemment de l’Algérie, alors on va essayer de voir comment expliquer qu’après deux quinquennats le Président Bouteflika qui est âgé de 71 ans qui est réputé sérieusement malade, veuille briguer donc un troisième mandat. Pour cela, celui-ci a fait voter un amendement constitutionnel à une chambre acquise, voire soumise (les mandats sont limités à deux),et non pas par voie référendaire puisque la constitution limitait les mandats présidentiels à deux. On l’a aussitôt accusé ici ou là de vouloir être “Président à vie”. Il a aussi modifié la nature du poste de chef de gouvernement en Premier ministre, vous allez nous dire ce que cela représente. Quelles oppositions politiques peut-il rencontrer, compte tenu du peu de liberté accordée aux partis politiques reconnus et de la répression dont souffrent ceux qui peuvent s’exprimer contre cet état de fait ? et puis d’autre part que dire quand même toujours à la question rituelle de l’institution Militaire, est-elle traversée par un certain nombre de courants ? est-ce qu’il y a un débat dans la population ? Que dire de l’institution militaire ? Des contre-pouvoirs formels (patronat et syndicats…) et informels (opinions publiques, presse…) ? Comment la situation économique rejaillit-elle sur le débat pré-électoral, dans l’optique de la présidentielle d’avril 2009 ?
FF : Effectivement ce qui était prévu, c’était qu’il y ait des élections en avril 2009 mais avec de nouvelles candidatures. Or le Président Bouteflika a tenu et il a orchestré cette opération [il] a tenu à se représenter et comme le parlement [lui] est acquis, puisque les parlementaires sont considérés par la population comme représentant une institution vide de sens, ils sont même des privilégiés, en septembre 2008, le président leur a accordé une augmentation de leurs indemnités parlementaires qui a beaucoup choqué la population qui est en situation difficile pour la plus grande majorité. Leur augmentation est passée en une année de 20 à 30 fois le salaire mensuel.
TG : Donc tout va bien…
FF : Tout va bien et c’est dire qu’ils n’allaient pas s’opposer et qu’ils ont voté à 90% oui pour la révision constitutionnelle.
TG : C’est ce que l’on appelle une chambre d’enregistrement.
FF : Voilà…absolument. On peut donc considérer qu’il n’y a pas de réel pouvoir législatif en Algérie. Alors pourquoi tient-il à se représenter ? A cela il y a un facteur individuel, il semblerait que ce Monsieur soit doté d’un égo démesuré et que donc il ait une envie de réaliser une œuvre (…) et de rester, pour ce faire, accroché au pouvoir. Et par ailleurs, il y a des enjeux réels qui sont liés à l’état de corruption qui règne dans le milieu politique dirigeant…
TG : Alors j’ai vu justement vous m’avez dit que c’était reproduit dans ‘Le Monde’ un article très intéressant dans un journal francophone algérien ‘El Watan’, un article du Général Benyelles, une véritable charge ce qui prouve qu’il y a une “certaine liberté de la Presse” parce qu’il n’y va pas avec le dos de la cuiller, et il parle notamment entre-autre de la corruption, alors que penser de cet état des lieux justement de cette corruption qui serait presque organique au sein du pouvoir ?
FF : Eh bien elle peut expliquer d’une part le faite que il souhaite se représenter une troisième fois en dépit du blocage que constituait la constitution, parce que il y a notamment une affaire pendante - l’affaire Khalifa - dans laquelle lui même et son cercle familial, voire même sa clientèle sont largement impliqués. Cet escroc a dilapidé des fonds publics considérables qui ont disparu dans un gouffre qui est complètement opaque par définition…
TG : et comme la nature n’aime pas le vide, l’argent a dû aller quelque part …
FF : Vous parliez des oppositions, donc voilà ce qui peut expliquer cette volonté de se maintenir. Ensuite les oppositions : Il aurait pu en rencontrer et par exemple on peut penser que la charge publique du Général Benyelles qui a une certaine légitimité - parce que c’est un membre du gouvernement qui a démissionné (du gouvernement) en octobre 1988 à l’époque où la répression des émeutes [d’octobre] avait provoqué plus de 500 morts parmi les jeunes et donc en signe de protestation…
TG : Je me rappelle, d’ailleurs on était sur place à l’époque si mes souvenirs sont bons au titre de France Culture
FF : Et donc c’est rare pour un dirigeant algérien de manifester son opposition à un acte de répression et donc sa parole a du poids. Et une partie de l’armée serait, dit-on, serait opposée à la candidature de Bouteflika. Mais cette candidature pour un troisième mandat ‘passe’ quand même dans la mesure où Bouteflika ‘tient’ l’armée lui aussi. On sait qu’il a des dossiers sur la manière dont la lutte contre le terrorisme a été effectuée avec des exactions des militaires et des exemples récents rendent la menace qu’il fait peser sur les militaires tangible, on pense à un exemple international, Rose kabouyé du Rwanda qui a été interpellée et pour l’Algérie, il y a actuellement le chef du Protocole du ministère des affaires étrangères [Mohamed Ziane Hassa(sse)ni] qui est mis sous contrôle judiciaire en France pour l’assassinat d’un opposant algérien [Ali André Mecili] qui s’est déroulé en France en 1987. Donc il y a une sorte de neutralisation des uns par les autres à cause de ces dossiers…
TG : Donc la troisième candidature de Bouteflika dans ce cas permettrait justement de garder le couvercle sur un certain nombre de réalités peu agréables et indicibles…
FF : Absolument absolument, absolument
TG : Alors en ce qui concerne - alors çà c’est important aussi - les partis politiques, la nature des débats dans la société même si c’est toujours difficile de globaliser, mais qu’est-ce que l’on peut en dire ?
FF : Alors, d’abord ce qu’il faut dire qu’en dix ans de règne Bouteflika a considérablement affaiblit l’opposition par diverses manœuvres politiques, par des difficultés de fonctionnement, harcèlements judiciaires des opposants, terreur aussi… et donc l’opposition politique, d’ailleurs on l’a vu lors du vote au parlement s’exprime difficilement. L’opposition s’exprime visiblement de deux manières, d’une part par les émeutes au niveau de la population, c’est à dire que quand il y a un problème, il y a un soulèvement spontané, et de plus en plus, une opposition plus organisée, sectorielle, ce sont les grèves qui engagent de grands secteurs comme celui de la fonction publique, il y a eu plusieurs grèves longues de trois jours et de l’éducation nationale, des grèves systématiques bien organisées. On sent qu’il y a un début d’organisation qui ne trouve pas encore réellement d’expression politique puisque ni du côté des islamistes ni du côté de l’opposition démocrate on a des voix suffisamment puissantes et massives pour se faire entendre, mais on peut dire que il y a…
TG : …des contre-pouvoir professionnels catégoriels comme on dit. Plus formels…
FF : De toute façon le pouvoir algérien ne se fait aucune illusion sur l’opinion que la population a de lui dans la mesure ou … un symptôme, c’est par exemple la révision constitutionnelle aurait pu être adoptée par voir référendaire mais le Président s’en est bien gardé parce que il sait très bien que l’abstention aurait été considérable on l’a vu lors des dernières législatives en 2007 où elle a dépassé les 65%…
TG : Les deux tiers…
FF : Oui les deux tiers du corps électoral. Là cela aurait été plus considérable parce que les algériens ne se font aucune illusion sur le pouvoir et même la candidature de Bouteflika pour un troisième mandat, je dirais ne les dérange pas parce que ils disent “lui ou un autre, on reste dans la continuité et il n’y a pas de changement “.
TG : Ce qui frappe c’est l’hypertrophie de l’exécutif, non pas la vacance des déficits évidemment du législatif, quid du judiciaire ? je ne sais pas ! et puis l’émergence de contestations ou le renforcement de contestations via les revendications de catégories…Alors il y a un Premier Ministre et non plus un chef du gouvernement ? juste d’un mot…
FF : Le Premier Ministre… ce changement n’est pas un simple changement de dénomination mais une concentration des pouvoirs entre les mains du président qui va prendre des prérogatives de l’ancien chef du gouvernement, il devient de ce faite un véritable autocrate…
TG : Bon, eh bien écoutez il faudrait y revenir parce que apparemment il y a beaucoup de choses à dire, merci en tout cas Ferial Fates, je rappelle que vous êtes politologue spécialiste de l’Algérie.
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France-Culture / Les Enjeux internationaux par Thierry Garcin et Eric Laurent
Transcription intégrale de l’émission de France-Culture - Les Enjeux internationaux par Thierry Garcin et Eric Laurent du jeudi 27 novembre 2008
Ali Badou : Sept heures et quart, les enjeux internationaux, Bonjour Thierry Garcin.
Thierry Garcin : Bonjour Ali Badou
Ali Badou : Et aujourd’hui l’Algérie dans la perspective d’un nouveau mandat pour le président Bouteflika
TG : Avec notre invitée Feriel Fates. Bonjour
Ferial Fates : Bonjour
TG : Vous êtes Politologue, vous êtes spécialiste évidemment de l’Algérie, alors on va essayer de voir comment expliquer qu’après deux quinquennats le Président Bouteflika qui est âgé de 71 ans qui est réputé sérieusement malade, veuille briguer donc un troisième mandat. Pour cela, celui-ci a fait voter un amendement constitutionnel à une chambre acquise, voire soumise (les mandats sont limités à deux),et non pas par voie référendaire puisque la constitution limitait les mandats présidentiels à deux. On l’a aussitôt accusé ici ou là de vouloir être “Président à vie”. Il a aussi modifié la nature du poste de chef de gouvernement en Premier ministre, vous allez nous dire ce que cela représente. Quelles oppositions politiques peut-il rencontrer, compte tenu du peu de liberté accordée aux partis politiques reconnus et de la répression dont souffrent ceux qui peuvent s’exprimer contre cet état de fait ? et puis d’autre part que dire quand même toujours à la question rituelle de l’institution Militaire, est-elle traversée par un certain nombre de courants ? est-ce qu’il y a un débat dans la population ? Que dire de l’institution militaire ? Des contre-pouvoirs formels (patronat et syndicats…) et informels (opinions publiques, presse…) ? Comment la situation économique rejaillit-elle sur le débat pré-électoral, dans l’optique de la présidentielle d’avril 2009 ?
FF : Effectivement ce qui était prévu, c’était qu’il y ait des élections en avril 2009 mais avec de nouvelles candidatures. Or le Président Bouteflika a tenu et il a orchestré cette opération [il] a tenu à se représenter et comme le parlement [lui] est acquis, puisque les parlementaires sont considérés par la population comme représentant une institution vide de sens, ils sont même des privilégiés, en septembre 2008, le président leur a accordé une augmentation de leurs indemnités parlementaires qui a beaucoup choqué la population qui est en situation difficile pour la plus grande majorité. Leur augmentation est passée en une année de 20 à 30 fois le salaire mensuel.
TG : Donc tout va bien…
FF : Tout va bien et c’est dire qu’ils n’allaient pas s’opposer et qu’ils ont voté à 90% oui pour la révision constitutionnelle.
TG : C’est ce que l’on appelle une chambre d’enregistrement.
FF : Voilà…absolument. On peut donc considérer qu’il n’y a pas de réel pouvoir législatif en Algérie. Alors pourquoi tient-il à se représenter ? A cela il y a un facteur individuel, il semblerait que ce Monsieur soit doté d’un égo démesuré et que donc il ait une envie de réaliser une œuvre (…) et de rester, pour ce faire, accroché au pouvoir. Et par ailleurs, il y a des enjeux réels qui sont liés à l’état de corruption qui règne dans le milieu politique dirigeant…
TG : Alors j’ai vu justement vous m’avez dit que c’était reproduit dans ‘Le Monde’ un article très intéressant dans un journal francophone algérien ‘El Watan’, un article du Général Benyelles, une véritable charge ce qui prouve qu’il y a une “certaine liberté de la Presse” parce qu’il n’y va pas avec le dos de la cuiller, et il parle notamment entre-autre de la corruption, alors que penser de cet état des lieux justement de cette corruption qui serait presque organique au sein du pouvoir ?
FF : Eh bien elle peut expliquer d’une part le faite que il souhaite se représenter une troisième fois en dépit du blocage que constituait la constitution, parce que il y a notamment une affaire pendante - l’affaire Khalifa - dans laquelle lui même et son cercle familial, voire même sa clientèle sont largement impliqués. Cet escroc a dilapidé des fonds publics considérables qui ont disparu dans un gouffre qui est complètement opaque par définition…
TG : et comme la nature n’aime pas le vide, l’argent a dû aller quelque part …
FF : Vous parliez des oppositions, donc voilà ce qui peut expliquer cette volonté de se maintenir. Ensuite les oppositions : Il aurait pu en rencontrer et par exemple on peut penser que la charge publique du Général Benyelles qui a une certaine légitimité - parce que c’est un membre du gouvernement qui a démissionné (du gouvernement) en octobre 1988 à l’époque où la répression des émeutes [d’octobre] avait provoqué plus de 500 morts parmi les jeunes et donc en signe de protestation…
TG : Je me rappelle, d’ailleurs on était sur place à l’époque si mes souvenirs sont bons au titre de France Culture
FF : Et donc c’est rare pour un dirigeant algérien de manifester son opposition à un acte de répression et donc sa parole a du poids. Et une partie de l’armée serait, dit-on, serait opposée à la candidature de Bouteflika. Mais cette candidature pour un troisième mandat ‘passe’ quand même dans la mesure où Bouteflika ‘tient’ l’armée lui aussi. On sait qu’il a des dossiers sur la manière dont la lutte contre le terrorisme a été effectuée avec des exactions des militaires et des exemples récents rendent la menace qu’il fait peser sur les militaires tangible, on pense à un exemple international, Rose kabouyé du Rwanda qui a été interpellée et pour l’Algérie, il y a actuellement le chef du Protocole du ministère des affaires étrangères [Mohamed Ziane Hassa(sse)ni] qui est mis sous contrôle judiciaire en France pour l’assassinat d’un opposant algérien [Ali André Mecili] qui s’est déroulé en France en 1987. Donc il y a une sorte de neutralisation des uns par les autres à cause de ces dossiers…
TG : Donc la troisième candidature de Bouteflika dans ce cas permettrait justement de garder le couvercle sur un certain nombre de réalités peu agréables et indicibles…
FF : Absolument absolument, absolument
TG : Alors en ce qui concerne - alors çà c’est important aussi - les partis politiques, la nature des débats dans la société même si c’est toujours difficile de globaliser, mais qu’est-ce que l’on peut en dire ?
FF : Alors, d’abord ce qu’il faut dire qu’en dix ans de règne Bouteflika a considérablement affaiblit l’opposition par diverses manœuvres politiques, par des difficultés de fonctionnement, harcèlements judiciaires des opposants, terreur aussi… et donc l’opposition politique, d’ailleurs on l’a vu lors du vote au parlement s’exprime difficilement. L’opposition s’exprime visiblement de deux manières, d’une part par les émeutes au niveau de la population, c’est à dire que quand il y a un problème, il y a un soulèvement spontané, et de plus en plus, une opposition plus organisée, sectorielle, ce sont les grèves qui engagent de grands secteurs comme celui de la fonction publique, il y a eu plusieurs grèves longues de trois jours et de l’éducation nationale, des grèves systématiques bien organisées. On sent qu’il y a un début d’organisation qui ne trouve pas encore réellement d’expression politique puisque ni du côté des islamistes ni du côté de l’opposition démocrate on a des voix suffisamment puissantes et massives pour se faire entendre, mais on peut dire que il y a…
TG : …des contre-pouvoir professionnels catégoriels comme on dit. Plus formels…
FF : De toute façon le pouvoir algérien ne se fait aucune illusion sur l’opinion que la population a de lui dans la mesure ou … un symptôme, c’est par exemple la révision constitutionnelle aurait pu être adoptée par voir référendaire mais le Président s’en est bien gardé parce que il sait très bien que l’abstention aurait été considérable on l’a vu lors des dernières législatives en 2007 où elle a dépassé les 65%…
TG : Les deux tiers…
FF : Oui les deux tiers du corps électoral. Là cela aurait été plus considérable parce que les algériens ne se font aucune illusion sur le pouvoir et même la candidature de Bouteflika pour un troisième mandat, je dirais ne les dérange pas parce que ils disent “lui ou un autre, on reste dans la continuité et il n’y a pas de changement “.
TG : Ce qui frappe c’est l’hypertrophie de l’exécutif, non pas la vacance des déficits évidemment du législatif, quid du judiciaire ? je ne sais pas ! et puis l’émergence de contestations ou le renforcement de contestations via les revendications de catégories…Alors il y a un Premier Ministre et non plus un chef du gouvernement ? juste d’un mot…
FF : Le Premier Ministre… ce changement n’est pas un simple changement de dénomination mais une concentration des pouvoirs entre les mains du président qui va prendre des prérogatives de l’ancien chef du gouvernement, il devient de ce faite un véritable autocrate…
TG : Bon, eh bien écoutez il faudrait y revenir parce que apparemment il y a beaucoup de choses à dire, merci en tout cas Ferial Fates, je rappelle que vous êtes politologue spécialiste de l’Algérie.
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France-Culture / Les Enjeux internationaux par Thierry Garcin et Eric Laurent
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