A priser ou à chiquer, elle est en 2009 la drogue douce préférée des Algériens
Un amour de chique !
Chic, la chique ? Que ce soit le cas ou pas, en grains de couscous tabagiques ou moulue comme du café arabica, elle fait toujours tendance.
A l’ère de la cigarette bon marché et du pétard disponible au coin de rue, la chemma fait un tabac. Grâce à la petite soucoupe métallique ou au sachet, de plus en plus de tabacomaniaques planent à bon compte. En apesanteur, lèvre protubérante et lippe gourmande, les chemaymiya louent Allah pour ce bonheur renouvelable. Et pour cause, la chique est un plaisir sensuel, un voyage des sens effectué pour être en accord avec soi-même, le temps d’une prise. Chiqueurs particuliers, les Algériens ne sont pas quand même les seuls à priser la chique. On chique aussi en Occident et dans d’autres contrées du monde où les feuilles de tabac sans fumée sont fermentées et mouillées. Ainsi, des Indiens, des cow-boys et des camionneurs américains ont leur tabac à mâcher ou à sniffer. Des Yéménites ont le célèbre qat. Des Suédois avec leur Snus, une chemma bio de luxe. Les Algériens, eux, ont leur chemma, une drogue douce, dont l’Etat est le premier fabricant. A priser, à chiquer où à mâcher, en Algérie, elle fait toujours le mâle. Qu’elle passe par la bouche ou par le nez, elle est toujours prisée par les accros. Plaisir des machos, des grands, des petits, des maigres, des gros, des originaux, des marginaux, des arabophones, des francophones, des Amazigh et des Arabes, des hommes et des…femmes, elle est chez nous une façon d’être et de paraître. Et, un jour peut-être, de disparaître. Chemma, neffa ou madgha, qu’importe la forme, le grain de chique algérien est à la fois rite et culte. Alors, dis-moi donc ce que tu sniffes, mâches ou craches, je te dirai ce que tu es.
La preuve par la boursouflure
A l’origine fut le snif. D’où, étymologiquement, le mot chemma, dérivé de l’arabe algérien cheme, signifiant sentir. On dit aussi que chiquer, c’est manger de bon appétit. Et un chiqueur, c’est celui qui aime à faire bombance. Chiquer, c’est donc un acte de volupté. D’ailleurs, au quotidien, l’Algérien en administre la preuve par la boursouflure labiale.
Celle de la lèvre supérieure appelée balcon et celle, inférieure, du rez-de-chaussée. Mais qu’importe le lieu, c’est la refâa, la pincée, à savoir la dose roulée dans la massa, le papier pelure, qui compte le plus. Objet à peine caché du désir, la chemma a une histoire, celle d’une plante dont on ne connaît pas vraiment les origines. Nos grand-pères, chemaymiya et nefayfiya de toujours, racontent que le tabac à chiquer aurait été introduit par les Turcs en même temps que le baklava, le makrout et les loukoum. D’autres amateurs, souverainistes et chauvins, affirment mordicus que la chemma serait le produit fini d’un tabac bien algérien, une variété dite chemayenne. Quand il ne s’agit pas par ailleurs d’une chique à base de poudre de feuilles de figuier séchées. Chemma du pauvre mais chemma biologique tout de même, on la trouverait encore, certains jours de souk dans la Mitidja, notamment à Boufarik. De couleur verdâtre, cette variété serait encore prisée par les ruraux du fait qu’elle est moins chère que la chique industrielle. La chemma, c’est un vrai roman d’amour, une leçon d’économie capitalistique. Son histoire est intimement liée au capitalisme patrimonial algérien avant de relever d’un monopole étatique une fois l’indépendance acquise. Son destin était alors accordé à celui de la bourgeoisie traditionnelle, précisément à deux grandes familles de l’est algérien, les Bentchicou et les Benmalti. Ces deux familles eurent le nez creux en pensant à transformer les feuilles de tabac à chiquer. Les Bentchicou créeront même le fameux label makla, littéralement, la nourriture, la bouffe. Ce label sera repris par la Société nationale de tabac et allumettes (SNTA), monopole d’Etat qui le commercialisera sous les noms de Makla El Hilal et Makla Nedjma. L’étoile et le croissant, signes distinctifs, seront affectés au tabac à chiquer et au tabac à priser. Plus tard, la famille Bentchicou fera un bras d’honneur à la SNTA en reprenant le label et en le faisant fructifier chez les Belges. Pour le plus grand bonheur des chiqueurs immigrés et de leurs compatriotes restés au pays,
les héritiers Bentchicou commercialisent 3 qabssa, des boites rondes portant les noms exotiques de Makla Ifriqiya, Makla el Kantara et Makla El Hilal.
L’histoire de la chemma, c’est aussi celle de la révolution algérienne. Nos vaillants moudjahidine l’auront utilisée comme une arme et une ruse de guerre contre l’armée coloniale française. Les combattants de l’ALN utilisaient cette poudre magique pour brouiller les pistes aux parachutistes et autres bataillons de l’armée française qui pistaient les katibat des djounoud. Il s’agissait notamment de détraquer les logiciels olfactifs des chiens de chasse. Et l’on raconte aussi que Mostefa ben Boulaïd, héros mythique de la guerre de libération, aurait semé derrière lui de providentiels grains de chemma. Le but : dérouter les bergers allemands lâchés à ses trousses après sa spectaculaire évasion de la prison El Koudiat de Constantine, en 1956. Dans les djebels, la farine et les grains de chique étaient aussi précieux que la poudre de munitions.
La chemma comme analgésique
Autres usages, autres vertus. La chemma était utilisée également comme un analgésique, notamment contre les maux de dents et autres migraines.
Elle constituait alors une véritable pharmacopée, d’autant plus recherchée que nos grands-parents ne fréquentaient pas souvent médecins et dentistes durant la période coloniale. C’est en excipant des vertus sédatives de la chemma que nos grand-mères expliquaient leur engouement et leur addiction conséquente. Les femmes, notamment dans l’Est algérien, chiquaient ou prisaient, au même titre que leurs compagnons. Comme quoi, la chemma ou la neffa ne sont pas des attributs exclusifs de la virilité masculine.
La chique était également un moyen de pêche insolite. Durant les années soixante, à Alger, à q’milet lâawed et à Qâa essour, à Bab El Oued, elle servait d’appât maléfique. Les plus imaginatifs parmi les amis d’enfance, jetaient de la chemma dans l’eau et dans les anfractuosités des rochers pour attirer le poisson. Etourdi, il affleurait ensuite à la surface pour être ramassé sans peine par les petits futés qui garnissait leurs paniers de tchelba, de sawril et de kahla, menu fretin des pauvres. La technique d’épandage des grains de chemma servait aussi à faire sortir de terre les asticots. La provision de protéines ainsi amassée servait ensuite pour la pêche à la sennara, l’hameçon des apprentis pêcheurs. Chiquer, priser ou mâcher, c’est tout un art. Un rituel. La manière de chiquer des Algériens n’est pas celle des Canadiens, des Américains, des Suédois, des Malgaches ou des Turkmènes. Les instruments utilisés diffèrent également.
Bien avant que la tabatière à chique n’ait la forme du galet rond d’aujourd’hui, nos ancêtres utilisaient le garne.
Un amour de chique !
Chic, la chique ? Que ce soit le cas ou pas, en grains de couscous tabagiques ou moulue comme du café arabica, elle fait toujours tendance.
A l’ère de la cigarette bon marché et du pétard disponible au coin de rue, la chemma fait un tabac. Grâce à la petite soucoupe métallique ou au sachet, de plus en plus de tabacomaniaques planent à bon compte. En apesanteur, lèvre protubérante et lippe gourmande, les chemaymiya louent Allah pour ce bonheur renouvelable. Et pour cause, la chique est un plaisir sensuel, un voyage des sens effectué pour être en accord avec soi-même, le temps d’une prise. Chiqueurs particuliers, les Algériens ne sont pas quand même les seuls à priser la chique. On chique aussi en Occident et dans d’autres contrées du monde où les feuilles de tabac sans fumée sont fermentées et mouillées. Ainsi, des Indiens, des cow-boys et des camionneurs américains ont leur tabac à mâcher ou à sniffer. Des Yéménites ont le célèbre qat. Des Suédois avec leur Snus, une chemma bio de luxe. Les Algériens, eux, ont leur chemma, une drogue douce, dont l’Etat est le premier fabricant. A priser, à chiquer où à mâcher, en Algérie, elle fait toujours le mâle. Qu’elle passe par la bouche ou par le nez, elle est toujours prisée par les accros. Plaisir des machos, des grands, des petits, des maigres, des gros, des originaux, des marginaux, des arabophones, des francophones, des Amazigh et des Arabes, des hommes et des…femmes, elle est chez nous une façon d’être et de paraître. Et, un jour peut-être, de disparaître. Chemma, neffa ou madgha, qu’importe la forme, le grain de chique algérien est à la fois rite et culte. Alors, dis-moi donc ce que tu sniffes, mâches ou craches, je te dirai ce que tu es.
La preuve par la boursouflure
A l’origine fut le snif. D’où, étymologiquement, le mot chemma, dérivé de l’arabe algérien cheme, signifiant sentir. On dit aussi que chiquer, c’est manger de bon appétit. Et un chiqueur, c’est celui qui aime à faire bombance. Chiquer, c’est donc un acte de volupté. D’ailleurs, au quotidien, l’Algérien en administre la preuve par la boursouflure labiale.
Celle de la lèvre supérieure appelée balcon et celle, inférieure, du rez-de-chaussée. Mais qu’importe le lieu, c’est la refâa, la pincée, à savoir la dose roulée dans la massa, le papier pelure, qui compte le plus. Objet à peine caché du désir, la chemma a une histoire, celle d’une plante dont on ne connaît pas vraiment les origines. Nos grand-pères, chemaymiya et nefayfiya de toujours, racontent que le tabac à chiquer aurait été introduit par les Turcs en même temps que le baklava, le makrout et les loukoum. D’autres amateurs, souverainistes et chauvins, affirment mordicus que la chemma serait le produit fini d’un tabac bien algérien, une variété dite chemayenne. Quand il ne s’agit pas par ailleurs d’une chique à base de poudre de feuilles de figuier séchées. Chemma du pauvre mais chemma biologique tout de même, on la trouverait encore, certains jours de souk dans la Mitidja, notamment à Boufarik. De couleur verdâtre, cette variété serait encore prisée par les ruraux du fait qu’elle est moins chère que la chique industrielle. La chemma, c’est un vrai roman d’amour, une leçon d’économie capitalistique. Son histoire est intimement liée au capitalisme patrimonial algérien avant de relever d’un monopole étatique une fois l’indépendance acquise. Son destin était alors accordé à celui de la bourgeoisie traditionnelle, précisément à deux grandes familles de l’est algérien, les Bentchicou et les Benmalti. Ces deux familles eurent le nez creux en pensant à transformer les feuilles de tabac à chiquer. Les Bentchicou créeront même le fameux label makla, littéralement, la nourriture, la bouffe. Ce label sera repris par la Société nationale de tabac et allumettes (SNTA), monopole d’Etat qui le commercialisera sous les noms de Makla El Hilal et Makla Nedjma. L’étoile et le croissant, signes distinctifs, seront affectés au tabac à chiquer et au tabac à priser. Plus tard, la famille Bentchicou fera un bras d’honneur à la SNTA en reprenant le label et en le faisant fructifier chez les Belges. Pour le plus grand bonheur des chiqueurs immigrés et de leurs compatriotes restés au pays,
les héritiers Bentchicou commercialisent 3 qabssa, des boites rondes portant les noms exotiques de Makla Ifriqiya, Makla el Kantara et Makla El Hilal.
L’histoire de la chemma, c’est aussi celle de la révolution algérienne. Nos vaillants moudjahidine l’auront utilisée comme une arme et une ruse de guerre contre l’armée coloniale française. Les combattants de l’ALN utilisaient cette poudre magique pour brouiller les pistes aux parachutistes et autres bataillons de l’armée française qui pistaient les katibat des djounoud. Il s’agissait notamment de détraquer les logiciels olfactifs des chiens de chasse. Et l’on raconte aussi que Mostefa ben Boulaïd, héros mythique de la guerre de libération, aurait semé derrière lui de providentiels grains de chemma. Le but : dérouter les bergers allemands lâchés à ses trousses après sa spectaculaire évasion de la prison El Koudiat de Constantine, en 1956. Dans les djebels, la farine et les grains de chique étaient aussi précieux que la poudre de munitions.
La chemma comme analgésique
Autres usages, autres vertus. La chemma était utilisée également comme un analgésique, notamment contre les maux de dents et autres migraines.
Elle constituait alors une véritable pharmacopée, d’autant plus recherchée que nos grands-parents ne fréquentaient pas souvent médecins et dentistes durant la période coloniale. C’est en excipant des vertus sédatives de la chemma que nos grand-mères expliquaient leur engouement et leur addiction conséquente. Les femmes, notamment dans l’Est algérien, chiquaient ou prisaient, au même titre que leurs compagnons. Comme quoi, la chemma ou la neffa ne sont pas des attributs exclusifs de la virilité masculine.
La chique était également un moyen de pêche insolite. Durant les années soixante, à Alger, à q’milet lâawed et à Qâa essour, à Bab El Oued, elle servait d’appât maléfique. Les plus imaginatifs parmi les amis d’enfance, jetaient de la chemma dans l’eau et dans les anfractuosités des rochers pour attirer le poisson. Etourdi, il affleurait ensuite à la surface pour être ramassé sans peine par les petits futés qui garnissait leurs paniers de tchelba, de sawril et de kahla, menu fretin des pauvres. La technique d’épandage des grains de chemma servait aussi à faire sortir de terre les asticots. La provision de protéines ainsi amassée servait ensuite pour la pêche à la sennara, l’hameçon des apprentis pêcheurs. Chiquer, priser ou mâcher, c’est tout un art. Un rituel. La manière de chiquer des Algériens n’est pas celle des Canadiens, des Américains, des Suédois, des Malgaches ou des Turkmènes. Les instruments utilisés diffèrent également.
Bien avant que la tabatière à chique n’ait la forme du galet rond d’aujourd’hui, nos ancêtres utilisaient le garne.
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