L´UNIVERSITÉ ALGÉRIENNE DU XXIE SIÈCLE
Une utopie à construire
Pr Chems Eddine CHITOUR
Source: L'Expression du 16 Octobre 2008 - Page : 10
«Le savant est l´homme pour lequel s´opère facilement la distinction entre la franchise et le mensonge dans les paroles, entre la vérité et l´erreur dans les convictions, entre la beauté et la laideur dans les actes». L´Emir Abd-El-Kader (Lettres aux Français)
Rituellement et à l´occasion de chaque rentrée scolaire ou universitaire, un triomphalisme trompeur permet de présenter le système éducatif algérien commes étant parfait ou en tout cas, normal en termes de performance. Erreur tragique. Il n´en est rien! Les chiffres que l´on balance comme étant des records: 8 millions d´élèves, 1 million d´étudiants avec une annonce de 1,5 million en 2010 cachent en fait, une réalité beaucoup moins reluisante. Personne ne s´est demandé quel est le format, en termes de qualité, à la fois des moyens mis à la disposition de la compétence des enseignants, de la pertinence des programmes que l´on présente comme des révolutions majeures et en définitive de la valeur du baccalauréat et des diplômes du Supérieur. Je n´ose même pas parler de la formation professionnelle, transformée bizarrement en enseignement professionnel par une administration qui veut, elle aussi, dispenser des diplômes du Supérieur rappelant une triste dérive, celle de l´université de la formation connue qui est à des années-lumière des tâches qui lui ont été primitivement assignées à sa création, il y a vingt ans.
Je ne veux pas ici jeter la pierre à tous ceux qui, au quotidien, ont l´université, l´école algérienne dans le coeur. Ceux qui, au quotidien, mènent le jihad contre l´ignorance. Tout d´abord, le problème de l´école algérienne n´a pas vu, loin s´en faut, d´amélioration notable. La réforme de la Commission installée par le président en 2000, a certes, fait un travail. Où est-il? On ne peut pas se reconnaître dans les résultats suivants. En tant qu´enseignants, nous savons comment faire parler des statistiques. Il serait intéressant de savoir ce que valent exactement nos bacheliers par une expertise externe. N´ayons pas peur de nous remettre en question. Surtout pas une expertise de l´Unesco, expertise à bien des égards, sujette à caution. Ce que je veux dire- en dehors de toute démagogie- combien de bacheliers reçus parmi les 240.000 lauréats ont réellement le niveau?
Systèmes parallèles
C´est véritablement un miracle que le score de cette année! Ne soyons pas naïfs, au point de croire que nous sommes effectivement arrivés au niveau requis. Savons-nous que la grande majorité de nos bacheliers ne parlent ni arabe, encore moins le français, ne savent pas articuler une phrase, ne savent pas rédiger ou s´ils le font, le nombre de fautes d´orthographe vous décourage, dès la première ligne. Même à l´Ecole nationale polytechnique où les moyennes d´entrée sont autour de 15/20, les élèves-ingénieurs ont des difficultés à rédiger. Je ne parle pas de la culture. Nos étudiantes et étudiants ne lisent pas. Obnubilés par les médias soporifiques (portables, télévision débilitante) ils connaissent très peu de choses de la culture et de l´histoire de leur pays. Partagés entre des sphères culturelles, selon le milieu auquel ils appartiennent, ils errent et constituent de ce fait des proies idéales pour les marchands de rêves. C´est un réel problème! Les parents soucieux de l´avenir de leurs enfants développent des stratégies d´évitement de l´école et de l´université. Il existe de ce fait de véritables systèmes éducatifs parallèles où, quoi qu´en dise l´idéologie du pays ayant des écoles en Algérie, est prégnante et formant d´une façon invisible l´imaginaire de l´enfant -que l´on dit privilégié- parce qu´inscrit dans une école saoudienne ou française. A bien des égards, le formatage que nous avons connu dans les années 60 quand 26 nations «s´occupaient» de «former» le jeune Algérien, continue de nos jours devant un système éducatif et une école algérienne qui n´en peut plus, écrasé par le nombre et l´insuffisance de moyens humains et matériels en quantité et surtout en qualité.
Il vient que la solution de facilité est d´aller vers des disciplines qui ne nécessitent pas de moyens. Par paresse ou lassitude, les disciplines littéraires ont proliféré, réduisant les disciplines scientifiques et techniques à leur plus simple expression. On nous dit que le baccalauréat Techniques Mathématiques qui était le fleuron a disparu et que le dernier bastion, en l´occurrence le Lycée technique du Ruisseau a changé de vocation!
C´est une tragédie, c´est une faute que de laisser péricliter les sciences exactes à moins de 5% (baccalauréat mathématiques). A telle enseigne que nous ne pouvons pas former des DES en mathématiques physiques et chimie. Il n´est pas normal que les bacs lettres soient aussi nombreux, cela ne veut pas dire que nous n´avons pas besoin des sciences sociales, sciences humaines, sciences juridiques...mais la massification a tué dans l´oeuf toute velléité d´élever le niveau. L´Université d´Alger conçue pour 5000 étudiants en est à 100.000! Les infrastructures existantes sont inadaptées et les moyens pédagogiques sont, de loin, insuffisants. Avec un enseignant pour 30 étudiants, ce n´est plus de l´enseignement supérieur.
A l´autre bout de l´anomalie, l´exemple de l´Usthb est édifiant: voilà une université qui a démarré en 1974 sur un campus de 130 ha, malgré tout, autrement plus structuré que l´Université d´Alger atomisée en 10 endroits, et qui dispose de moins de 20.000 étudiants avec près de 2000 enseignants! Cherchez l´erreur! Mieux encore, des petits centres universitaires construits au courant des années 90 ont autant d´étudiants que l´Usthb (Mascara, Jijel, Skikda...) avec un ratio enseignants, étudiants de 40 et naturellement très peu d´enseignants, de corps professoral (certaines universités ont un nombre de professeurs qui se comptent sur les doigts d´une main). Comment peut-on parler science quand l´université ferme à 16 heures, voire plus tôt? Un campus comme l´Usthb peut prendre jusqu´à 50.000 étudiants pour peu que l´organisation et les moyens suivent. L´université de Mexico travaille 20 heures sur 24 en trois fournées!!
Le constat du Président quant à la nécessité d´aller vers les sciences exactes et la technologie peut être interprété comme un cri d´alarme. L´Algérie n´aura pas d´élites scientifiques à même de relever les défis technologiques posés par la marche du monde et qui feront que, de plus en plus, nous ne savons plus rien faire, nous contentant de dilapider allègrement et avec frénésie les ressources pétrolières, allant inexorablement vers une bazarisation du pays et un abandon de la rationalité au profit d´une vision paresseuse fataliste dont l´image la plus saisissante est donnée par les pays rentiers du Golfe. Quand un opérateur téléphonique du Moyen-Orient est sollicité pour fournir des drapeaux, attributs s´il en est, de «l´existence» d´un pays et dernier rempart de la souveraineté, quand un autre opérateur se propose, ni plus ni moins, dans des placards publicitaires, de construire l´avenir de l´Algérie, il y a péril en la demeure. Il nous faut mettre à plat toutes ces dérives. Certes, il ne faut pas exclure l´autre nécessité de construire des sciences sociales dignes de ce nom, une école de droit, de sciences économiques. Encore une fois, outre le fait qu´il est indispensable de réétalonner les valeurs, il faut absolument éviter la massification qui tue toute velléité d´amélioration.
(A Suivre)
Une utopie à construire
Pr Chems Eddine CHITOUR
Source: L'Expression du 16 Octobre 2008 - Page : 10
«Le savant est l´homme pour lequel s´opère facilement la distinction entre la franchise et le mensonge dans les paroles, entre la vérité et l´erreur dans les convictions, entre la beauté et la laideur dans les actes». L´Emir Abd-El-Kader (Lettres aux Français)
Rituellement et à l´occasion de chaque rentrée scolaire ou universitaire, un triomphalisme trompeur permet de présenter le système éducatif algérien commes étant parfait ou en tout cas, normal en termes de performance. Erreur tragique. Il n´en est rien! Les chiffres que l´on balance comme étant des records: 8 millions d´élèves, 1 million d´étudiants avec une annonce de 1,5 million en 2010 cachent en fait, une réalité beaucoup moins reluisante. Personne ne s´est demandé quel est le format, en termes de qualité, à la fois des moyens mis à la disposition de la compétence des enseignants, de la pertinence des programmes que l´on présente comme des révolutions majeures et en définitive de la valeur du baccalauréat et des diplômes du Supérieur. Je n´ose même pas parler de la formation professionnelle, transformée bizarrement en enseignement professionnel par une administration qui veut, elle aussi, dispenser des diplômes du Supérieur rappelant une triste dérive, celle de l´université de la formation connue qui est à des années-lumière des tâches qui lui ont été primitivement assignées à sa création, il y a vingt ans.
Je ne veux pas ici jeter la pierre à tous ceux qui, au quotidien, ont l´université, l´école algérienne dans le coeur. Ceux qui, au quotidien, mènent le jihad contre l´ignorance. Tout d´abord, le problème de l´école algérienne n´a pas vu, loin s´en faut, d´amélioration notable. La réforme de la Commission installée par le président en 2000, a certes, fait un travail. Où est-il? On ne peut pas se reconnaître dans les résultats suivants. En tant qu´enseignants, nous savons comment faire parler des statistiques. Il serait intéressant de savoir ce que valent exactement nos bacheliers par une expertise externe. N´ayons pas peur de nous remettre en question. Surtout pas une expertise de l´Unesco, expertise à bien des égards, sujette à caution. Ce que je veux dire- en dehors de toute démagogie- combien de bacheliers reçus parmi les 240.000 lauréats ont réellement le niveau?
Systèmes parallèles
C´est véritablement un miracle que le score de cette année! Ne soyons pas naïfs, au point de croire que nous sommes effectivement arrivés au niveau requis. Savons-nous que la grande majorité de nos bacheliers ne parlent ni arabe, encore moins le français, ne savent pas articuler une phrase, ne savent pas rédiger ou s´ils le font, le nombre de fautes d´orthographe vous décourage, dès la première ligne. Même à l´Ecole nationale polytechnique où les moyennes d´entrée sont autour de 15/20, les élèves-ingénieurs ont des difficultés à rédiger. Je ne parle pas de la culture. Nos étudiantes et étudiants ne lisent pas. Obnubilés par les médias soporifiques (portables, télévision débilitante) ils connaissent très peu de choses de la culture et de l´histoire de leur pays. Partagés entre des sphères culturelles, selon le milieu auquel ils appartiennent, ils errent et constituent de ce fait des proies idéales pour les marchands de rêves. C´est un réel problème! Les parents soucieux de l´avenir de leurs enfants développent des stratégies d´évitement de l´école et de l´université. Il existe de ce fait de véritables systèmes éducatifs parallèles où, quoi qu´en dise l´idéologie du pays ayant des écoles en Algérie, est prégnante et formant d´une façon invisible l´imaginaire de l´enfant -que l´on dit privilégié- parce qu´inscrit dans une école saoudienne ou française. A bien des égards, le formatage que nous avons connu dans les années 60 quand 26 nations «s´occupaient» de «former» le jeune Algérien, continue de nos jours devant un système éducatif et une école algérienne qui n´en peut plus, écrasé par le nombre et l´insuffisance de moyens humains et matériels en quantité et surtout en qualité.
Il vient que la solution de facilité est d´aller vers des disciplines qui ne nécessitent pas de moyens. Par paresse ou lassitude, les disciplines littéraires ont proliféré, réduisant les disciplines scientifiques et techniques à leur plus simple expression. On nous dit que le baccalauréat Techniques Mathématiques qui était le fleuron a disparu et que le dernier bastion, en l´occurrence le Lycée technique du Ruisseau a changé de vocation!
C´est une tragédie, c´est une faute que de laisser péricliter les sciences exactes à moins de 5% (baccalauréat mathématiques). A telle enseigne que nous ne pouvons pas former des DES en mathématiques physiques et chimie. Il n´est pas normal que les bacs lettres soient aussi nombreux, cela ne veut pas dire que nous n´avons pas besoin des sciences sociales, sciences humaines, sciences juridiques...mais la massification a tué dans l´oeuf toute velléité d´élever le niveau. L´Université d´Alger conçue pour 5000 étudiants en est à 100.000! Les infrastructures existantes sont inadaptées et les moyens pédagogiques sont, de loin, insuffisants. Avec un enseignant pour 30 étudiants, ce n´est plus de l´enseignement supérieur.
A l´autre bout de l´anomalie, l´exemple de l´Usthb est édifiant: voilà une université qui a démarré en 1974 sur un campus de 130 ha, malgré tout, autrement plus structuré que l´Université d´Alger atomisée en 10 endroits, et qui dispose de moins de 20.000 étudiants avec près de 2000 enseignants! Cherchez l´erreur! Mieux encore, des petits centres universitaires construits au courant des années 90 ont autant d´étudiants que l´Usthb (Mascara, Jijel, Skikda...) avec un ratio enseignants, étudiants de 40 et naturellement très peu d´enseignants, de corps professoral (certaines universités ont un nombre de professeurs qui se comptent sur les doigts d´une main). Comment peut-on parler science quand l´université ferme à 16 heures, voire plus tôt? Un campus comme l´Usthb peut prendre jusqu´à 50.000 étudiants pour peu que l´organisation et les moyens suivent. L´université de Mexico travaille 20 heures sur 24 en trois fournées!!
Le constat du Président quant à la nécessité d´aller vers les sciences exactes et la technologie peut être interprété comme un cri d´alarme. L´Algérie n´aura pas d´élites scientifiques à même de relever les défis technologiques posés par la marche du monde et qui feront que, de plus en plus, nous ne savons plus rien faire, nous contentant de dilapider allègrement et avec frénésie les ressources pétrolières, allant inexorablement vers une bazarisation du pays et un abandon de la rationalité au profit d´une vision paresseuse fataliste dont l´image la plus saisissante est donnée par les pays rentiers du Golfe. Quand un opérateur téléphonique du Moyen-Orient est sollicité pour fournir des drapeaux, attributs s´il en est, de «l´existence» d´un pays et dernier rempart de la souveraineté, quand un autre opérateur se propose, ni plus ni moins, dans des placards publicitaires, de construire l´avenir de l´Algérie, il y a péril en la demeure. Il nous faut mettre à plat toutes ces dérives. Certes, il ne faut pas exclure l´autre nécessité de construire des sciences sociales dignes de ce nom, une école de droit, de sciences économiques. Encore une fois, outre le fait qu´il est indispensable de réétalonner les valeurs, il faut absolument éviter la massification qui tue toute velléité d´amélioration.
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