Par Taous Ait Mesghat (Une dame que j'adore)
La pastèque madame est incontestablement la reine des fruits . C'est plus fort que moi , c'est mon pêcher mignon , c'est ma lubie .
C'est que voyez vous madame , je n'ai connu son véritable goût que lorsque j'avais 12 ans , et ce fût un choc pour le jeune garçon que j'étais . Non pas que je ne l'avais jamais vue auparavant , non ....c'est juste que mon père était le seul à avoir le droit de la découper , il prenait tout son coeur , vraiment tout le coeur et nous laissait la partie fade proche de l'écorce . Ma mère n'en voulait jamais , parce que voyez vous madame , mon père disait toujours "il ne manquerait plus que les femmes mangent le coeur " et ma mère n'aimait pas la pastèque de toute façon . D'ailleurs elle n'aimait rien , ni les fruits, ni la viande , ni les confiseries . Elle n'avait jamais faim non plus .
Donc durant toute mon enfance je n'aimais pas ce fruit moi aussi , jusqu'au jour où monsieur Hocine l'instituteur du village m'invita moi et trois autres bons élèves à manger chez lui . Sa femme Samia avait préparé un repas succulent , des plats dont je ne connaissais même pas les noms , et comme dessert elle nous présenta un immense plat de pastèque rouge comme le sang . En mettant quelques tranches dans mon assiette je sentis mon coeur battre très fort , trop timide pour leur dire que je ne voulais pas en manger et en même temps curieux de goûter à la partie bien mûre et juteuse que mon père se réservait . Puis je vis monsieur Hocine qui tendait une partie du coeur à sa femme et sans m'en rendre compte je répètais bêtement ce que j'avais toujours entendu "les femmes n'ont pas le droit de manger le coeur !!!" .
Un moment de silence s'en est suivi et puis ce fut un éclat de rire retentissant .
"Mais qui t'a donc raconté ça ?" Me demanda monsieur Hocine , et quand je lui eu narré ce que disait mon père , les rires fusèrent de plus belle.
"Ton père est juste un goujat égoïste qui veut tout le coeur pour lui , c'est pour cela qu'il vous a inventé ces inepties " .
Tout le monde se tordait de rire , tout le monde sauf madame Samia . Elle me regardait , la bouche entrouverte , les yeux immenses embués et rougis , les mains crispées sur le bord de la table . Du haut de mes 12ans je comprenais pourquoi les femmes du village ne l'aimaient pas , elle était trop belle , trop élégante , trop rebelle , trop bien pour leur misère .
Elle me sourit enfin , se leva de table et me tendit un morceau du coeur du fruit . Ce fût une explosion de bonheur dans ma bouche ; le coup de foudre , pour la pastèque et pour cette femme qui se tenait près de moi .
En partant madame Samia nous donna à chacun une pastèque et nous demanda de la manger uniquement avec nos mères. J'ai appris plus tard qu'elle était sortie pour en acheter quatre et elle avait demandé au marchand de mettre la plus belle dans la glace . Pour ne pas me gêner devant mes copains elle en avait offert à tout le monde , mais seule la mienne était volumineuse et fraîche.
En rentrant je trouvais ma mère dans la cour , les manches retroussées et la jelaba relevée jusqu'à mi cuisses , le nez dans le bac à lessive . En me voyant son visage s'illumina comme si elle venait d'avoir une vision extraordinaire. Le sourire creusant ses joues pâles elle fit un signe du menton en désignant ce que je tenais à la main ; je lui racontais que c'était la fête de la pastèque et que les garçons bien élevés devaient la partager seulement avec leurs mères. Elle fit un bond et courut à ce qui nous servait de cuisine pour chercher un couteau , découpa un grand morceau et se mit à le dévorer à pleines dents , le jus rosé ruisselant sur sa poitrine . On aurait crû qu'elle était possédée , dans un état second et je vis ses larmes couler à chaque fois qu'elle mordait dans la chair avec passion .
Je compris alors que ma mère aimait la pastèque , elle aimait manger et avait tout aussi faim que nous ses enfants , mais elle nous mentait pour nous laisser sa maigre ration .
Sept mois plus tard elle mit au monde ma petite soeur Hassina , elle avait les joues rouge pastèque et ma mère me faisait un clin d'oeil à chaque fois que quelqu'un le lui faisait remarquer . La belle pastèque partagée en un moment d'envie , est longtemps restée notre secret .
Et voilà pourquoi madame , la pastèque restera pour moi la reine des fruits et le coeur je l'offre toujours à ma mère , à ma femme et à mes filles . Les femmes sont le coeur de la vie .
Mes respects monsieur .
La pastèque madame est incontestablement la reine des fruits . C'est plus fort que moi , c'est mon pêcher mignon , c'est ma lubie .
C'est que voyez vous madame , je n'ai connu son véritable goût que lorsque j'avais 12 ans , et ce fût un choc pour le jeune garçon que j'étais . Non pas que je ne l'avais jamais vue auparavant , non ....c'est juste que mon père était le seul à avoir le droit de la découper , il prenait tout son coeur , vraiment tout le coeur et nous laissait la partie fade proche de l'écorce . Ma mère n'en voulait jamais , parce que voyez vous madame , mon père disait toujours "il ne manquerait plus que les femmes mangent le coeur " et ma mère n'aimait pas la pastèque de toute façon . D'ailleurs elle n'aimait rien , ni les fruits, ni la viande , ni les confiseries . Elle n'avait jamais faim non plus .
Donc durant toute mon enfance je n'aimais pas ce fruit moi aussi , jusqu'au jour où monsieur Hocine l'instituteur du village m'invita moi et trois autres bons élèves à manger chez lui . Sa femme Samia avait préparé un repas succulent , des plats dont je ne connaissais même pas les noms , et comme dessert elle nous présenta un immense plat de pastèque rouge comme le sang . En mettant quelques tranches dans mon assiette je sentis mon coeur battre très fort , trop timide pour leur dire que je ne voulais pas en manger et en même temps curieux de goûter à la partie bien mûre et juteuse que mon père se réservait . Puis je vis monsieur Hocine qui tendait une partie du coeur à sa femme et sans m'en rendre compte je répètais bêtement ce que j'avais toujours entendu "les femmes n'ont pas le droit de manger le coeur !!!" .
Un moment de silence s'en est suivi et puis ce fut un éclat de rire retentissant .
"Mais qui t'a donc raconté ça ?" Me demanda monsieur Hocine , et quand je lui eu narré ce que disait mon père , les rires fusèrent de plus belle.
"Ton père est juste un goujat égoïste qui veut tout le coeur pour lui , c'est pour cela qu'il vous a inventé ces inepties " .
Tout le monde se tordait de rire , tout le monde sauf madame Samia . Elle me regardait , la bouche entrouverte , les yeux immenses embués et rougis , les mains crispées sur le bord de la table . Du haut de mes 12ans je comprenais pourquoi les femmes du village ne l'aimaient pas , elle était trop belle , trop élégante , trop rebelle , trop bien pour leur misère .
Elle me sourit enfin , se leva de table et me tendit un morceau du coeur du fruit . Ce fût une explosion de bonheur dans ma bouche ; le coup de foudre , pour la pastèque et pour cette femme qui se tenait près de moi .
En partant madame Samia nous donna à chacun une pastèque et nous demanda de la manger uniquement avec nos mères. J'ai appris plus tard qu'elle était sortie pour en acheter quatre et elle avait demandé au marchand de mettre la plus belle dans la glace . Pour ne pas me gêner devant mes copains elle en avait offert à tout le monde , mais seule la mienne était volumineuse et fraîche.
En rentrant je trouvais ma mère dans la cour , les manches retroussées et la jelaba relevée jusqu'à mi cuisses , le nez dans le bac à lessive . En me voyant son visage s'illumina comme si elle venait d'avoir une vision extraordinaire. Le sourire creusant ses joues pâles elle fit un signe du menton en désignant ce que je tenais à la main ; je lui racontais que c'était la fête de la pastèque et que les garçons bien élevés devaient la partager seulement avec leurs mères. Elle fit un bond et courut à ce qui nous servait de cuisine pour chercher un couteau , découpa un grand morceau et se mit à le dévorer à pleines dents , le jus rosé ruisselant sur sa poitrine . On aurait crû qu'elle était possédée , dans un état second et je vis ses larmes couler à chaque fois qu'elle mordait dans la chair avec passion .
Je compris alors que ma mère aimait la pastèque , elle aimait manger et avait tout aussi faim que nous ses enfants , mais elle nous mentait pour nous laisser sa maigre ration .
Sept mois plus tard elle mit au monde ma petite soeur Hassina , elle avait les joues rouge pastèque et ma mère me faisait un clin d'oeil à chaque fois que quelqu'un le lui faisait remarquer . La belle pastèque partagée en un moment d'envie , est longtemps restée notre secret .
Et voilà pourquoi madame , la pastèque restera pour moi la reine des fruits et le coeur je l'offre toujours à ma mère , à ma femme et à mes filles . Les femmes sont le coeur de la vie .
Mes respects monsieur .
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