L'écrivain algérien Yasmina Khadra récemment nommé à la tête du Centre culturel algérien a donné un entretien au journal Le Financier dans laquelle il s'explique et répond à ses détracteurs. Version intégrale.
Le Financier: Il y a quelques mois, vous déploriez, dans les colonnes du quotidien d’Oran, le manque d’intérêt que vous témoignaient les autorités algériennes en tant qu’écrivain à succès, notamment vis-à-vis de votre dernier roman «L’attentat» qui a séduit jusqu’à Hollywood. Aujourd’hui vous êtes nommé à la tête du CCA à Paris. Est-ce que c’est ce genre de reconnaissance que vous cherchiez?
Yasmina Khadra: Pas le manque d’intérêt du Pouvoir, mais des médias algériens qui, par moments, passent à côté de ces événements susceptibles de nous redonner confiance en nous. Quand je vois de quelle manière les occidentaux se battent pour leur élite, allant parfois jusqu’à leur bâtir des stèles abracadabrantesques, je reste songeur devant les hostilités qui mobilisent certains d’entre nous autour d’un succès algérien. Je suppose qu’il s’agit là d’une nature propre aux nations qui régressent. Tirer vers le bas tout ce qui est susceptible de les aider à sortir la tête de la fange. Les choses sont parfaitement claires. Il suffit de tendre l’oreille pour être fixé sur cette infamie qui caractérise beaucoup d’entre nous, et je ne tiens pas à remettre sur le tapis ces horreurs répugnantes qui nous pourrissent l’existence. Quant à ma nomination à la tête du CCA, je ne l’ai pas provoquée. C’est vrai, à une époque, je passais par des moments difficiles et je me serais volontiers agrippé à une perche providentielle pour ne pas couler. Plus maintenant. Je suis très bien ancré dans mes convictions, maître absolu de mes moyens. Il y a à peine deux semaines, j’occupais le plus beau des postes, le plus beau des trônes, celui de ma liberté. Je n’ai nul besoin de promotion, le succès de mes livres et le cercle de mon lectorat me suffisent. Mais il s’agit là d’une première dans la jeune histoire de notre pays. C’est la première fois qu’un Président de la république charge un écrivain, qui n’est pas du sérail et qui a été particulièrement virulent à l’encontre du Système, d’une mission aussi importante : rendre la Culture algérienne à ses enfants, la délivrer des prédateurs et de l’obscurantisme. Je l’ai accepté au nom de tous les artistes et intellectuels qui étaient inscrits aux abonnés absents des manifestations culturelles qu’organisait ce Centre, ayant été moimême persona non grata. J’ai toujours crié sur les toits ma peine de voir notre élite marginalisée. Pour une fois que j’ai l’occasion de lui tendre la main, je ne vais pas me débiner.
Comment expliquez-vous le choix du président Bouteflika qui jette son dévolu sur «quelqu’un qui n’est pas du sérail» et y a-t-il eu des consignes qui ont conditionné votre nomination au CCA à Paris?
Il faut poser la question au Président. Pour ma part, je reste convaincu qu’il sait que je ne suis pas dans le besoin, ce que ça me coûte de renoncer à mes privilèges et mes libertés pour m’investir au profit des AUTRES. Il serait ridicule de penser une seconde que le poste de directeur me flatte ou m’élève dans l’estime des gens. Je vaux beaucoup plus que ça. Mais il ne s’agit pas de moi, il s’agit de notre culture, de notre pays, des espoirs que je nourrissais personnellement pour notre élite.. Mon intégrité y est pour l’essentiel. J’ai fini par convaincre que je ne suis pas un pou bor borgne, que je me venge pas, que je ne renie rien, que ma colère est saine et qu’elle est celle d’un Algérien qui souffre de voir sa patrie bailler aux corneilles à l’heure où la mondialisation frénétique menace de nous bouffer crus. Quant aux consignes, je n’en ai reçues aucune. Là encore, le Président sait que je n’en ai pas besoin. Il sait le respect que j’ai pour l’élite algérienne, sans distinction de moeurs ou d’humeurs. J’espère seulement remettre la culture au bon endroit et rassembler nos créateurs et penseurs autour d’un même idéal : sauver notre pays du marasme culturel dans lequel il se dilue. Ce n’est pas gagné d’avance ni chose aisée, et la bonne volonté ne suffit pas. Mais je reste confiant. Déjà de grands noms de nos Arts et lettres m’ont appelé pour me dire qu’ils sont à mes côtés.
Votre nomination a étonné plus d’un dans le milieu intellectuel algérien. D’ailleurs des voix dans l’opposition à l’instar des journalistes, Leila Aslaoui et Larbi Chalabi (1), se sont exprimées à ce sujet et ne disent pas moins que le Yasmina Khadra auteur d’un article réquisitoire contre le gouvernement en place dans le quotidien espagnol El Pais le 1 juin 2007, n’est pas le même écrivain qui accepte aujourd’hui de servir une institution qui représente ce même gouvernement. En d’autres termes on vous reproche de privilégier votre carrière à votre indépendance intellectuelle. Que leur répondez-vous?
J’ai toujours étonné plus d’un dans le milieu intellectuel algérien. Agréablement, par endroits ; effroyablement par moments. C’est tout à fait logique. Mais pourquoi voulez-vous que je redoute les amalgames quand je SAIS qui je suis. John Steinbeck disait «L’insulte ne demeure telle que lorsqu’elle s’adresse à quelqu’un peu sûr de sa valeur». Je ne connais pas Larbi Chalabi. Je n’ai jamais entendu parler de lui et ignore la teneur de ses propos. Quant à Mme Aslaoui, je suis triste pour elle. C’est une dame que j’ai toujours respectée, et aimée. J’ai même coupé court avec mes éditeurs espagnols qui avaient refusé de traduire ses oeuvres que moi-même leur avais proposées. Je crois qu’elle aurait du, au nom de notre amitié, me passer un coup de fil pour comprendre de quoi il retourne au lieu de se baser sur une méprise de journaliste qui, le lendemain, avait eu l’honnêteté de la rectifier. Cependant, je suis stupéfait par la méchanceté de son texte. Comment a-t-elle pu m’associer à ces coureurs de «koursi» moi qui avais renoncé à ma carrière d’officier pour m’aventurer nu et sans repères dans le monde interlope des Lettres? Comment peut-elle manquer de tant de discernement pour croire que la fonction de directeur de CCA est plus importante, plus prestigieuse et plus convoitée que celle de l’écrivain que je suis? C’est mon nom qui va donner une crédibilité et une vocation au CCA, et non le contraire. Par ailleurs, si le hasard a voulu que je sois cet écrivain qui réconcilierait le Pouvoir avec son élite, eh bien, pourquoi pas? C’était mon rêve d’amener nos dirigeants à cesser de nous considérer comme une menace et une subversion. Ne doutent de la sincérité de mes engagements que ceux qui se sont fossilisés dans la haine expéditive et le rejet péremptoire de toute conscience et présence d’esprit. Ces gens-là n’ont qu’à jeter un oeil sur toutes les belles choses auxquelles j’ai renoncées pour mesurer combien j’aime mon pays. Parce que l’Algérie ne m’appartient pas ; elle appartient à nos enfants et que notre devoir absolu est de ne pas en abuser
Vous avez déclaré dans la presse que «si vous consacrer à d’autres auteurs est plus important qu’écrire, vous le feriez». Dans ce cas quels sont les auteurs que vous voudriez mettre en évidence?
il ne faut pas exagérer. J’ai dit que nos auteurs mériteraient bien quelques sacrifices, de là à renoncer à écrire, c’est trop me demander. Je me vois mal bouder mes feuilles blanches sans mourir un peu. J’essaierais de faire de mon mieux pour donner au Centre une contenance et une vocation ambitieuse, mais je ne laisserais pas mes personnages languir de moi. La littérature est plus qu’une passion, elle est ma vraie nature.
Le Financier: Il y a quelques mois, vous déploriez, dans les colonnes du quotidien d’Oran, le manque d’intérêt que vous témoignaient les autorités algériennes en tant qu’écrivain à succès, notamment vis-à-vis de votre dernier roman «L’attentat» qui a séduit jusqu’à Hollywood. Aujourd’hui vous êtes nommé à la tête du CCA à Paris. Est-ce que c’est ce genre de reconnaissance que vous cherchiez?
Yasmina Khadra: Pas le manque d’intérêt du Pouvoir, mais des médias algériens qui, par moments, passent à côté de ces événements susceptibles de nous redonner confiance en nous. Quand je vois de quelle manière les occidentaux se battent pour leur élite, allant parfois jusqu’à leur bâtir des stèles abracadabrantesques, je reste songeur devant les hostilités qui mobilisent certains d’entre nous autour d’un succès algérien. Je suppose qu’il s’agit là d’une nature propre aux nations qui régressent. Tirer vers le bas tout ce qui est susceptible de les aider à sortir la tête de la fange. Les choses sont parfaitement claires. Il suffit de tendre l’oreille pour être fixé sur cette infamie qui caractérise beaucoup d’entre nous, et je ne tiens pas à remettre sur le tapis ces horreurs répugnantes qui nous pourrissent l’existence. Quant à ma nomination à la tête du CCA, je ne l’ai pas provoquée. C’est vrai, à une époque, je passais par des moments difficiles et je me serais volontiers agrippé à une perche providentielle pour ne pas couler. Plus maintenant. Je suis très bien ancré dans mes convictions, maître absolu de mes moyens. Il y a à peine deux semaines, j’occupais le plus beau des postes, le plus beau des trônes, celui de ma liberté. Je n’ai nul besoin de promotion, le succès de mes livres et le cercle de mon lectorat me suffisent. Mais il s’agit là d’une première dans la jeune histoire de notre pays. C’est la première fois qu’un Président de la république charge un écrivain, qui n’est pas du sérail et qui a été particulièrement virulent à l’encontre du Système, d’une mission aussi importante : rendre la Culture algérienne à ses enfants, la délivrer des prédateurs et de l’obscurantisme. Je l’ai accepté au nom de tous les artistes et intellectuels qui étaient inscrits aux abonnés absents des manifestations culturelles qu’organisait ce Centre, ayant été moimême persona non grata. J’ai toujours crié sur les toits ma peine de voir notre élite marginalisée. Pour une fois que j’ai l’occasion de lui tendre la main, je ne vais pas me débiner.
Comment expliquez-vous le choix du président Bouteflika qui jette son dévolu sur «quelqu’un qui n’est pas du sérail» et y a-t-il eu des consignes qui ont conditionné votre nomination au CCA à Paris?
Il faut poser la question au Président. Pour ma part, je reste convaincu qu’il sait que je ne suis pas dans le besoin, ce que ça me coûte de renoncer à mes privilèges et mes libertés pour m’investir au profit des AUTRES. Il serait ridicule de penser une seconde que le poste de directeur me flatte ou m’élève dans l’estime des gens. Je vaux beaucoup plus que ça. Mais il ne s’agit pas de moi, il s’agit de notre culture, de notre pays, des espoirs que je nourrissais personnellement pour notre élite.. Mon intégrité y est pour l’essentiel. J’ai fini par convaincre que je ne suis pas un pou bor borgne, que je me venge pas, que je ne renie rien, que ma colère est saine et qu’elle est celle d’un Algérien qui souffre de voir sa patrie bailler aux corneilles à l’heure où la mondialisation frénétique menace de nous bouffer crus. Quant aux consignes, je n’en ai reçues aucune. Là encore, le Président sait que je n’en ai pas besoin. Il sait le respect que j’ai pour l’élite algérienne, sans distinction de moeurs ou d’humeurs. J’espère seulement remettre la culture au bon endroit et rassembler nos créateurs et penseurs autour d’un même idéal : sauver notre pays du marasme culturel dans lequel il se dilue. Ce n’est pas gagné d’avance ni chose aisée, et la bonne volonté ne suffit pas. Mais je reste confiant. Déjà de grands noms de nos Arts et lettres m’ont appelé pour me dire qu’ils sont à mes côtés.
Votre nomination a étonné plus d’un dans le milieu intellectuel algérien. D’ailleurs des voix dans l’opposition à l’instar des journalistes, Leila Aslaoui et Larbi Chalabi (1), se sont exprimées à ce sujet et ne disent pas moins que le Yasmina Khadra auteur d’un article réquisitoire contre le gouvernement en place dans le quotidien espagnol El Pais le 1 juin 2007, n’est pas le même écrivain qui accepte aujourd’hui de servir une institution qui représente ce même gouvernement. En d’autres termes on vous reproche de privilégier votre carrière à votre indépendance intellectuelle. Que leur répondez-vous?
J’ai toujours étonné plus d’un dans le milieu intellectuel algérien. Agréablement, par endroits ; effroyablement par moments. C’est tout à fait logique. Mais pourquoi voulez-vous que je redoute les amalgames quand je SAIS qui je suis. John Steinbeck disait «L’insulte ne demeure telle que lorsqu’elle s’adresse à quelqu’un peu sûr de sa valeur». Je ne connais pas Larbi Chalabi. Je n’ai jamais entendu parler de lui et ignore la teneur de ses propos. Quant à Mme Aslaoui, je suis triste pour elle. C’est une dame que j’ai toujours respectée, et aimée. J’ai même coupé court avec mes éditeurs espagnols qui avaient refusé de traduire ses oeuvres que moi-même leur avais proposées. Je crois qu’elle aurait du, au nom de notre amitié, me passer un coup de fil pour comprendre de quoi il retourne au lieu de se baser sur une méprise de journaliste qui, le lendemain, avait eu l’honnêteté de la rectifier. Cependant, je suis stupéfait par la méchanceté de son texte. Comment a-t-elle pu m’associer à ces coureurs de «koursi» moi qui avais renoncé à ma carrière d’officier pour m’aventurer nu et sans repères dans le monde interlope des Lettres? Comment peut-elle manquer de tant de discernement pour croire que la fonction de directeur de CCA est plus importante, plus prestigieuse et plus convoitée que celle de l’écrivain que je suis? C’est mon nom qui va donner une crédibilité et une vocation au CCA, et non le contraire. Par ailleurs, si le hasard a voulu que je sois cet écrivain qui réconcilierait le Pouvoir avec son élite, eh bien, pourquoi pas? C’était mon rêve d’amener nos dirigeants à cesser de nous considérer comme une menace et une subversion. Ne doutent de la sincérité de mes engagements que ceux qui se sont fossilisés dans la haine expéditive et le rejet péremptoire de toute conscience et présence d’esprit. Ces gens-là n’ont qu’à jeter un oeil sur toutes les belles choses auxquelles j’ai renoncées pour mesurer combien j’aime mon pays. Parce que l’Algérie ne m’appartient pas ; elle appartient à nos enfants et que notre devoir absolu est de ne pas en abuser
Vous avez déclaré dans la presse que «si vous consacrer à d’autres auteurs est plus important qu’écrire, vous le feriez». Dans ce cas quels sont les auteurs que vous voudriez mettre en évidence?
il ne faut pas exagérer. J’ai dit que nos auteurs mériteraient bien quelques sacrifices, de là à renoncer à écrire, c’est trop me demander. Je me vois mal bouder mes feuilles blanches sans mourir un peu. J’essaierais de faire de mon mieux pour donner au Centre une contenance et une vocation ambitieuse, mais je ne laisserais pas mes personnages languir de moi. La littérature est plus qu’une passion, elle est ma vraie nature.
Commentaire