De notre bureau de Paris, Khedidja Baba-Ahmed
De réputation, on lui connaissait sa gouaille, son verbe direct et fort, nous avons eu à le vérifier samedi dans les locaux du RCD à Paris, où il était venu débattre avec les militants et sympathisants du RCD, son parti. Nordine Aït-Hamouda, c’est de lui qu’il s’agit, député RCD et vice-président de l’Assemblée nationale, n’a ni mâché ses mots, ni pris des gants, ça n’est définitivement pas le style. A la foule nombreuse venue débattre avec lui (aucune place assise libre, beaucoup l’ont écouté debout) il a promis : «A vous qui allez venir en été dans le pays, je peux vous assurer que cet été, c’est une autre république que vous allez trouver installée.» Et tout au long de l’intervention et du débat, il a expliqué pourquoi et comment il en va «du respect de la couche d’ozone» de nous débarrasser de «ce pouvoir mafieux».
D’entrée de jeu, il désarçonne l’auditoire et annonce que contrairement à ce que l’on pourrait penser, la situation en Algérie est très bonne «elle est même excellente» ajoute-t-il. Comment, en effet, les forces démocratiques ne pourraient pas qualifier ainsi cette situation alors que pour la première fois, dans notre pays, des associations ; des syndicats autonomes et un certain nombre de formations politiques se regroupent ? D’un autre côté, rappelle-t-il, «toute la société, jeunes, femmes, moins jeunes, est en train de bouger ».
«Face à des responsables occupés à piller, il est impossible que la situation reste en l’état»
Quant au pouvoir, il vit une bataille de succession qui dure déjà depuis quelques mois «et quand la bataille de succession fait rage, elle laisse des cadavres». Et pour illustrer son propos, il rappelle que «le chef de la police a été assassiné dans son bureau». «Face à des responsables algériens qui ne s’occupent que de ramasser et de piller le pays, il est impossible que la situation reste en l’état.» Quant au soulèvement qui serait à rapprocher avec ce qu’a vécu la Tunisie, le député rappelle alors que ce pays a marché pendant 15 jours, «nous, nous marchons depuis 20 ans». La corruption est bien réelle dans les deux pays, mais n’a cependant aucune équivalence : «L’on ne peut comparer la corruption de Benali – quelques courgettes et tomates – avec celle de Bouteflika et les siens qui ont volé Sonatrach.» Aucune similitude donc mais un avantage pour l’Algérie, sur la Tunisie : Benali avait préparé sa femme, alors que Bouteflika a préparé son frère, «mais je peux vous l’annoncer aujourd’hui, c’est terminé.»
Ils ont squatté et cassé le pays depuis 1962
Jamais, s’élève encore le député, «l’Algérie n’a été aussi riche avec ses 350 milliards de dollars en banque alors qu’au même moment, les Algériens n’ont été aussi pauvres !» Ce sont des milliards de dollars que ces responsables ont pris et ont même vendu au noir des bateaux de pétrole. Et de citer : Khelil, qui a mis en coupe réglée la Sonatrach et dont l’épouse travaillait dans un grand groupe pétrolier américain ; Madjid Sidi Saïd, ce milliardaire, appelé – quelle paradoxe — non pas le secrétaire général mais le «patron du syndicat » et pour lequel, je promets, je sortirai le dossier dès mon retour à Alger. Et toujours à propos de Sidi Saïd : «Il faudrait, par exemple, qu’il vienne nous expliquer à l’Assemblée, pourquoi Khalifa lui versait 20 000 euros par mois. Nous rendrons publics, d’ailleurs, les noms de tous les responsables et leurs enfants qui ont pris l’argent de Khalifa et les Algériens comprendront alors pourquoi l’Algérie n’acceptera jamais que Moumen Khalifa soit extradé.» Ce sont des escrocs, s’est écrié Aït- Hamouda. «Aujourd’hui, je n’ai plus des divergences politiques avec ces gens, avec Bouteflika, avec Ouyahia, avec l’armée, avec les ministres, mais j’ai des divergences morales. Ce sont des escrocs, et il va falloir les traiter en tant que tels. Mais ce n’est pas tout. Bouteflika a ramené 13 ministres de sa commune ; la plupart des walis sont de M’cirda et de Tlemcen ; la plupart des nominations militaires sont de chez lui. On ne peut squatter ainsi un pays, le gérer même pas comme une boutique familiale, parce que si c’était le cas, ils ne feraient pas ainsi. Comment dans l’Algérie de 2011, s’élève-t-il encore, moi qui suis député, vice-président de l’Assemblée nationale, il me faut venir à Paris pour passer sur les antennes de Berbère TV et porter ma voix en Algérie ? Le mépris affiché vis-à-vis du peuple est, là aussi, une constante de ce pouvoir. Sinon, comment expliquer que le frère de Bouteflika, en présence du président et face à la télévision, annonce à Zidane – contre qui je n’ai rien, c’est un bon footballeur français – lui dise “voilà mon numéro de téléphone…”. N’est-ce pas du mépris.» Et sur le ton de l’ironie, le député RCD ajoute : «Moi aussi j’aurais bien voulu que Saïd Bouteflika me donne son numéro de téléphone au cas où j’aurais besoin de 100 hectares de terrain ou d’un puits de pétrole à Hassi Messaoud.» «Toujours aussi méprisant, poursuit-il, le pouvoir dit que les gens qui sont sortis dans la rue sont des casseurs et de répondre à ce pouvoir “nous, nous avons cassé durant une semaine, mais c’est vous les casseurs qui avez cassé l’Algérie depuis 1962”.»
Le changement ne peut venir que des Algériens eux-mêmes
Quelle aide peut apporter l’extérieur pour que l’on sorte de cette situation ? a demandé un intervenant. Le changement ne peut être, selon lui, que l’œuvre de l’ensemble des Algériens eux-mêmes. «Pourquoi voulez-vous que les gens se battent pour nous, si nous en sommes incapables nous-mêmes ? Si nous en sommes incapables, cela voudra dire que nous sommes colonisables à merci.» Il informera dans la foulée que depuis une semaine, beaucoup de médias français ont demandé à ce qu’il leur parle mais il a refusé. «Je ne leur parlerai pas, je parle uniquement aux miens, car je ne crois pas que les Occidentaux, quelle que soit d’ailleurs, pour certains d’entre eux, la sympathie qu’ils auraient pour nous, je ne crois pas donc qu’ils vont faire le travail à notre place. Et ce, parce qu’ils ont leurs propres intérêts et c’est compréhensible, ce qui l’est moins, c’est que nos dirigeants ne connaissent pas l’intérêt du pays.» Selon le député, «plus le gouvernement algérien est corrompu, plus cela arrange les puissances occidentales parce qu’un président corrompu est un président qui signe n’importe quoi, qui se met à genoux devant eux». Quant aux questions relatives à l’islamisme, sa présence ou non dans la révolution à venir et la position de l’armée, le député RCD aura en substance cette réponse qui devra animer les actions futures en vue du dégommage du régime actuel : «Personne ne pourra nous faire croire que le courant islamiste n’existe pas en Algérie. Il faut intégrer cette donnée, comme il faut intégrer le fait que l’armée a un rôle à jouer mais à cette seule condition et aux seules trois conditions ci-après : en premier lieu, des élections démocratiques avec une surveillance massive par des organisations internationales ; une armée dont le rôle est de défendre la Constitution et de défendre la République, pas d’ingérence donc dans les affaires politiques et c’est enfin à l’armée de veiller à ce que, constitutionnellement, l’on ne se prévale pas d’une religion comme d’ailleurs d’une région pour sortir du jeu démocratique et prendre le pouvoir au nom de Dieu.
Changer le système a un coût, il faut être prêt à le payer
A plusieurs reprises, et comme message principal en direction des militants RCD et de toute la communauté, Nordine Aït-Hamouda martèlera : «Ces gens du pouvoir doivent partir et pour ce faire, soit, ils acceptent une transition démocratique, sans heurts et sans violence, c’est ce que nous demandons et c’est ce qui serait souhaitable.» Mais il ne les croit pas «capables d’avoir le moindre génie pour laisser le pouvoir ainsi». Aussi, il demande à chacun d’être à l’écoute et d’être vigilant. «Une marche est programmée pour le 12 février par les forces démocratiques qui viennent de se constituer. Il faut relayer cette marche, relayer ce qui se fera dans le pays, et tout se fera dans le pays et pas ailleurs.» Et «à cette génération d’internet que vous êtes», il demandera d’utiliser cet outil précieux pour rendre compte de ce qui se passera et le faire savoir dans le monde entier. Ensemble et à ces conditions, «nous arriverons à changer le système politique en Algérie et arriver à la deuxième république», même si cela doit se faire dans la douleur et le sacrifice. Très applaudi, le député a dû rester longuement pour répondre aux uns et aux autres qui voulaient prolonger encore l’échange.
K. B.-A.
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De réputation, on lui connaissait sa gouaille, son verbe direct et fort, nous avons eu à le vérifier samedi dans les locaux du RCD à Paris, où il était venu débattre avec les militants et sympathisants du RCD, son parti. Nordine Aït-Hamouda, c’est de lui qu’il s’agit, député RCD et vice-président de l’Assemblée nationale, n’a ni mâché ses mots, ni pris des gants, ça n’est définitivement pas le style. A la foule nombreuse venue débattre avec lui (aucune place assise libre, beaucoup l’ont écouté debout) il a promis : «A vous qui allez venir en été dans le pays, je peux vous assurer que cet été, c’est une autre république que vous allez trouver installée.» Et tout au long de l’intervention et du débat, il a expliqué pourquoi et comment il en va «du respect de la couche d’ozone» de nous débarrasser de «ce pouvoir mafieux».
D’entrée de jeu, il désarçonne l’auditoire et annonce que contrairement à ce que l’on pourrait penser, la situation en Algérie est très bonne «elle est même excellente» ajoute-t-il. Comment, en effet, les forces démocratiques ne pourraient pas qualifier ainsi cette situation alors que pour la première fois, dans notre pays, des associations ; des syndicats autonomes et un certain nombre de formations politiques se regroupent ? D’un autre côté, rappelle-t-il, «toute la société, jeunes, femmes, moins jeunes, est en train de bouger ».
«Face à des responsables occupés à piller, il est impossible que la situation reste en l’état»
Quant au pouvoir, il vit une bataille de succession qui dure déjà depuis quelques mois «et quand la bataille de succession fait rage, elle laisse des cadavres». Et pour illustrer son propos, il rappelle que «le chef de la police a été assassiné dans son bureau». «Face à des responsables algériens qui ne s’occupent que de ramasser et de piller le pays, il est impossible que la situation reste en l’état.» Quant au soulèvement qui serait à rapprocher avec ce qu’a vécu la Tunisie, le député rappelle alors que ce pays a marché pendant 15 jours, «nous, nous marchons depuis 20 ans». La corruption est bien réelle dans les deux pays, mais n’a cependant aucune équivalence : «L’on ne peut comparer la corruption de Benali – quelques courgettes et tomates – avec celle de Bouteflika et les siens qui ont volé Sonatrach.» Aucune similitude donc mais un avantage pour l’Algérie, sur la Tunisie : Benali avait préparé sa femme, alors que Bouteflika a préparé son frère, «mais je peux vous l’annoncer aujourd’hui, c’est terminé.»
Ils ont squatté et cassé le pays depuis 1962
Jamais, s’élève encore le député, «l’Algérie n’a été aussi riche avec ses 350 milliards de dollars en banque alors qu’au même moment, les Algériens n’ont été aussi pauvres !» Ce sont des milliards de dollars que ces responsables ont pris et ont même vendu au noir des bateaux de pétrole. Et de citer : Khelil, qui a mis en coupe réglée la Sonatrach et dont l’épouse travaillait dans un grand groupe pétrolier américain ; Madjid Sidi Saïd, ce milliardaire, appelé – quelle paradoxe — non pas le secrétaire général mais le «patron du syndicat » et pour lequel, je promets, je sortirai le dossier dès mon retour à Alger. Et toujours à propos de Sidi Saïd : «Il faudrait, par exemple, qu’il vienne nous expliquer à l’Assemblée, pourquoi Khalifa lui versait 20 000 euros par mois. Nous rendrons publics, d’ailleurs, les noms de tous les responsables et leurs enfants qui ont pris l’argent de Khalifa et les Algériens comprendront alors pourquoi l’Algérie n’acceptera jamais que Moumen Khalifa soit extradé.» Ce sont des escrocs, s’est écrié Aït- Hamouda. «Aujourd’hui, je n’ai plus des divergences politiques avec ces gens, avec Bouteflika, avec Ouyahia, avec l’armée, avec les ministres, mais j’ai des divergences morales. Ce sont des escrocs, et il va falloir les traiter en tant que tels. Mais ce n’est pas tout. Bouteflika a ramené 13 ministres de sa commune ; la plupart des walis sont de M’cirda et de Tlemcen ; la plupart des nominations militaires sont de chez lui. On ne peut squatter ainsi un pays, le gérer même pas comme une boutique familiale, parce que si c’était le cas, ils ne feraient pas ainsi. Comment dans l’Algérie de 2011, s’élève-t-il encore, moi qui suis député, vice-président de l’Assemblée nationale, il me faut venir à Paris pour passer sur les antennes de Berbère TV et porter ma voix en Algérie ? Le mépris affiché vis-à-vis du peuple est, là aussi, une constante de ce pouvoir. Sinon, comment expliquer que le frère de Bouteflika, en présence du président et face à la télévision, annonce à Zidane – contre qui je n’ai rien, c’est un bon footballeur français – lui dise “voilà mon numéro de téléphone…”. N’est-ce pas du mépris.» Et sur le ton de l’ironie, le député RCD ajoute : «Moi aussi j’aurais bien voulu que Saïd Bouteflika me donne son numéro de téléphone au cas où j’aurais besoin de 100 hectares de terrain ou d’un puits de pétrole à Hassi Messaoud.» «Toujours aussi méprisant, poursuit-il, le pouvoir dit que les gens qui sont sortis dans la rue sont des casseurs et de répondre à ce pouvoir “nous, nous avons cassé durant une semaine, mais c’est vous les casseurs qui avez cassé l’Algérie depuis 1962”.»
Le changement ne peut venir que des Algériens eux-mêmes
Quelle aide peut apporter l’extérieur pour que l’on sorte de cette situation ? a demandé un intervenant. Le changement ne peut être, selon lui, que l’œuvre de l’ensemble des Algériens eux-mêmes. «Pourquoi voulez-vous que les gens se battent pour nous, si nous en sommes incapables nous-mêmes ? Si nous en sommes incapables, cela voudra dire que nous sommes colonisables à merci.» Il informera dans la foulée que depuis une semaine, beaucoup de médias français ont demandé à ce qu’il leur parle mais il a refusé. «Je ne leur parlerai pas, je parle uniquement aux miens, car je ne crois pas que les Occidentaux, quelle que soit d’ailleurs, pour certains d’entre eux, la sympathie qu’ils auraient pour nous, je ne crois pas donc qu’ils vont faire le travail à notre place. Et ce, parce qu’ils ont leurs propres intérêts et c’est compréhensible, ce qui l’est moins, c’est que nos dirigeants ne connaissent pas l’intérêt du pays.» Selon le député, «plus le gouvernement algérien est corrompu, plus cela arrange les puissances occidentales parce qu’un président corrompu est un président qui signe n’importe quoi, qui se met à genoux devant eux». Quant aux questions relatives à l’islamisme, sa présence ou non dans la révolution à venir et la position de l’armée, le député RCD aura en substance cette réponse qui devra animer les actions futures en vue du dégommage du régime actuel : «Personne ne pourra nous faire croire que le courant islamiste n’existe pas en Algérie. Il faut intégrer cette donnée, comme il faut intégrer le fait que l’armée a un rôle à jouer mais à cette seule condition et aux seules trois conditions ci-après : en premier lieu, des élections démocratiques avec une surveillance massive par des organisations internationales ; une armée dont le rôle est de défendre la Constitution et de défendre la République, pas d’ingérence donc dans les affaires politiques et c’est enfin à l’armée de veiller à ce que, constitutionnellement, l’on ne se prévale pas d’une religion comme d’ailleurs d’une région pour sortir du jeu démocratique et prendre le pouvoir au nom de Dieu.
Changer le système a un coût, il faut être prêt à le payer
A plusieurs reprises, et comme message principal en direction des militants RCD et de toute la communauté, Nordine Aït-Hamouda martèlera : «Ces gens du pouvoir doivent partir et pour ce faire, soit, ils acceptent une transition démocratique, sans heurts et sans violence, c’est ce que nous demandons et c’est ce qui serait souhaitable.» Mais il ne les croit pas «capables d’avoir le moindre génie pour laisser le pouvoir ainsi». Aussi, il demande à chacun d’être à l’écoute et d’être vigilant. «Une marche est programmée pour le 12 février par les forces démocratiques qui viennent de se constituer. Il faut relayer cette marche, relayer ce qui se fera dans le pays, et tout se fera dans le pays et pas ailleurs.» Et «à cette génération d’internet que vous êtes», il demandera d’utiliser cet outil précieux pour rendre compte de ce qui se passera et le faire savoir dans le monde entier. Ensemble et à ces conditions, «nous arriverons à changer le système politique en Algérie et arriver à la deuxième république», même si cela doit se faire dans la douleur et le sacrifice. Très applaudi, le député a dû rester longuement pour répondre aux uns et aux autres qui voulaient prolonger encore l’échange.
K. B.-A.
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