18 ans après l’instauration de l’état d’urgence en Algérie, la société civile subit encore des restrictions lourdes, dans une période où le terrorisme est déclaré « éradiqué » par les hautes sphères. Partis politiques et défenseurs des droits de l’homme ont fait part à El Watan Week-end de leur position vis-à-vis de l’état d’urgence, contrairement aux « cerveaux » de cette loi anticonstitutionnelle qui ont refusé de s’exprimer.
Injustifiée, illégale ou nécessaire, les avis divergent autour d’une question devenue pour le système, une question banalisée au point d’être ancrée dans la vie des Algériens.
A l’origine, après la victoire de l’ex-Front islamiste du salut (FIS) au premier tour des législatives, en décembre 1991, le Haut-Comité d’Etat (HCE) composé de Mohamed Boudiaf, Khaled Nezar (ministre de la Défense nationale), Ali Haroun, Ali Kafi, Tedjini Haddam (ex-recteur de la mosquée de Paris), promulgue le décret fixant instauration de l’état d’urgence, le 9 février 1992.
Pour justifier cette mesure, les autorités évoquent des impératifs liés à la situation sécuritaire. « L’état d’urgence a toujours été une nécessité imposée par une conjoncture marquée par le terrorisme. Il ne gêne nullement les activités en général et notre activité politique, en particulier », justifie Miloud Chorfi, porte-parole du Rassemblement national démocratique (RND).
Même son de cloche chez un autre parti de la coalition présidentielle, le Front de libération nationale (FLN), qui va jusqu’à qualifier la levée de l’état d’urgence de « suicide tant que des crimes continuent à terroriser les citoyens ».
Paradoxalement, les « décideurs », à leur tête le président Abdelaziz Bouteflika, assurent à chacune de leurs sorties la réduction, si ce n’est l’élimination du phénomène du terrorisme. Le caractère anticonstitutionnel dudit décret n’est plus à démontrer puisque depuis presque une vingtaine d’années, l’Etat algérien proroge l’état d’urgence, mis en place à l’époque pour douze mois, sans l’approbation de l’APN comme le stipulent les articles 91 et 92 de la Constitution.
De plus, le Pacte international portant sur les droits civils et politiques, pourtant ratifié par l’Algérie, n’a pas été respecté puisque l’Etat n’a pas communiqué les dispositions de dérogation de droits prises – censées être temporaires – ni ses motifs aux Etats membres de l’ONU, comme le stipule ce Pacte.
A ce propos, Mohcen Belabes, porte-parole du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) dénonce : « La raison pour laquelle l’état d’urgence a été instauré est connue de tous. L’Etat algérien a toujours voulu contrôler la société et ses mouvements afin de pérenniser le système en place. »
En dépit des appels d’associations de défense des droits de l’homme, d’intellectuels et de certaines formations politiques, l’Etat semble s’inscrire dans la volonté de maintenir un régime totalitaire, si l’on se réfère à l’exemple du Mouvement de la société pour la paix (MSP). « Nous avons soumis à la commission de défense nationale, une proposition de loi portant abrogation du décret présidentiel relatif à la proclamation de l’état d’urgence en Algérie. Cette proposition a été rejetée par le gouvernement d’Ahmed Ouyahia », se désole Mohamed Djemâa, porte-parole du MSP.
Il est par ailleurs important de souligner que l’état d’urgence n’est pas sans effets attentatoires sur les citoyens. L’état de siège concède à l’Etat de museler les libertés individuelles et collectives tout en veillant à maîtriser les partis politiques, la société civile ainsi que les associations et la presse. Au train où vont les choses, la levée de l’état d’urgence ne se pose pas comme une priorité pour le gouvernement algérien, ce qui nous renvoie à la déclaration faite en 1994 par l’ancien ministre de la Défense nationale, Khaled Nezzar, dans les quotidiens El Watan et El Khabar où il reconnaît que « la mesure exceptionnelle a été méditée de longue date, un système prémédité pour museler un adversaire politique et, à travers lui, toute opposition légitime ».
Mokrane Aït Larbi. Avocat et militant des droits de l’homme : « L’Etat d’urgence permet au pouvoir d’éviter le retour à une vie politique normale »
- La loi décrétant l’état d’urgence répond-elle à des dispositions bien déterminées ?
Le décret présidentiel portant instauration de l’état d’urgence a été signé par le président du HCE le 9 février 1992. Ce décret était dicté par la situation de l’époque, notamment « les menaces visant la stabilité des institutions et les atteintes graves et répétées portées à l’encontre de la sécurité des citoyens et de la paix civile ». L’article 1er de ce décret prévoit un état d’urgence pour une durée de 12 mois qui « peut être levé avant terme ». Mais il a été prorogé et, 18 ans après, sa levée n’est toujours « pas à l’ordre du jour ». On peut dire que les dispositions de ce décret sont claires et de nature, bien entendu, à restreindre les libertés publiques pour faire face à une situation qui se distinguait par la dissolution de l’Assemblée nationale, la démission du président de la République, l’arrêt du processus électoral et la création du HCE. L’état d’urgence devait être levé après l’élection de l’Assemblée nationale et l’installation du Conseil de la nation.
- Cette loi est-elle en contradiction avec les dispositions de la loi fondamentale ?
La Constitution prévoit l’état d’urgence « en cas de nécessité impérieuse ». L’article 92 (amendements de 1996) renvoie à une loi organique pour fixer l’organisation de l’état d’urgence. Et cette loi n’a pas encore été promulguée.
- D’après vous, pourquoi l’état d’urgence n’a-t-il toujours pas été levé ? Est-ce dû à un échec de la réconciliation nationale ?
Le maintien de l’état d’urgence après la mise en place des institutions est une atteinte grave aux libertés fondamentales et une violation de la Constitution. Certes, il y a encore des groupes terroristes, mais leur existence n’est plus de nature à menacer l’ordre constitutionnel républicain. Le maintien de l’état d’urgence permet donc au Pouvoir et à l’Alliance présidentielle d’éviter le retour à une vie politique normale, ce qui impliquerait un débat public sur les grands problèmes (chômage, logement, transport, école, santé…) et permet par la même occasion aux partis politiques dits d’opposition de justifier leur incapacité de présenter une alternative crédible.
Par LamiaTagzout , El Watan
Injustifiée, illégale ou nécessaire, les avis divergent autour d’une question devenue pour le système, une question banalisée au point d’être ancrée dans la vie des Algériens.
A l’origine, après la victoire de l’ex-Front islamiste du salut (FIS) au premier tour des législatives, en décembre 1991, le Haut-Comité d’Etat (HCE) composé de Mohamed Boudiaf, Khaled Nezar (ministre de la Défense nationale), Ali Haroun, Ali Kafi, Tedjini Haddam (ex-recteur de la mosquée de Paris), promulgue le décret fixant instauration de l’état d’urgence, le 9 février 1992.
Pour justifier cette mesure, les autorités évoquent des impératifs liés à la situation sécuritaire. « L’état d’urgence a toujours été une nécessité imposée par une conjoncture marquée par le terrorisme. Il ne gêne nullement les activités en général et notre activité politique, en particulier », justifie Miloud Chorfi, porte-parole du Rassemblement national démocratique (RND).
Même son de cloche chez un autre parti de la coalition présidentielle, le Front de libération nationale (FLN), qui va jusqu’à qualifier la levée de l’état d’urgence de « suicide tant que des crimes continuent à terroriser les citoyens ».
Paradoxalement, les « décideurs », à leur tête le président Abdelaziz Bouteflika, assurent à chacune de leurs sorties la réduction, si ce n’est l’élimination du phénomène du terrorisme. Le caractère anticonstitutionnel dudit décret n’est plus à démontrer puisque depuis presque une vingtaine d’années, l’Etat algérien proroge l’état d’urgence, mis en place à l’époque pour douze mois, sans l’approbation de l’APN comme le stipulent les articles 91 et 92 de la Constitution.
De plus, le Pacte international portant sur les droits civils et politiques, pourtant ratifié par l’Algérie, n’a pas été respecté puisque l’Etat n’a pas communiqué les dispositions de dérogation de droits prises – censées être temporaires – ni ses motifs aux Etats membres de l’ONU, comme le stipule ce Pacte.
A ce propos, Mohcen Belabes, porte-parole du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) dénonce : « La raison pour laquelle l’état d’urgence a été instauré est connue de tous. L’Etat algérien a toujours voulu contrôler la société et ses mouvements afin de pérenniser le système en place. »
En dépit des appels d’associations de défense des droits de l’homme, d’intellectuels et de certaines formations politiques, l’Etat semble s’inscrire dans la volonté de maintenir un régime totalitaire, si l’on se réfère à l’exemple du Mouvement de la société pour la paix (MSP). « Nous avons soumis à la commission de défense nationale, une proposition de loi portant abrogation du décret présidentiel relatif à la proclamation de l’état d’urgence en Algérie. Cette proposition a été rejetée par le gouvernement d’Ahmed Ouyahia », se désole Mohamed Djemâa, porte-parole du MSP.
Il est par ailleurs important de souligner que l’état d’urgence n’est pas sans effets attentatoires sur les citoyens. L’état de siège concède à l’Etat de museler les libertés individuelles et collectives tout en veillant à maîtriser les partis politiques, la société civile ainsi que les associations et la presse. Au train où vont les choses, la levée de l’état d’urgence ne se pose pas comme une priorité pour le gouvernement algérien, ce qui nous renvoie à la déclaration faite en 1994 par l’ancien ministre de la Défense nationale, Khaled Nezzar, dans les quotidiens El Watan et El Khabar où il reconnaît que « la mesure exceptionnelle a été méditée de longue date, un système prémédité pour museler un adversaire politique et, à travers lui, toute opposition légitime ».
Mokrane Aït Larbi. Avocat et militant des droits de l’homme : « L’Etat d’urgence permet au pouvoir d’éviter le retour à une vie politique normale »
- La loi décrétant l’état d’urgence répond-elle à des dispositions bien déterminées ?
Le décret présidentiel portant instauration de l’état d’urgence a été signé par le président du HCE le 9 février 1992. Ce décret était dicté par la situation de l’époque, notamment « les menaces visant la stabilité des institutions et les atteintes graves et répétées portées à l’encontre de la sécurité des citoyens et de la paix civile ». L’article 1er de ce décret prévoit un état d’urgence pour une durée de 12 mois qui « peut être levé avant terme ». Mais il a été prorogé et, 18 ans après, sa levée n’est toujours « pas à l’ordre du jour ». On peut dire que les dispositions de ce décret sont claires et de nature, bien entendu, à restreindre les libertés publiques pour faire face à une situation qui se distinguait par la dissolution de l’Assemblée nationale, la démission du président de la République, l’arrêt du processus électoral et la création du HCE. L’état d’urgence devait être levé après l’élection de l’Assemblée nationale et l’installation du Conseil de la nation.
- Cette loi est-elle en contradiction avec les dispositions de la loi fondamentale ?
La Constitution prévoit l’état d’urgence « en cas de nécessité impérieuse ». L’article 92 (amendements de 1996) renvoie à une loi organique pour fixer l’organisation de l’état d’urgence. Et cette loi n’a pas encore été promulguée.
- D’après vous, pourquoi l’état d’urgence n’a-t-il toujours pas été levé ? Est-ce dû à un échec de la réconciliation nationale ?
Le maintien de l’état d’urgence après la mise en place des institutions est une atteinte grave aux libertés fondamentales et une violation de la Constitution. Certes, il y a encore des groupes terroristes, mais leur existence n’est plus de nature à menacer l’ordre constitutionnel républicain. Le maintien de l’état d’urgence permet donc au Pouvoir et à l’Alliance présidentielle d’éviter le retour à une vie politique normale, ce qui impliquerait un débat public sur les grands problèmes (chômage, logement, transport, école, santé…) et permet par la même occasion aux partis politiques dits d’opposition de justifier leur incapacité de présenter une alternative crédible.
Par LamiaTagzout , El Watan
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