LE MONDE | 06.07.06 | 15h02
Agrippé à un feu rouge, en haut des Champs-Elysées, un jeune Noir hurle dans un mégaphone : il fait chanter La Marseillaise à 200 ou 300 personnes, qui reprennent le premier couplet, une fois, deux fois, trois fois, trop heureuses de revivre l'explosion de joie de l'été 1998. Et de se redécouvrir "blacks, blancs, beurs" au moins le temps d'une soirée de fête collective dans la capitale.
Par grappes, à pied, à deux-roues, en métro, en voiture, des centaines de milliers de Parisiens, de toutes origines, ont convergé vers la célèbre avenue parisienne après la victoire de l'équipe de France contre le Portugal : 500 000 selon la police, "des millions" si l'on écoute les fans eux-mêmes. Un scénario répété dans la plupart des villes françaises : des scènes de liesse impliquant des milliers de supporteurs ont eu lieu à Marseille, Toulouse, Lyon, Lille, etc.
Avec, partout, une star incontournable : Zinédine Zidane, dont le nom est scandé par des groupes de fidèles en transe, porteurs des drapeaux algérien et français : "Zzzizzzou ! Zzzizzzou !" Ceux qui ont revêtu le maillot de l'équipe de France avec le nom de Zidane floqué dans le dos se font parfois embrasser : "Zidane, je t'aime !", hurle une jeune fille après avoir serré dans ses bras un jeune homme porteur du no 10 qui n'en demandait pas tant.
La Marseillaise à tue-tête, donc, les drapeaux français, les maillots bleus, les pétards, les fumigènes, les feux d'artifice, les bouteilles de bière, les klaxons et le téléphone portable, indispensable pour prendre la photo prouvant qu'"on y était !" : toute la panoplie du supporteur joyeux et démonstratif est ressortie avec le retour en grâce de l'équipe de France.
Les slogans ont été plus ou moins bien travaillés. Du classique "On est en finale ! On est en finale !" au plus ambitieux "Italie, serre les fesses, on arrive à toute vitesse !". A l'occasion, les habitués des stades ont recyclé le slogan habituellement utilisé en club : "Qui ne saute pas n'est pas français !" - un test de nationalité réussi haut la main, en ces temps de débats sur l'immigration, par la foule bigarrée des Champs-Elysées.
Beaucoup de supporteurs sont directement arrivés des stades ouverts pour permettre la diffusion du match sur écran géant : 20 000 personnes au Parc des Princes, 25 000 à Charléty, des milliers à Jean-Bouin. Avec la joie, avec l'alcool aussi, tout semble devenir possible. Une joyeuse anarchie conduit les supporteurs à prendre d'assaut les voitures autour de l'Arc de Triomphe pour grimper sur les toits ou s'accrocher aux fenêtres. Des motos traversent l'avenue à grande vitesse et moteur hurlant. Certains s'amusent à tirer des feux d'artifice sur la foule.
Ce moment d'inconscience collective a inévitablement fait des dégâts : un homme est décédé à la station Opéra après être tombé du toit du métro dans des circonstances encore imprécises. Cinq personnes ont été blessées après le match, dont deux grièvement, quand un motard a perdu le contrôle de son engin, dans le 13e arrondissement. Une autre personne, dont l'état exact n'a pas été précisé, a été blessée à l'arme blanche à la sortie du stade Charléty.
DES INCIDENTS SPORADIQUES
Des incidents sporadiques, provoqués par quelques centaines de supporteurs, ont eu lieu alors que la fête touchait à sa fin. Des bouteilles ont été lancées sur les forces de l'ordre - ces autres "bleus" (surnom des policiers) que certains jeunes souhaitaient pouvoir affronter. Les moins téméraires se sont contentés de lancer des slogans, notamment "Sarko, on t'****** !", appris lors des émeutes d'octobre et novembre 2005, répétés pendant les manifestations contre le CPE au printemps 2006. Présente en nombre avec 2 000 hommes mobilisés, la police a procédé à plusieurs interpellations, la plupart pour des vols, jets de projectiles ou dégradations.
Au milieu de l'avenue, deux jeunes ont descendu les Champs-Elysées en portant une pancarte : "Les racailles vont nous ramener la Coupe : si ce n'est pas magnifique !" Un clin d'oeil appuyé au nombre important de joueurs "issus de l'immigration" dans l'équipe de France. Un message évidemment apprécié à sa juste valeur par la foule "black, blanc, beur".
Luc Bronner
Agrippé à un feu rouge, en haut des Champs-Elysées, un jeune Noir hurle dans un mégaphone : il fait chanter La Marseillaise à 200 ou 300 personnes, qui reprennent le premier couplet, une fois, deux fois, trois fois, trop heureuses de revivre l'explosion de joie de l'été 1998. Et de se redécouvrir "blacks, blancs, beurs" au moins le temps d'une soirée de fête collective dans la capitale.
Par grappes, à pied, à deux-roues, en métro, en voiture, des centaines de milliers de Parisiens, de toutes origines, ont convergé vers la célèbre avenue parisienne après la victoire de l'équipe de France contre le Portugal : 500 000 selon la police, "des millions" si l'on écoute les fans eux-mêmes. Un scénario répété dans la plupart des villes françaises : des scènes de liesse impliquant des milliers de supporteurs ont eu lieu à Marseille, Toulouse, Lyon, Lille, etc.
Avec, partout, une star incontournable : Zinédine Zidane, dont le nom est scandé par des groupes de fidèles en transe, porteurs des drapeaux algérien et français : "Zzzizzzou ! Zzzizzzou !" Ceux qui ont revêtu le maillot de l'équipe de France avec le nom de Zidane floqué dans le dos se font parfois embrasser : "Zidane, je t'aime !", hurle une jeune fille après avoir serré dans ses bras un jeune homme porteur du no 10 qui n'en demandait pas tant.
La Marseillaise à tue-tête, donc, les drapeaux français, les maillots bleus, les pétards, les fumigènes, les feux d'artifice, les bouteilles de bière, les klaxons et le téléphone portable, indispensable pour prendre la photo prouvant qu'"on y était !" : toute la panoplie du supporteur joyeux et démonstratif est ressortie avec le retour en grâce de l'équipe de France.
Les slogans ont été plus ou moins bien travaillés. Du classique "On est en finale ! On est en finale !" au plus ambitieux "Italie, serre les fesses, on arrive à toute vitesse !". A l'occasion, les habitués des stades ont recyclé le slogan habituellement utilisé en club : "Qui ne saute pas n'est pas français !" - un test de nationalité réussi haut la main, en ces temps de débats sur l'immigration, par la foule bigarrée des Champs-Elysées.
Beaucoup de supporteurs sont directement arrivés des stades ouverts pour permettre la diffusion du match sur écran géant : 20 000 personnes au Parc des Princes, 25 000 à Charléty, des milliers à Jean-Bouin. Avec la joie, avec l'alcool aussi, tout semble devenir possible. Une joyeuse anarchie conduit les supporteurs à prendre d'assaut les voitures autour de l'Arc de Triomphe pour grimper sur les toits ou s'accrocher aux fenêtres. Des motos traversent l'avenue à grande vitesse et moteur hurlant. Certains s'amusent à tirer des feux d'artifice sur la foule.
Ce moment d'inconscience collective a inévitablement fait des dégâts : un homme est décédé à la station Opéra après être tombé du toit du métro dans des circonstances encore imprécises. Cinq personnes ont été blessées après le match, dont deux grièvement, quand un motard a perdu le contrôle de son engin, dans le 13e arrondissement. Une autre personne, dont l'état exact n'a pas été précisé, a été blessée à l'arme blanche à la sortie du stade Charléty.
DES INCIDENTS SPORADIQUES
Des incidents sporadiques, provoqués par quelques centaines de supporteurs, ont eu lieu alors que la fête touchait à sa fin. Des bouteilles ont été lancées sur les forces de l'ordre - ces autres "bleus" (surnom des policiers) que certains jeunes souhaitaient pouvoir affronter. Les moins téméraires se sont contentés de lancer des slogans, notamment "Sarko, on t'****** !", appris lors des émeutes d'octobre et novembre 2005, répétés pendant les manifestations contre le CPE au printemps 2006. Présente en nombre avec 2 000 hommes mobilisés, la police a procédé à plusieurs interpellations, la plupart pour des vols, jets de projectiles ou dégradations.
Au milieu de l'avenue, deux jeunes ont descendu les Champs-Elysées en portant une pancarte : "Les racailles vont nous ramener la Coupe : si ce n'est pas magnifique !" Un clin d'oeil appuyé au nombre important de joueurs "issus de l'immigration" dans l'équipe de France. Un message évidemment apprécié à sa juste valeur par la foule "black, blanc, beur".
Luc Bronner
Commentaire