Aucun dirigeant du Front de libération nationale n’aura connu autant que Abane Ramdane une couverture éditoriale et médiatique appelée encore à s’afficher à l’occasion du soixantième anniversaire de son assassinat le 27 décembre 1957 à Tétouan.
Tout continue de se passer comme si cet assassinat, sous la pression politico-médiatique récurrente, était interdit d’inscription dans le seul registre duquel il doit relever, celui de l’histoire, le seul à même à en restituer le sens et la portée.
Abane Ramdane paraît ainsi être convoqué sur une scène politique qu’il ne pouvait connaître et souvent sous des habits et pour une cause qui ne furent jamais les siens, lui qui avait justement voué toute sa vie et son intelligence à l’Algérie et à la seule Algérie.
Au lendemain de la mort tragique de Abane des mains de ses compagnons, la guerre continuait et la question de savoir si la brutale disparition du coordinateur du CCE issu du congrès de la Soummam avait infléchi le cours du conflit reste une pure question d’école qui informe, entre autres faits, sur la dimension violente, fratricide d’une guerre d’indépendance qui, en dépit de tout, allait parvenir à consacrer, au moins formellement, les objectifs fixés par la proclamation du 1er Novembre 1954.
Une guerre fratricide
Au sein du FLN/ALN, le bilan des exécutions sommaires, des règlements de compte politiques, des assassinats commandités ou des morts au combat dans des conditions parfois troubles reste à établir qui renvoie autant aux déterminismes socio-culturels d’une guerre inégale qu’aux enjeux de pouvoir.
Des responsables se sont ainsi autorisés à condamner, exécuter d’autres compagnons de lutte le plus souvent sous le couvert de l’intérêt supérieur du combat et dans un climat d’impunité.
Le 23 octobre 1955, dans les maquis des Aurès, Abbas Laghrour et Adjoul Adjoul mettaient à mort Chihani Bachir, «Commandant Si Messaoud», adjoint de Mostefa Benboulaid et chef intérimaire de la zone 2 des Aurès Nemencha. Le motif avancé – une question de mœurs – n’avait trompé que ceux qui voulaient bien l’être. Chihani Bachir, natif du Khroub (wilaya de Constantine), formé dans les établissements scolaires constantinois, était non seulement un lettré, mais un militant de la première heure du MTLD au sein duquel il exerça différentes responsabilités.
Au congrès des centralistes de Belcourt de juillet 1954, il défendit la nécessité de recourir à la lutte armée et il fut des premières opérations de l’ALN dans les Aurès. Il avait la confiance de Si Mostefa Benboulaid – parti à la quête des armes en Libye – et son engagement sans réserve gênait les appétits de pouvoir de ses adjoints et derrière eux les ambitions et les puissances tribales que Benboulaid avait su contenir de toute son autorité. Le crime de Si Messaoud ? Il était aussi arabe laisse-t-on entendre à voix basse. L’assassinat de Chihani Bachir suivi de la mort brutale – et suspecte pour certains – en mars 1956 allaient livrer la Zone I des Aurès à une effroyable guerre intérieure.
La zone 2 du Nord constantinois, qui avait visé à soulager, lors des opérations du 20 août 1955, la pression de l’armée française sur les Aurès – à la demande de Chihani Bachir – allait, à son tour, être confrontée au drame des liquidations internes. Le 1er Novembre 1955, l’exécution de Smain Zighed, Saci Bakhouche et Chérif Zadi a longtemps relevé du tabou à Constantine même et dans les rangs des anciens moudjahidine.
Arrêtés en marge d’une réunion des cadres de la zone 2 sur les hauteurs d’El Milia, ils furent garrotés et exécutés sans jugement le 1er novembre 1955. Militant de l’OS, Saci Bakhouche fut l’intercesseur dans la résolution de la crise dite du «groupe de Constantine» et Chérif Zadi était l’une des figures emblématiques du PPA/MTLD à Constantine. Smain Zighed, de l’avis de ceux qui l’ont connu, est d’une trempe exceptionnelle et correspond en tous points à l’image récurrente du militant plébéien du PPA. C’est lui qui conduisit les opérations du 20 août 1955 à Skikda qui furent l’épicentre de l’offensive. Taupes messalistes, ambition de pouvoir de Zighed, élimination des Constantinois ? Ces hypothèses demandent encore confirmation.
Dans un courrier adressé à la délégation extérieure, Abane Ramdane écrit à ce sujet. «Il (Zighoud) découvrira que ces messalistes avaient monté un complot pour abattre les chefs frontistes (…) Après enquête et jugement, ces policiers MNA ont été fusillés.» L’intégralité du courrier indique que Abane était, pour le moins, peu ou mal informé (1).
Les messalistes n’étaient pas les seuls à hanter l’esprit de Abane Ramdane – il avait notamment préconisé la mise à mort de Messali Hadj – comme le rappelle dans un poignant témoignage Me Ali Yahia Abdennour. : «Benkhedda m’a informé que le CCE avait condamné à mort Ouali Bennai» qui fut effectivement exécuté le 13 février 1956 à Djemaa Saharidj. Cette exécution fait suite à celle de Amar Ould Hammouda, l’un et l’autre liés à la crise berbériste de 1949.
«En creusant ma tombe, tu creuses aussi la tienne.» C’est le message adressé par Ouali Bennai à Abane rapporte Me Ali Yahia Abdennour.
Il y eu aussi l’exécution du capitaine Zoubir et l’historien Mohamed Harbi, alors cadre du FLN, aura échappé de peu à la condamnation lancée par le commandant Ali Mendjeli. Si on peut en décompter – de manière toute relative – les victimes, cette guerre intérieure fratricide au sein du FLN/ALN est loin d’avoir livré ses causes, ses enjeux et ses conséquences et la question demeure lancinante de comprendre – ni pour légitimer ni pour absoudre - dans l’affaire Abane Ramdane quelles raisons ont déterminé ses pairs du CCE à prononcer et à faire exécuter sa condamnation à mort.
Sa présence médiatique récurrente suffit-elle à dire qui était Abane Ramdane ?
Pour rappel, Abane Ramdane, militant dans les rangs du MTLD, membre de l’Organisation spéciale – appartenance contestée par certains écrits – fait partie de la charrette du démantèlement de l’OS en 1950.
Arrêté et condamné à cinq années de prison, il est libéré en janvier 1955. A-t-il été libéré au terme de peine ou a-t-il bénéficié d’une libération anticipée et alors suspecte ? Cette question ne s’est pas posée pour Krim Belkacem et Amar Ouamrane qui, au lendemain de son retour à Azzouza, l’invitent à rejoindre le Front et lui assignent la mission de renforcer la zone quatre du Centre algérois qui avait déjà bénéficié, la veille de l’insurrection du 1er Novembre, de l’apport des hommes de Grande Kabylie.
On sait que le militant aguerri Lakhdar Rebah avait été l’un des passeurs de Abane Ramdane dans une capitale algéroise en effervescence et qui n’aura pas, notamment, accueilli la rencontre d’évaluation, programmée pour janvier 1955, par les fondateurs du FLN. On peut tenir que ce rendez-vous manqué constitue l’une des premières inflexions du cours de la guerre d’indépendance qui appelle la question de savoir quelle impulsion et orientation donner au FLN/ALN en l’absence sur le territoire national de direction de la résistance ?
Cette question lancinante devait peser de manière encore plus cruciale en ce printemps 1955, à l’heure où Abane Ramdane prenait ses marques, avec la dimension alors dramatique du cours de la guerre.
Dirigeant de la zone 2 du Nord Constantinois et membre fondateur du FLN, Didouche Mourad meurt au combat le 28 janvier 1955 à djebel Boukarkar – non loin d’El Arrouch – alors que l’emblématique Mostefa Benboulaid, chef de la zone une des Aurès Nemencha, alors principal foyer avec la grande Kabylie, de la résistance armée, est arrêté en février, à la frontière tunisienne, alors qu’il était en quête d’armes si vitales pour l’ALN.
Rabah Bitat, «Si Mohamed», responsable de la zone quatre du grand Alger, tombe le 16 mars, dans le piège tendu par Kobus au moment où Jacques Soustelle, nouveau gouverneur général d’Algérie, travaille à l’enseigne de l’intégration, à constituer une troisième voie qui disqualifierait le FLN.
Abane a-t-il – comme cela est rapporté par quelques écrits – critiqué l’impréparation de l’insurrection de novembre ?
Tout continue de se passer comme si cet assassinat, sous la pression politico-médiatique récurrente, était interdit d’inscription dans le seul registre duquel il doit relever, celui de l’histoire, le seul à même à en restituer le sens et la portée.
Abane Ramdane paraît ainsi être convoqué sur une scène politique qu’il ne pouvait connaître et souvent sous des habits et pour une cause qui ne furent jamais les siens, lui qui avait justement voué toute sa vie et son intelligence à l’Algérie et à la seule Algérie.
Au lendemain de la mort tragique de Abane des mains de ses compagnons, la guerre continuait et la question de savoir si la brutale disparition du coordinateur du CCE issu du congrès de la Soummam avait infléchi le cours du conflit reste une pure question d’école qui informe, entre autres faits, sur la dimension violente, fratricide d’une guerre d’indépendance qui, en dépit de tout, allait parvenir à consacrer, au moins formellement, les objectifs fixés par la proclamation du 1er Novembre 1954.
Une guerre fratricide
Au sein du FLN/ALN, le bilan des exécutions sommaires, des règlements de compte politiques, des assassinats commandités ou des morts au combat dans des conditions parfois troubles reste à établir qui renvoie autant aux déterminismes socio-culturels d’une guerre inégale qu’aux enjeux de pouvoir.
Des responsables se sont ainsi autorisés à condamner, exécuter d’autres compagnons de lutte le plus souvent sous le couvert de l’intérêt supérieur du combat et dans un climat d’impunité.
Le 23 octobre 1955, dans les maquis des Aurès, Abbas Laghrour et Adjoul Adjoul mettaient à mort Chihani Bachir, «Commandant Si Messaoud», adjoint de Mostefa Benboulaid et chef intérimaire de la zone 2 des Aurès Nemencha. Le motif avancé – une question de mœurs – n’avait trompé que ceux qui voulaient bien l’être. Chihani Bachir, natif du Khroub (wilaya de Constantine), formé dans les établissements scolaires constantinois, était non seulement un lettré, mais un militant de la première heure du MTLD au sein duquel il exerça différentes responsabilités.
Au congrès des centralistes de Belcourt de juillet 1954, il défendit la nécessité de recourir à la lutte armée et il fut des premières opérations de l’ALN dans les Aurès. Il avait la confiance de Si Mostefa Benboulaid – parti à la quête des armes en Libye – et son engagement sans réserve gênait les appétits de pouvoir de ses adjoints et derrière eux les ambitions et les puissances tribales que Benboulaid avait su contenir de toute son autorité. Le crime de Si Messaoud ? Il était aussi arabe laisse-t-on entendre à voix basse. L’assassinat de Chihani Bachir suivi de la mort brutale – et suspecte pour certains – en mars 1956 allaient livrer la Zone I des Aurès à une effroyable guerre intérieure.
La zone 2 du Nord constantinois, qui avait visé à soulager, lors des opérations du 20 août 1955, la pression de l’armée française sur les Aurès – à la demande de Chihani Bachir – allait, à son tour, être confrontée au drame des liquidations internes. Le 1er Novembre 1955, l’exécution de Smain Zighed, Saci Bakhouche et Chérif Zadi a longtemps relevé du tabou à Constantine même et dans les rangs des anciens moudjahidine.
Arrêtés en marge d’une réunion des cadres de la zone 2 sur les hauteurs d’El Milia, ils furent garrotés et exécutés sans jugement le 1er novembre 1955. Militant de l’OS, Saci Bakhouche fut l’intercesseur dans la résolution de la crise dite du «groupe de Constantine» et Chérif Zadi était l’une des figures emblématiques du PPA/MTLD à Constantine. Smain Zighed, de l’avis de ceux qui l’ont connu, est d’une trempe exceptionnelle et correspond en tous points à l’image récurrente du militant plébéien du PPA. C’est lui qui conduisit les opérations du 20 août 1955 à Skikda qui furent l’épicentre de l’offensive. Taupes messalistes, ambition de pouvoir de Zighed, élimination des Constantinois ? Ces hypothèses demandent encore confirmation.
Dans un courrier adressé à la délégation extérieure, Abane Ramdane écrit à ce sujet. «Il (Zighoud) découvrira que ces messalistes avaient monté un complot pour abattre les chefs frontistes (…) Après enquête et jugement, ces policiers MNA ont été fusillés.» L’intégralité du courrier indique que Abane était, pour le moins, peu ou mal informé (1).
Les messalistes n’étaient pas les seuls à hanter l’esprit de Abane Ramdane – il avait notamment préconisé la mise à mort de Messali Hadj – comme le rappelle dans un poignant témoignage Me Ali Yahia Abdennour. : «Benkhedda m’a informé que le CCE avait condamné à mort Ouali Bennai» qui fut effectivement exécuté le 13 février 1956 à Djemaa Saharidj. Cette exécution fait suite à celle de Amar Ould Hammouda, l’un et l’autre liés à la crise berbériste de 1949.
«En creusant ma tombe, tu creuses aussi la tienne.» C’est le message adressé par Ouali Bennai à Abane rapporte Me Ali Yahia Abdennour.
Il y eu aussi l’exécution du capitaine Zoubir et l’historien Mohamed Harbi, alors cadre du FLN, aura échappé de peu à la condamnation lancée par le commandant Ali Mendjeli. Si on peut en décompter – de manière toute relative – les victimes, cette guerre intérieure fratricide au sein du FLN/ALN est loin d’avoir livré ses causes, ses enjeux et ses conséquences et la question demeure lancinante de comprendre – ni pour légitimer ni pour absoudre - dans l’affaire Abane Ramdane quelles raisons ont déterminé ses pairs du CCE à prononcer et à faire exécuter sa condamnation à mort.
Sa présence médiatique récurrente suffit-elle à dire qui était Abane Ramdane ?
Pour rappel, Abane Ramdane, militant dans les rangs du MTLD, membre de l’Organisation spéciale – appartenance contestée par certains écrits – fait partie de la charrette du démantèlement de l’OS en 1950.
Arrêté et condamné à cinq années de prison, il est libéré en janvier 1955. A-t-il été libéré au terme de peine ou a-t-il bénéficié d’une libération anticipée et alors suspecte ? Cette question ne s’est pas posée pour Krim Belkacem et Amar Ouamrane qui, au lendemain de son retour à Azzouza, l’invitent à rejoindre le Front et lui assignent la mission de renforcer la zone quatre du Centre algérois qui avait déjà bénéficié, la veille de l’insurrection du 1er Novembre, de l’apport des hommes de Grande Kabylie.
On sait que le militant aguerri Lakhdar Rebah avait été l’un des passeurs de Abane Ramdane dans une capitale algéroise en effervescence et qui n’aura pas, notamment, accueilli la rencontre d’évaluation, programmée pour janvier 1955, par les fondateurs du FLN. On peut tenir que ce rendez-vous manqué constitue l’une des premières inflexions du cours de la guerre d’indépendance qui appelle la question de savoir quelle impulsion et orientation donner au FLN/ALN en l’absence sur le territoire national de direction de la résistance ?
Cette question lancinante devait peser de manière encore plus cruciale en ce printemps 1955, à l’heure où Abane Ramdane prenait ses marques, avec la dimension alors dramatique du cours de la guerre.
Dirigeant de la zone 2 du Nord Constantinois et membre fondateur du FLN, Didouche Mourad meurt au combat le 28 janvier 1955 à djebel Boukarkar – non loin d’El Arrouch – alors que l’emblématique Mostefa Benboulaid, chef de la zone une des Aurès Nemencha, alors principal foyer avec la grande Kabylie, de la résistance armée, est arrêté en février, à la frontière tunisienne, alors qu’il était en quête d’armes si vitales pour l’ALN.
Rabah Bitat, «Si Mohamed», responsable de la zone quatre du grand Alger, tombe le 16 mars, dans le piège tendu par Kobus au moment où Jacques Soustelle, nouveau gouverneur général d’Algérie, travaille à l’enseigne de l’intégration, à constituer une troisième voie qui disqualifierait le FLN.
Abane a-t-il – comme cela est rapporté par quelques écrits – critiqué l’impréparation de l’insurrection de novembre ?
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