Par Khaled A. Nasri,
correspondance d’Alger
Algérie. Bouteflika et les “Schtroumpfs”correspondance d’Alger
Le chef de l’Etat briguera, en avril, un troisième mandat. Il sera seul en piste, ou presque : redoutant une “mascarade électorale”, ses opposants ont déclaré forfait. Les généraux, résignés, laissent faire, en attendant…
Pull rayé de marin, casquette de gavroche vissée sur la tête, guitare en bandoulière : Baaziz, Abdelaziz Bekhti de son vrai nom, cultive la ressemblance avec son ami Renaud. Un langage cru, détonant mélange d’arabe et de français, des paroles tantôt tendres tantôt acides, qui font
En haut lieu, dans les arcanes du pouvoir algérien, où on redoutait par dessus tout “un scénario à la Coluche”, la blague n’a fait rire personne. Lancée sur le mode de la plaisanterie, à l’issue d’un spectacle, en novembre 1980, l’idée d’une candidature de l’humoriste français à la présidentielle de 1981 avait fait un tabac. En quelques jours, l’homme à la salopette rayée s’était retrouvé crédité de 15% dans les sondages ! Pendant des semaines, les pitreries du comique avaient semé la confusion. Avant que Coluche, effrayé par sa propre audace et déstabilisé par les pressions et les menaces, ne finisse par jeter l’éponge de lui-même.
L’Algérie de 2009 réunit pas mal de conditions pour que la mayonnaise Baaziz prenne. A commencer par un code électoral assez libéral : il “suffit” de réunir 75 000 signatures pour que la candidature soit entérinée par le juge électoral. Fort de sa popularité dans la capitale et dans sa région d’origine, la frondeuse Kabylie, le chanteur aurait pu tenter le coup. Et il se murmurait qu’il s’était trouvé des mécènes disposés à financer sa campagne. Mais, à l’instar de Coluche, Baaziz a entretenu le suspense pendant quelques semaines, avant de renoncer. Il ne sera donc pas le grain de sable qui viendra gripper l’engrenage bien huilé de la machine qui doit permettre à Abdelaziz Bouteflika de se maintenir au pouvoir.
L’article 74 de la Constitution, limitant à deux le nombre de mandats présidentiels successifs autorisés, ayant été modifié le 12 novembre 2008 par un vote presque unanime des députés, le chef de l’Etat algérien, âgé de 72 ans et malade, sera candidat à un troisième mandat. Il l’a annoncé le 12 février, devant 5000 de ses partisans. Officiellement, Bouteflika n’a fait que céder aux instances de la classe politique et syndicale et des représentants de la société civile, qui voient en lui l’homme providentiel. Il a promis une consultation régulière et transparente mais a prévenu qu’en Algérie, “un président ne peut l’être s’il ne dispose pas du soutien d’une écrasante majorité du corps électoral”. Précaution de pure forme : le président est assuré d’être réélu avec un score à la soviétique. Car Baaziz n’est pas le seul à avoir fait défection. Tous ceux qui auraient pu, peu ou prou, donner un semblant de substance à la compétition électorale ont déclaré forfait.
Les opposants de longue date, comme le leader du Front des forces socialistes, Hocine Aït Ahmed, héros de la guerre de libération, le réformateur Mouloud Hamrouche, ou l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmed Taleb Ibrahimi, chef du parti Wafa, ont refusé de se prêter à la mascarade. Quand à l’ancien président Liamine Zéroual (1994-1998), un temps pressenti, il a fait savoir le 13 janvier qu’il “n’irait pas”. Au lendemain de la révision de la Constitution, ce général, qui s’était retiré de la vie politique en 1999, avait laissé entendre qu’il pourrait se porter candidat. Il est allé jusqu’à formuler des jugements sévères sur son successeur au palais d’El Mouradia, l’accusant à mots à peine couverts d’avoir trahi le principe de l’alternance à la tête de l’Etat et de vouloir restaurer la présidence à vie.
Les observateurs avaient interprété cette sortie comme un signal de désapprobation émanant de la “Grande Muette”, cette armée qui a longtemps fait et défait les présidents en Algérie. Ils s’étaient trompés : ce n’était manifestement qu’un ballon d’essai. Deux jours après Zéroual, c’était au tour du laïc Saïd Saâdi, le président du RCD, le Rassemblement pour la culture et la démocratie, de renoncer sans ambiguïté à la candidature. Et de faire de ce refus une question de dignité en expliquant que la participation à une telle compétition serait “synonyme de compromission dans une opération d’humiliation nationale.”
Jamais deux sans trois (mandats)
Cette “grève des candidatures” - pour reprendre l’expression de la journaliste du Monde et spécialiste du Maghreb, Florence Beaugé – est ennuyeuse pour le régime. Elle ne va certainement pas inciter les électeurs à se déplacer le jour du scrutin. Avec pour seule adversaire la trotskiste Louisa Hanoune, l’orgueilleux Bouteflika “va devoir se contenter d’emporter son troisième mandat face à des Schtroumpfs”, écrit-elle avec humour. Et “Boutef III” ressemblera, en pire, à “Boutef I”. Le 13 avril 1999, soit deux jours avant le premier tour du scrutin présidentiel, ses six adversaires, Hocine Aït Ahmed, Abdallah Djaballah, Mouloud Hamrouche, Youcef Khatib, Mokdad Sifi et Ahmed Taleb Ibrahimi, s’étaient retirés de la course pour protester contre “l’opération de fraude massive” en préparation. Bouteflika avait été élu avec 75 % des suffrages.
“En 2004, beaucoup de gens avaient cru sur parole les généraux quand ils avaient assuré que l’armée n’interférerait pas dans la compétition électorale et que le scrutin serait transparent”, décrypte un journaliste algérien. La suite, selon la même source : “Ali Benflis, l’ancien Premier ministre de Boutef’, qui croyait en ses chances, s’est présenté. On sait ce qu’il est advenu (Bouteflika l’a emporté avec plus de 84% des voix, ndlr). Cette fois, les opposants étaient nettement plus circonspects. Mais le climat assez bizarre qui a prévalu jusqu’à la fin de l’année dernière, la valse-hésitation autour de la révision constitutionnelle, d’abord annoncée comme imminente, puis sans cesse différée, et qui est finalement intervenue assez tardivement [en novembre], les rumeurs relayées par la presse, le buzz créé par les déclarations du général-major Rachid Benyelles, farouchement hostile à l’idée d’un troisième mandat, tous ces éléments, mis bout à bout, ont pu laisser croire qu’une frange des décideurs étaient hostiles à l’OPA du clan Bouteflika sur El Mouradia. Avec le recul, on se rend compte qu’il s’agissait de vaines spéculations.”
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