Eminent économiste et chercheur au long cours, Najib Akesbi jette dans l’entretien suivant un intéressant éclairage sur les ressorts des avancées sectorielles accomplies.
Challenge Hebdo : Quelles sont à vos yeux les grandes réalisations de ces dix ans de règne?
Najib Akesbi : Je vous le dis comme je le pense : je ne vois rien de plus essentiel durant ces dix dernières années que la réalisation de grands chantiers, au sens «physique» du terme (autoroutes, ports, sièges d’administration…). Les réalisations à ce niveau sont incontestables, y compris dans le monde rural, dont on parle moins parce que c’est moins «visible».
On peut citer à ce titre l’électrification rurale, même s’il ne faut pas prendre pour argent comptant les chiffres mirobolants que présentent nos officiels, car il y a une différence entre l’installation de branchements à l’entrée d’un village et l’électrification effective d’un foyer (faute de moyens pour équiper l’habitation et ensuite payer la redevance…).
On peut ajouter les progrès en ce qui concerne l’accès à l’eau potable, même s’ils ne sont pas aussi probants que l’électrification. On peut encore ajouter l’extension des routes rurales, même si –selon les statistiques officielles- plus de 50% des localités rurales sont aujourd’hui encore enclavées…
C.H. : Quelles sont les zones d’ombre de ces dix ans de règne?
N.A. : Je ne parlerais pas de simples zones d’ombre mais plutôt d’échecs, car il y a des domaines où l’on stagne, et d’autres où l’on régresse. Commençons par la croissance économique et sa répartition. Notre modèle économique génère une croissance dont le niveau reste notoirement insuffisant et le cours excessivement instable, volatil, fragile, une croissance encore trop dépendante de l’agriculture, elle-même démesurément tributaire des caprices du climat…
Plus d’un demi-siècle après l’indépendance, la croissance de l’économie marocaine reste avant tout une affaire de « pluie et de beau temps » ! Pour le meilleur et pour le pire du reste, car si cette année, c’est la bonne récolte qui «sauve» l’économie, trop souvent, ces dernières années, c’est la sécheresse qui a plombé les ressorts de l’économie dans son ensemble. Cette incapacité à autonomiser l’économie des aléas de l’agriculture est en soi déjà un terrible échec. Même la fameuse -et ruineuse- « politique des barrages » n’a pas réussi à sécuriser une production agricole à la hauteur de nos besoins, et nous épargner une dépendance alimentaire de plus en plus dangereuse (nous continuons d’importer plus de la moitié de nos besoins en céréales et en sucre, plus de 90% de nos besoins en huiles de graines…).
Quant à notre industrie, elle reste «superficielle», car à très faible valeur ajoutée, donc très faible création de richesses, d’emplois, de revenus… Pour s’en tenir à quelques secteurs «phares», tels le textile-confection, ou les fruits et légumes, plus des deux tiers de la valeur exportée ont déjà été importés ! Notre «valeur ajoutée» se limitant à brader notre main d’oeuvre, notre eau ou notre soleil… Quant à la répartition des fruits de cette croissance, il suffit pour en mesurer l’extrême inégalité de prendre connaissance des dernières données de la comptabilité nationale publiées par le Haut Commissariat au Plan : on y apprend que les deux tiers de la valeur ajoutée produite vont au facteur capital (propriétaires, entrepreneurs, rentiers…), alors que seul un tiers va au facteur travail, c’est-à-dire aux salariés… Le monde à l’envers ! Car ce sont tout de même les travailleurs salariés qui produisent la plus grande part de la richesse. D’ailleurs, en France, ce même rapport est exactement l’inverse de ce qu’il est au Maroc : deux tiers pour les salariés et un tiers pour les « capitalistes ». C’est tout dire…
C.H. : Est-ce à dire que les échecs de ces dix dernières années se résument à notre croissance économique?
N.A. : Non. Dans d’autres domaines, nous avons connu une réelle régression ces dix dernières années. Je m’explique. Prenons le cas des plans de développement économique et social, disparus depuis les années 90 : nous sommes aujourd’hui dans un pays où il y a un Haut Commissariat au Plan qui fait tout sauf des plans !
En revanche, nous avons une flopée de plans sectoriels (Emergence, Azur, Maroc vert...) conçus et mis en œuvre sans aucune coordination ni vision d’ensemble… ils se déploient pourtant dans le même pays ! Ceci est une grave régression. De plus, ces plans sont généralement « commandés » à des bureaux d’études étrangers qui les réalisent en quelques semaines ou quelques mois comme on élaborerait le business plan d’une quelconque entreprise commerciale, au mépris d’une connaissance minimale de certaines réalités politiques, économiques ou sociologiques du pays…
Même au niveau de la forme (qui recouvre en fait aussi le fond), auparavant, un plan faisait l’objet de documents rédigés, argumentés, assortis de statistiques et de références permettant à celui qui veut en examiner la fiabilité de le faire «sur pièce». Aujourd’hui, le «livrable» de ces bureaux d’études se réduit à une série de diapos sur power point !!! Eh oui, allez étudier le sérieux d’une affirmation à partir d’images et de mots-clés sur une diapo ! Ceci aussi est une autre régression, non seulement parce que c’est totalement occulte, parce que cela ne permet aucun débat sérieux sur des analyses fondées, mais aussi parce que c’est sur des bases aussi fragiles (voire quelquefois farfelues…) que l’on va asseoir les choix et les stratégies qui vont déterminer l’avenir de tout le pays !
Le Plan Maroc vert est à cet égard édifiant, car outre des erreurs et des contresens grossiers, on y développe des «analyses» à l’emporte-pièce qui témoignent d’une légèreté et d’une singulière méconnaissance des réalités de l’agriculture et du monde rural au Maroc… Auparavant, un plan une fois achevé était présenté et discuté dans le cadre du Conseil supérieur du plan, puis au Parlement. Même s’il ne s’agit pas de surévaluer ces instances, c’était tout de même l’occasion d’ouvrir un débat national sur les grands choix de politique économique et sociale. Aujourd’hui, ces «documents diapos» sortent des bureaux d’études pour aller directement dans les ministères et commencer à être mis en oeuvre… Encore une terrible régression, du point de vue des règles les plus élémentaires du fonctionnement démocratique des institutions…
Le Makhzen économique, qui a certes existé avant 1999 est, depuis, encore plus vorace que jamais. Jamais la logique de l’accaparement de gains économiques à partir de positions politiques n’a été poussée aussi loin. Jamais l’ONA n’a été aussi puissante et les cas de « conflit d’intérêts » aussi nombreux.
A titre de simples exemples, je peux rappeler les opérations (ou les «coups »…): SNI, Cosumar, Attijari WafaBank, Wana , Addoha – Zoo de Rabat, Lesieur / Savola, Centrale Laitère / Copag, prolongation de la défiscalisation du secteur agricole jusqu’en 2014… Le dénominateur commun à toutes ces «affaires » (et bien d’autres…) est le recours au pouvoir politique pour obtenir un privilège, accumuler des gains, et si nécessaire mettre au pas un concurrent gênant, et ce au mépris des règles les plus élémentaires d’une économie de marché… Particulièrement significatif dans un tel contexte est le fait que, aussitôt créé, le Conseil de la concurrence ait été mis en sommeil profond (comment aurait-il pu avaler de telles couleuvres et rester un tant soit peu crédible ?). Ce Conseil vient d’être ranimé, mais son propre président avoue qu’il n’a aucune des prérogatives nécessaires pour s’acquitter correctement de ses fonctions. C’est dire que le Makhzen économique et plus généralement l’économie de rente ont encore de beaux jours devant eux. Et j’ajouterais que rarement le décalage n’a été aussi flagrant entre le discours sur le libéralisme, les vertus du marché, et les faits qui eux relèvent de pratiques quasi-féodales.
C.H. : Que voulez-vous dire par là ?
N.A. : Dans les pays développés, quand on privatise ou qu’on libéralise un secteur stratégique, on met aussitôt en place des instruments de régulation suffisamment crédibles et indépendants pour représenter une vraie «autorité» capable de discipliner les excès du marché et du secteur privé. Chez nous, on privatise, on libéralise, puis on crée des instances dites de régulation totalement dépendantes du pouvoir politique ! On chante les vertus de la concurrence mais on maintient encore des secteurs aussi névralgiques que le transport terrestre des personnes ou les marchés de gros des fruits et légumes totalement fermés, accessibles uniquement avec des «agréments» obtenus en fonction de sa proximité avec les cercles du pouvoir !
On claironne la nécessaire «sanction du marché» mais quand un journal pro-makhzen est en quasi-faillite faute de lecteurs pour l’acheter, on fait appel à la CDG (garante entre autres de l’épargne des salariés !) pour renflouer l’entreprise moribonde, au moment où d’autres organes de presse, moins dociles, sont trainés devant les tribunaux et accablés d’amendes taillées sur mesure pour les acculer à mettre la clé sous le paillasson… On pourrait allonger cette liste à loisir. Même s’il reste encore beaucoup de choses à dire, et si je dois me limiter à un seul autre problème, j’évoquerai celui des accords de libre-échange. Je l’ai dit quand ils ont été signés, et maintenant c’est le très royal « IRES » qui le dit, naturellement dans les termes qui sont les siens : ces accords ont été une erreur qui pourrait être lourde de conséquence, à moins d’être renégociés. Nos gouvernements ont fait preuve en la matière d’une incroyable légèreté, en prenant des engagements qu’ils savaient parfaitement notre économie incapable d’assumer, de sorte qu’au moment où nous sommes dans l’incapacité de profiter des «avantages» qui nous ont été accordés, nos partenaires eux le sont parfaitement, pour les avantages que nous leur avons accordés… Le résultat tangible pour le moment est un creusement abyssal de notre déficit du commerce extérieur.
C.H. : Il n’y a vraiment rien de positif, sur le plan économique, qui se soit passé durant ces dix dernières années?
N.A. : Si. Le rapport du cinquantenaire a marqué à mon avis un moment fort et émis des messages puissants, pour des réformes majeures. Il aurait pu être saisi pour engager un débat national sur ces véritables réformes qui ne sont pas qu’économiques et sociales, mais avant tout politiques. Malheureusement, une fois de plus, ce rendez-vous a été manqué. Non seulement le débat n’a pas eu lieu, quand il n’a pas été récupéré par les thuriféraires du makhzen pour le glorifier encore plus. Non seulement ses recommandations sont restées lettres mortes, mais le plus grave est que dans certains cas, on a fait exactement le contraire de ce qui était recommandé…
Challenge Hebdo : Quelles sont à vos yeux les grandes réalisations de ces dix ans de règne?
Najib Akesbi : Je vous le dis comme je le pense : je ne vois rien de plus essentiel durant ces dix dernières années que la réalisation de grands chantiers, au sens «physique» du terme (autoroutes, ports, sièges d’administration…). Les réalisations à ce niveau sont incontestables, y compris dans le monde rural, dont on parle moins parce que c’est moins «visible».
On peut citer à ce titre l’électrification rurale, même s’il ne faut pas prendre pour argent comptant les chiffres mirobolants que présentent nos officiels, car il y a une différence entre l’installation de branchements à l’entrée d’un village et l’électrification effective d’un foyer (faute de moyens pour équiper l’habitation et ensuite payer la redevance…).
On peut ajouter les progrès en ce qui concerne l’accès à l’eau potable, même s’ils ne sont pas aussi probants que l’électrification. On peut encore ajouter l’extension des routes rurales, même si –selon les statistiques officielles- plus de 50% des localités rurales sont aujourd’hui encore enclavées…
C.H. : Quelles sont les zones d’ombre de ces dix ans de règne?
N.A. : Je ne parlerais pas de simples zones d’ombre mais plutôt d’échecs, car il y a des domaines où l’on stagne, et d’autres où l’on régresse. Commençons par la croissance économique et sa répartition. Notre modèle économique génère une croissance dont le niveau reste notoirement insuffisant et le cours excessivement instable, volatil, fragile, une croissance encore trop dépendante de l’agriculture, elle-même démesurément tributaire des caprices du climat…
Plus d’un demi-siècle après l’indépendance, la croissance de l’économie marocaine reste avant tout une affaire de « pluie et de beau temps » ! Pour le meilleur et pour le pire du reste, car si cette année, c’est la bonne récolte qui «sauve» l’économie, trop souvent, ces dernières années, c’est la sécheresse qui a plombé les ressorts de l’économie dans son ensemble. Cette incapacité à autonomiser l’économie des aléas de l’agriculture est en soi déjà un terrible échec. Même la fameuse -et ruineuse- « politique des barrages » n’a pas réussi à sécuriser une production agricole à la hauteur de nos besoins, et nous épargner une dépendance alimentaire de plus en plus dangereuse (nous continuons d’importer plus de la moitié de nos besoins en céréales et en sucre, plus de 90% de nos besoins en huiles de graines…).
Quant à notre industrie, elle reste «superficielle», car à très faible valeur ajoutée, donc très faible création de richesses, d’emplois, de revenus… Pour s’en tenir à quelques secteurs «phares», tels le textile-confection, ou les fruits et légumes, plus des deux tiers de la valeur exportée ont déjà été importés ! Notre «valeur ajoutée» se limitant à brader notre main d’oeuvre, notre eau ou notre soleil… Quant à la répartition des fruits de cette croissance, il suffit pour en mesurer l’extrême inégalité de prendre connaissance des dernières données de la comptabilité nationale publiées par le Haut Commissariat au Plan : on y apprend que les deux tiers de la valeur ajoutée produite vont au facteur capital (propriétaires, entrepreneurs, rentiers…), alors que seul un tiers va au facteur travail, c’est-à-dire aux salariés… Le monde à l’envers ! Car ce sont tout de même les travailleurs salariés qui produisent la plus grande part de la richesse. D’ailleurs, en France, ce même rapport est exactement l’inverse de ce qu’il est au Maroc : deux tiers pour les salariés et un tiers pour les « capitalistes ». C’est tout dire…
C.H. : Est-ce à dire que les échecs de ces dix dernières années se résument à notre croissance économique?
N.A. : Non. Dans d’autres domaines, nous avons connu une réelle régression ces dix dernières années. Je m’explique. Prenons le cas des plans de développement économique et social, disparus depuis les années 90 : nous sommes aujourd’hui dans un pays où il y a un Haut Commissariat au Plan qui fait tout sauf des plans !
En revanche, nous avons une flopée de plans sectoriels (Emergence, Azur, Maroc vert...) conçus et mis en œuvre sans aucune coordination ni vision d’ensemble… ils se déploient pourtant dans le même pays ! Ceci est une grave régression. De plus, ces plans sont généralement « commandés » à des bureaux d’études étrangers qui les réalisent en quelques semaines ou quelques mois comme on élaborerait le business plan d’une quelconque entreprise commerciale, au mépris d’une connaissance minimale de certaines réalités politiques, économiques ou sociologiques du pays…
Même au niveau de la forme (qui recouvre en fait aussi le fond), auparavant, un plan faisait l’objet de documents rédigés, argumentés, assortis de statistiques et de références permettant à celui qui veut en examiner la fiabilité de le faire «sur pièce». Aujourd’hui, le «livrable» de ces bureaux d’études se réduit à une série de diapos sur power point !!! Eh oui, allez étudier le sérieux d’une affirmation à partir d’images et de mots-clés sur une diapo ! Ceci aussi est une autre régression, non seulement parce que c’est totalement occulte, parce que cela ne permet aucun débat sérieux sur des analyses fondées, mais aussi parce que c’est sur des bases aussi fragiles (voire quelquefois farfelues…) que l’on va asseoir les choix et les stratégies qui vont déterminer l’avenir de tout le pays !
Le Plan Maroc vert est à cet égard édifiant, car outre des erreurs et des contresens grossiers, on y développe des «analyses» à l’emporte-pièce qui témoignent d’une légèreté et d’une singulière méconnaissance des réalités de l’agriculture et du monde rural au Maroc… Auparavant, un plan une fois achevé était présenté et discuté dans le cadre du Conseil supérieur du plan, puis au Parlement. Même s’il ne s’agit pas de surévaluer ces instances, c’était tout de même l’occasion d’ouvrir un débat national sur les grands choix de politique économique et sociale. Aujourd’hui, ces «documents diapos» sortent des bureaux d’études pour aller directement dans les ministères et commencer à être mis en oeuvre… Encore une terrible régression, du point de vue des règles les plus élémentaires du fonctionnement démocratique des institutions…
Le Makhzen économique, qui a certes existé avant 1999 est, depuis, encore plus vorace que jamais. Jamais la logique de l’accaparement de gains économiques à partir de positions politiques n’a été poussée aussi loin. Jamais l’ONA n’a été aussi puissante et les cas de « conflit d’intérêts » aussi nombreux.
A titre de simples exemples, je peux rappeler les opérations (ou les «coups »…): SNI, Cosumar, Attijari WafaBank, Wana , Addoha – Zoo de Rabat, Lesieur / Savola, Centrale Laitère / Copag, prolongation de la défiscalisation du secteur agricole jusqu’en 2014… Le dénominateur commun à toutes ces «affaires » (et bien d’autres…) est le recours au pouvoir politique pour obtenir un privilège, accumuler des gains, et si nécessaire mettre au pas un concurrent gênant, et ce au mépris des règles les plus élémentaires d’une économie de marché… Particulièrement significatif dans un tel contexte est le fait que, aussitôt créé, le Conseil de la concurrence ait été mis en sommeil profond (comment aurait-il pu avaler de telles couleuvres et rester un tant soit peu crédible ?). Ce Conseil vient d’être ranimé, mais son propre président avoue qu’il n’a aucune des prérogatives nécessaires pour s’acquitter correctement de ses fonctions. C’est dire que le Makhzen économique et plus généralement l’économie de rente ont encore de beaux jours devant eux. Et j’ajouterais que rarement le décalage n’a été aussi flagrant entre le discours sur le libéralisme, les vertus du marché, et les faits qui eux relèvent de pratiques quasi-féodales.
C.H. : Que voulez-vous dire par là ?
N.A. : Dans les pays développés, quand on privatise ou qu’on libéralise un secteur stratégique, on met aussitôt en place des instruments de régulation suffisamment crédibles et indépendants pour représenter une vraie «autorité» capable de discipliner les excès du marché et du secteur privé. Chez nous, on privatise, on libéralise, puis on crée des instances dites de régulation totalement dépendantes du pouvoir politique ! On chante les vertus de la concurrence mais on maintient encore des secteurs aussi névralgiques que le transport terrestre des personnes ou les marchés de gros des fruits et légumes totalement fermés, accessibles uniquement avec des «agréments» obtenus en fonction de sa proximité avec les cercles du pouvoir !
On claironne la nécessaire «sanction du marché» mais quand un journal pro-makhzen est en quasi-faillite faute de lecteurs pour l’acheter, on fait appel à la CDG (garante entre autres de l’épargne des salariés !) pour renflouer l’entreprise moribonde, au moment où d’autres organes de presse, moins dociles, sont trainés devant les tribunaux et accablés d’amendes taillées sur mesure pour les acculer à mettre la clé sous le paillasson… On pourrait allonger cette liste à loisir. Même s’il reste encore beaucoup de choses à dire, et si je dois me limiter à un seul autre problème, j’évoquerai celui des accords de libre-échange. Je l’ai dit quand ils ont été signés, et maintenant c’est le très royal « IRES » qui le dit, naturellement dans les termes qui sont les siens : ces accords ont été une erreur qui pourrait être lourde de conséquence, à moins d’être renégociés. Nos gouvernements ont fait preuve en la matière d’une incroyable légèreté, en prenant des engagements qu’ils savaient parfaitement notre économie incapable d’assumer, de sorte qu’au moment où nous sommes dans l’incapacité de profiter des «avantages» qui nous ont été accordés, nos partenaires eux le sont parfaitement, pour les avantages que nous leur avons accordés… Le résultat tangible pour le moment est un creusement abyssal de notre déficit du commerce extérieur.
C.H. : Il n’y a vraiment rien de positif, sur le plan économique, qui se soit passé durant ces dix dernières années?
N.A. : Si. Le rapport du cinquantenaire a marqué à mon avis un moment fort et émis des messages puissants, pour des réformes majeures. Il aurait pu être saisi pour engager un débat national sur ces véritables réformes qui ne sont pas qu’économiques et sociales, mais avant tout politiques. Malheureusement, une fois de plus, ce rendez-vous a été manqué. Non seulement le débat n’a pas eu lieu, quand il n’a pas été récupéré par les thuriféraires du makhzen pour le glorifier encore plus. Non seulement ses recommandations sont restées lettres mortes, mais le plus grave est que dans certains cas, on a fait exactement le contraire de ce qui était recommandé…
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