Pr Mohand Issad. Ancien président de la Commission nationale de réforme de la justice
« La justice a enregistré une régression inquiétante »
Vous avez présidé, en 1999, la Commission nationale de réforme de la justice (CNRJ) et vous avez déclaré en 2007 que le rapport que vous avez remis au président de la République vise à mettre en place « une justice de qualité ». Quel jugement portez-vous aujourd’hui sur la justice algérienne ?
Je pense que nous n’avons pas progressé. Sur certains fronts, je pense même que nous avons régressé ; il y a beaucoup de signes annonciateurs d’une régression très inquiétante. Je ne ferai que citer des faits rapportés par la presse, dont votre journal, qui ne sont pas forcément à l’image de la réforme que nous avons préconisée.
Sur quels plans la justice algérienne a-t-elle régressé ?
Eh bien, il y a la répression qui est un peu dure, le nombre de mandats de dépôt qui n’a pas diminué. Nous avons dénoncé à l’époque et je continuerai à dénoncer aujourd’hui encore le fait d’envoyer très facilement des gens en prison pour n’importe quoi. Et le jugement n’intervient qu’après. C’est-à-dire après avoir passé plusieurs mois d’incarcération. Il arrive que certaines personnes soient relaxées après avoir passé des mois en prison. Je dirai tout simplement que notre justice doit faire plus attention en ce qui concerne la mise sous mandat de dépôt et les mandats d’arrêt qui sont associés à des mesures extrêmes contre le citoyen.
La question de l’indépendance de la justice et des juges continue d’être posée. Pourquoi, à votre avis, en est-on encore là après les réformes annoncées ?
L’indépendance de la justice est un slogan brandi, à chaque fois, par les journalistes, les intellectuels, etc. L’indépendance de la justice ne se décrète pas, elle s’acquiert sur plusieurs générations ; elle suppose au moins deux conditions : la première est la volonté politique de laisser les juges tranquilles, la deuxième consiste en la capacité des juges à assumer leur indépendance. A ces deux conditions, on peut ajouter la confiance des citoyens en leur justice. Est-ce que ces conditions sont réunies ? Je serai réservé sur la question.
La première condition que vous aviez citée pour l’indépendance de la justice est la volonté politique. Cette volonté, qui est la plus importante, existe-t-elle en Algérie ?
Elle n’est pas plus importante. Le plus important est la capacité des juges à assumer leur indépendance et leur volonté de rendre une justice de qualité, une justice impartiale, de façon à susciter la confiance du justiciable en sa justice. Le rôle du pouvoir politique est finalement secondaire. Je voudrais préciser, dans ce sens, que le pouvoir politique n’intervient pas dans toutes les affaires. Il y a un certain nombre de dossiers, dits sensibles, dans lesquels le pouvoir politique intervient de temps à autre. Mais pas dans toutes les affaires. Or, c’est dans les affaires que je constate les insuffisances de notre justice. Cela n’est pas dû à l’indépendance ou à la dépendance de la justice, c’est dû à la justice elle-même.
Pourquoi y a-t-il, justement, des insuffisances ?
Parce qu’on n’a pas formé. Pourquoi y a-t-il insuffisance dans l’enseignement, l’administration ? Pourquoi le pays est-il mal administré ? Les insuffisances dans la justice sont les mêmes que celles que nous constatons dans tous les domaines. On peut former des magistrats, mais si le magistrat n’exerce pas dans des conditions idéales pour rendre la justice, le but ne sera pas atteint. Cela ne tient pas uniquement à la formation, mais également aux conditions dans lesquelles ce dernier exerce sa profession.
Que pensez-vous des affaires telles que celles concernant le jugement de jeunes qui n’ont pas respecté le Ramadhan, le jugement d’un enfant de cinq ans à Ménéa, l’affaire dite « Habiba K. » qui s’est convertie au christianisme et le jugement des harraga ?
Je m’étais promis de ne plus intervenir dans la presse, mais les exemples que vous venez de citer m’incitent à prendre la parole parce qu’en tant qu’ancien président de la CNRJ, j’estime qu’il est de mon devoir d’intervenir. Ce sont ces dérives qui m’amènent à dire qu’on est encore loin de ce qu’a préconisé la CNRJ. Nous n’avons jamais pensé en arriver là. Ces affaires n’ont rien à voir avec le pouvoir politique, mais elles sont le fait de la justice ; ce n’est pas parce que la justice n’est pas indépendante qu’on a coffré des jeunes à Biskra, qu’on a traduit la jeune Habiba en justice et qu’on a traîné un enfant de cinq ans devant le tribunal. C’est surtout cette dernière affaire qui m’a choqué et interpellé. Il faut que les lecteurs d’El Watan sachent qu’avant d’arriver devant la justice, le plaideur passe par la police et ensuite par le parquet. Vous imaginez un enfant de cinq dans les locaux de la police, en train d’être interrogé par un policier, ensuite au parquet pour qu’il soit interrogé par le procureur de la République avant de le renvoyer au tribunal ? Il y a de quoi traumatiser à vie l’enfant. C’est très grave ! Le plus grave encore est que je n’ai pas entendu de réaction par rapport à cela. Admettons que le magistrat se soit trompé, il aurait dû être remis à l’ordre par sa hiérarchie. Beaucoup d’intellectuels et de magistrats sont conscients de cette aberration et ne sont pas intervenus. Même chose pour la classe politique. Seuls les journalistes ont attiré l’attention sur cette aberration. Ce qui m’inquiète, c’est la résignation et cette acceptation par les gens du fait accompli. Cette dérive est due à l’absence de contrôle, parce que le magistrat doit aussi être contrôlé. Pourquoi y a-t-il une hiérarchie dans la magistrature et une hiérarchie dans la justice ? Ce n’est pas seulement une différence de grade, mais aussi de contrôle. Le responsable hiérarchique doit contrôler le travail de celui qui a un grade inférieur. Mais personne n’a réagi. Même le Syndicat des magistrats, qui s’est réuni récemment, n’a pas dénoncé cette affaire de l’enfant de cinq ans.
« La justice a enregistré une régression inquiétante »
Vous avez présidé, en 1999, la Commission nationale de réforme de la justice (CNRJ) et vous avez déclaré en 2007 que le rapport que vous avez remis au président de la République vise à mettre en place « une justice de qualité ». Quel jugement portez-vous aujourd’hui sur la justice algérienne ?
Je pense que nous n’avons pas progressé. Sur certains fronts, je pense même que nous avons régressé ; il y a beaucoup de signes annonciateurs d’une régression très inquiétante. Je ne ferai que citer des faits rapportés par la presse, dont votre journal, qui ne sont pas forcément à l’image de la réforme que nous avons préconisée.
Sur quels plans la justice algérienne a-t-elle régressé ?
Eh bien, il y a la répression qui est un peu dure, le nombre de mandats de dépôt qui n’a pas diminué. Nous avons dénoncé à l’époque et je continuerai à dénoncer aujourd’hui encore le fait d’envoyer très facilement des gens en prison pour n’importe quoi. Et le jugement n’intervient qu’après. C’est-à-dire après avoir passé plusieurs mois d’incarcération. Il arrive que certaines personnes soient relaxées après avoir passé des mois en prison. Je dirai tout simplement que notre justice doit faire plus attention en ce qui concerne la mise sous mandat de dépôt et les mandats d’arrêt qui sont associés à des mesures extrêmes contre le citoyen.
La question de l’indépendance de la justice et des juges continue d’être posée. Pourquoi, à votre avis, en est-on encore là après les réformes annoncées ?
L’indépendance de la justice est un slogan brandi, à chaque fois, par les journalistes, les intellectuels, etc. L’indépendance de la justice ne se décrète pas, elle s’acquiert sur plusieurs générations ; elle suppose au moins deux conditions : la première est la volonté politique de laisser les juges tranquilles, la deuxième consiste en la capacité des juges à assumer leur indépendance. A ces deux conditions, on peut ajouter la confiance des citoyens en leur justice. Est-ce que ces conditions sont réunies ? Je serai réservé sur la question.
La première condition que vous aviez citée pour l’indépendance de la justice est la volonté politique. Cette volonté, qui est la plus importante, existe-t-elle en Algérie ?
Elle n’est pas plus importante. Le plus important est la capacité des juges à assumer leur indépendance et leur volonté de rendre une justice de qualité, une justice impartiale, de façon à susciter la confiance du justiciable en sa justice. Le rôle du pouvoir politique est finalement secondaire. Je voudrais préciser, dans ce sens, que le pouvoir politique n’intervient pas dans toutes les affaires. Il y a un certain nombre de dossiers, dits sensibles, dans lesquels le pouvoir politique intervient de temps à autre. Mais pas dans toutes les affaires. Or, c’est dans les affaires que je constate les insuffisances de notre justice. Cela n’est pas dû à l’indépendance ou à la dépendance de la justice, c’est dû à la justice elle-même.


Que pensez-vous des affaires telles que celles concernant le jugement de jeunes qui n’ont pas respecté le Ramadhan, le jugement d’un enfant de cinq ans à Ménéa, l’affaire dite « Habiba K. » qui s’est convertie au christianisme et le jugement des harraga ?
Je m’étais promis de ne plus intervenir dans la presse, mais les exemples que vous venez de citer m’incitent à prendre la parole parce qu’en tant qu’ancien président de la CNRJ, j’estime qu’il est de mon devoir d’intervenir. Ce sont ces dérives qui m’amènent à dire qu’on est encore loin de ce qu’a préconisé la CNRJ. Nous n’avons jamais pensé en arriver là. Ces affaires n’ont rien à voir avec le pouvoir politique, mais elles sont le fait de la justice ; ce n’est pas parce que la justice n’est pas indépendante qu’on a coffré des jeunes à Biskra, qu’on a traduit la jeune Habiba en justice et qu’on a traîné un enfant de cinq ans devant le tribunal. C’est surtout cette dernière affaire qui m’a choqué et interpellé. Il faut que les lecteurs d’El Watan sachent qu’avant d’arriver devant la justice, le plaideur passe par la police et ensuite par le parquet. Vous imaginez un enfant de cinq dans les locaux de la police, en train d’être interrogé par un policier, ensuite au parquet pour qu’il soit interrogé par le procureur de la République avant de le renvoyer au tribunal ? Il y a de quoi traumatiser à vie l’enfant. C’est très grave ! Le plus grave encore est que je n’ai pas entendu de réaction par rapport à cela. Admettons que le magistrat se soit trompé, il aurait dû être remis à l’ordre par sa hiérarchie. Beaucoup d’intellectuels et de magistrats sont conscients de cette aberration et ne sont pas intervenus. Même chose pour la classe politique. Seuls les journalistes ont attiré l’attention sur cette aberration. Ce qui m’inquiète, c’est la résignation et cette acceptation par les gens du fait accompli. Cette dérive est due à l’absence de contrôle, parce que le magistrat doit aussi être contrôlé. Pourquoi y a-t-il une hiérarchie dans la magistrature et une hiérarchie dans la justice ? Ce n’est pas seulement une différence de grade, mais aussi de contrôle. Le responsable hiérarchique doit contrôler le travail de celui qui a un grade inférieur. Mais personne n’a réagi. Même le Syndicat des magistrats, qui s’est réuni récemment, n’a pas dénoncé cette affaire de l’enfant de cinq ans.
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