FUITE DES CERVEAUX
Au-delà des slogans
Le volontarisme politique à base de textes juridiques et d’institutions en état permanent d’asymétrie par rapport aux données concrètes du monde de la connaissance, risque de se révéler notoirement insuffisant.
Aujourd’hui, le pouvoir politique place en tête de ses priorités le recours aux compétences nationales expatriées, afin de les associer à l’effort de développement culturel, scientifique et technique qu’il veut impulser au profit de tous les Algériens. Mais la méthode autant que les moyens préconisés font la part belle au volontarisme.
Les raisons de la fuite des cerveaux
Il en existe plusieurs que l’on ne peut ici qu’évoquer: l’arabisation démagogique de l’enseignement (surtout à partir de 1979), la bureaucratisation de la recherche, la dévalorisation du statut symbolique et matériel des cadres (à partir de 1984), la montée de l’islamisme radical qui avait décidé de cibler, en priorité, l’élite intellectuelle francophone (à partir de 1993), l’insuffisante garantie des libertés individuelles et collectives, le déclassement social des diplômés de l’enseignement supérieur au profit des titulaires de rentes et des spéculateurs depuis la suppression du monopole de l’Etat sur le commerce extérieur (février 1991).
C’est la conjonction de l’ensemble de ces facteurs auquel il faut ajouter le repli sur soi de l’Algérie, depuis la généralisation de la langue arabe et l’arrêt de toute recherche/ développement dans l’industrie, qui explique l’exode des compétences. A partir de 1992, en raison de la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale, la fuite des cadres vers l’étranger devient massive et dès 1998, c’est la hantise du déclassement social qui pousse des milliers d’Algériens à quitter le pays, portés qu’ils sont par une double conviction: les perspectives de redressement du pays sont faibles et leurs enfants risquent de subir un déclassement social encore plus important que celui qu’ils ont connu. De surcroît, comme dit plus haut, la prospérité fulgurante du seul segment de la population qui a échappé aux contraintes de l’ajustement structurel de 1994 et des années suivantes, c’est-à-dire celui des spéculateurs, achève de démontrer aux élites les plus lucides mais non encore résolues à s’expatrier, qu’il leur faudra franchir le pas fatidique, sauf à se naufrager. Leur détermination est désormais d’autant plus forte que les pouvoirs publics ne manifestent strictement aucune sollicitude à leur égard, en dépit de leurs généreuses déclarations d’intention qui viennent surtout témoigner d’une formidable duplicité à l’égard d’un phénomène de société qu’ils n’ont pas les moyens, et peut-être même pas la volonté, de traiter en profondeur.
La faible attractivité du territoire algérien pour tous les types d’investissement
Comme nous l’avons souvent évoqué dans ces colonnes, l’Algérie reste une terre faiblement attractive pour tous les investissements (y compris naturellement les investissements immatériels et ceux relatifs au développement des connaissances). Les entreprises étrangères, qui cherchent à développer leur croissance externe, n’acceptent d’investir que dans les Etats qui possèdent déjà une industrie puissante, qui sont en forte croissance et aussi ceux qui sont capables d’accompagner l’externalisation des activités des grandes firmes par les différentes opérations d’outsoursing. Le gouvernement a pensé, jusqu’en 2009, qu’il suffisait de multiplier les générosités fiscales au profit des IDE pour que, par surcroît, ceux-ci investissent massivement dans la recherche/développement.
Or l’ouverture de l’Algérie à l’égard des IDE n’est qu’un aspect d’une politique macroéconomique qui doit viser l’efficacité maximale des facteurs de production. Les Algériens de la diaspora ne seront tentés de revenir en Algérie que du jour où l’Etat algérien décidera d’attaquer à la racine les phénomènes multiples de la dépendance technologique. Tant que notre pays ne sera pas en mesure d’accueillir des laboratoires et des centres de production à haute valeur ajoutée, l’essentiel de notre diaspora ne sera pas disposée à s’impliquer, outre mesure, dans l’élévation du niveau scientifique, technique et culturel de notre pays, en dehors d’expertises ponctuelles dont l’impact sur le tissu scientifique et culturel sera insignifiant.
Si l’Algérie veut réellement se réconcilier avec sa diaspora, comme c’est le cas aujourd’hui de la Tunisie, du Maroc, de la Chine, de la Malaisie, de la Turquie, elle devra se donner les moyens d’installer des unités de recherche susceptibles d’attirer de grands groupes américains, japonais, européens dans le sillage desquels des centaines d’éléments de notre élite expatriée ne manqueront pas de s’inscrire de façon durable. Il ne faudrait pas que le vrai débat soit occulté. La question ne porte pas, en effet, comme le donne à entendre la réglementation algérienne sur les investissements, uniquement sur un transfert de hautes technologies, mais sur la productivité globale des facteurs de production. Pour ne prendre que l’exemple de l’industrie, au-delà de la transmission du savoir-faire, il y a la question de la diffusion des techniques au sein du tissu industriel via la sous-traitance, l’assimilation de la documentation technique, la formation des cadres et du personnel d’exécution aux procédés de fabrication et aux méthodes de gestion.
Sans jamais oublier, naturellement, la protection des droits de propriété intellectuelle des intervenants extérieurs. Dans un pays où ces droits sont sérieusement piétinés, il sera pour le moins difficile de convaincre les universitaires et chercheurs algériens de l’étranger, de communiquer leur savoir-faire aux Algériens de l’intérieur (un éminent urologue français, d’origine algérienne, auteur d’une première mondiale en laparoscopie, venu en Algérie former des urologues aux techniques chirurgicales les plus modernes et opérer gratuitement et avec succès des dizaines de malades donnés pour condamnés par les médecins algériens, a pu constater, sidéré, que sa technique avait été piratée et se vendait sur le marché libre sous forme de DVD).Voici, hélas, le type de signal que nous envoyons à nos compatriotes de l’étranger.
Migration des élites et mondialisation
Il faut se garder de croire que l’exode des cerveaux est un phénomène caractéristique de l’Algérie par rapport aux autres Etats comparables et même aux Etats développés. Il est vrai que chez nous, il continue de revêtir une dimension massive. Entre 1980 et 2008, ce sont pas moins de 150 000 Algériens (cadres, chercheurs, universitaires et leur famille) qui ont quitté l’Algérie, apparemment sans esprit de retour. Ceci dit, la mondialisation des échanges qui connaît une progression remarquable depuis le début des années 1990 a fait des individus comme des entreprises, les principaux acteurs de la mondialisation.
L’Algérie n’échappe pas à cette tendance dominante, alors surtout que les pouvoirs publics n’ont jamais manifesté un empressement quelconque à retenir les compétences nationales. Il est même permis d’aller plus outre dans le constat; plus l’Algérie ralentira le pas vers la mondialisation, au profit d’un illusoire développement autocentré, plus la volonté de l’intelligentsia algérienne de vouloir s’expatrier sera forte. La migration des élites a en effet partie liée au caractère foncièrement rentier, non pas seulement de l’économie, mais de toutes les représentations sociales et symboliques de la société (il n’est point besoin d’être sociologue pour le déceler). En effet, le modèle rentier exportateur, dont on nous annonce de façon récurrente la fin proche, mais qui reste dominant, refoule vers les marges toute velléité de construire le pays à partir de l’économie du savoir et de la connaissance et étouffe dans l’oeuf tout effort tendant à s’approprier les technologies modernes en vue de les adapter aux nécessités nationales.
Est-il normal que notre pays soit encore à la peine pour sortir du modèle d’Etat rentier clientéliste, en dépit de toutes les leçons que l’histoire nous a enseignées depuis l’indépendance (étatisme économique stérile, système éducatif inepte, arabisation au rabais qui marginalise surtout les enfants des catégories modestes, corruption galopante et omniprésente, méfiance grandissante des véritables investisseurs à notre endroit)? L’exode ininterrompu des compétences est là pour démontrer que la mondialisation s’est imposée à l’Algérie en lui aspirant son élite, alors que notre pays disposait largement des ressources qui lui eussent permis de planifier son insertion progressive et vertueuse dans l’économie monde, en conservant ses ressources humaines pour la formation desquelles il a par ailleurs consacré des centaines de milliards de dollars depuis l’indépendance (tous secteurs compris). C’est ce que la Corée du Sud a brillamment réussi.
à suivre...
Au-delà des slogans
Le volontarisme politique à base de textes juridiques et d’institutions en état permanent d’asymétrie par rapport aux données concrètes du monde de la connaissance, risque de se révéler notoirement insuffisant.
Aujourd’hui, le pouvoir politique place en tête de ses priorités le recours aux compétences nationales expatriées, afin de les associer à l’effort de développement culturel, scientifique et technique qu’il veut impulser au profit de tous les Algériens. Mais la méthode autant que les moyens préconisés font la part belle au volontarisme.
Les raisons de la fuite des cerveaux
Il en existe plusieurs que l’on ne peut ici qu’évoquer: l’arabisation démagogique de l’enseignement (surtout à partir de 1979), la bureaucratisation de la recherche, la dévalorisation du statut symbolique et matériel des cadres (à partir de 1984), la montée de l’islamisme radical qui avait décidé de cibler, en priorité, l’élite intellectuelle francophone (à partir de 1993), l’insuffisante garantie des libertés individuelles et collectives, le déclassement social des diplômés de l’enseignement supérieur au profit des titulaires de rentes et des spéculateurs depuis la suppression du monopole de l’Etat sur le commerce extérieur (février 1991).
C’est la conjonction de l’ensemble de ces facteurs auquel il faut ajouter le repli sur soi de l’Algérie, depuis la généralisation de la langue arabe et l’arrêt de toute recherche/ développement dans l’industrie, qui explique l’exode des compétences. A partir de 1992, en raison de la dégradation de la situation sécuritaire, économique et sociale, la fuite des cadres vers l’étranger devient massive et dès 1998, c’est la hantise du déclassement social qui pousse des milliers d’Algériens à quitter le pays, portés qu’ils sont par une double conviction: les perspectives de redressement du pays sont faibles et leurs enfants risquent de subir un déclassement social encore plus important que celui qu’ils ont connu. De surcroît, comme dit plus haut, la prospérité fulgurante du seul segment de la population qui a échappé aux contraintes de l’ajustement structurel de 1994 et des années suivantes, c’est-à-dire celui des spéculateurs, achève de démontrer aux élites les plus lucides mais non encore résolues à s’expatrier, qu’il leur faudra franchir le pas fatidique, sauf à se naufrager. Leur détermination est désormais d’autant plus forte que les pouvoirs publics ne manifestent strictement aucune sollicitude à leur égard, en dépit de leurs généreuses déclarations d’intention qui viennent surtout témoigner d’une formidable duplicité à l’égard d’un phénomène de société qu’ils n’ont pas les moyens, et peut-être même pas la volonté, de traiter en profondeur.
La faible attractivité du territoire algérien pour tous les types d’investissement
Comme nous l’avons souvent évoqué dans ces colonnes, l’Algérie reste une terre faiblement attractive pour tous les investissements (y compris naturellement les investissements immatériels et ceux relatifs au développement des connaissances). Les entreprises étrangères, qui cherchent à développer leur croissance externe, n’acceptent d’investir que dans les Etats qui possèdent déjà une industrie puissante, qui sont en forte croissance et aussi ceux qui sont capables d’accompagner l’externalisation des activités des grandes firmes par les différentes opérations d’outsoursing. Le gouvernement a pensé, jusqu’en 2009, qu’il suffisait de multiplier les générosités fiscales au profit des IDE pour que, par surcroît, ceux-ci investissent massivement dans la recherche/développement.
Or l’ouverture de l’Algérie à l’égard des IDE n’est qu’un aspect d’une politique macroéconomique qui doit viser l’efficacité maximale des facteurs de production. Les Algériens de la diaspora ne seront tentés de revenir en Algérie que du jour où l’Etat algérien décidera d’attaquer à la racine les phénomènes multiples de la dépendance technologique. Tant que notre pays ne sera pas en mesure d’accueillir des laboratoires et des centres de production à haute valeur ajoutée, l’essentiel de notre diaspora ne sera pas disposée à s’impliquer, outre mesure, dans l’élévation du niveau scientifique, technique et culturel de notre pays, en dehors d’expertises ponctuelles dont l’impact sur le tissu scientifique et culturel sera insignifiant.
Si l’Algérie veut réellement se réconcilier avec sa diaspora, comme c’est le cas aujourd’hui de la Tunisie, du Maroc, de la Chine, de la Malaisie, de la Turquie, elle devra se donner les moyens d’installer des unités de recherche susceptibles d’attirer de grands groupes américains, japonais, européens dans le sillage desquels des centaines d’éléments de notre élite expatriée ne manqueront pas de s’inscrire de façon durable. Il ne faudrait pas que le vrai débat soit occulté. La question ne porte pas, en effet, comme le donne à entendre la réglementation algérienne sur les investissements, uniquement sur un transfert de hautes technologies, mais sur la productivité globale des facteurs de production. Pour ne prendre que l’exemple de l’industrie, au-delà de la transmission du savoir-faire, il y a la question de la diffusion des techniques au sein du tissu industriel via la sous-traitance, l’assimilation de la documentation technique, la formation des cadres et du personnel d’exécution aux procédés de fabrication et aux méthodes de gestion.
Sans jamais oublier, naturellement, la protection des droits de propriété intellectuelle des intervenants extérieurs. Dans un pays où ces droits sont sérieusement piétinés, il sera pour le moins difficile de convaincre les universitaires et chercheurs algériens de l’étranger, de communiquer leur savoir-faire aux Algériens de l’intérieur (un éminent urologue français, d’origine algérienne, auteur d’une première mondiale en laparoscopie, venu en Algérie former des urologues aux techniques chirurgicales les plus modernes et opérer gratuitement et avec succès des dizaines de malades donnés pour condamnés par les médecins algériens, a pu constater, sidéré, que sa technique avait été piratée et se vendait sur le marché libre sous forme de DVD).Voici, hélas, le type de signal que nous envoyons à nos compatriotes de l’étranger.
Migration des élites et mondialisation
Il faut se garder de croire que l’exode des cerveaux est un phénomène caractéristique de l’Algérie par rapport aux autres Etats comparables et même aux Etats développés. Il est vrai que chez nous, il continue de revêtir une dimension massive. Entre 1980 et 2008, ce sont pas moins de 150 000 Algériens (cadres, chercheurs, universitaires et leur famille) qui ont quitté l’Algérie, apparemment sans esprit de retour. Ceci dit, la mondialisation des échanges qui connaît une progression remarquable depuis le début des années 1990 a fait des individus comme des entreprises, les principaux acteurs de la mondialisation.
L’Algérie n’échappe pas à cette tendance dominante, alors surtout que les pouvoirs publics n’ont jamais manifesté un empressement quelconque à retenir les compétences nationales. Il est même permis d’aller plus outre dans le constat; plus l’Algérie ralentira le pas vers la mondialisation, au profit d’un illusoire développement autocentré, plus la volonté de l’intelligentsia algérienne de vouloir s’expatrier sera forte. La migration des élites a en effet partie liée au caractère foncièrement rentier, non pas seulement de l’économie, mais de toutes les représentations sociales et symboliques de la société (il n’est point besoin d’être sociologue pour le déceler). En effet, le modèle rentier exportateur, dont on nous annonce de façon récurrente la fin proche, mais qui reste dominant, refoule vers les marges toute velléité de construire le pays à partir de l’économie du savoir et de la connaissance et étouffe dans l’oeuf tout effort tendant à s’approprier les technologies modernes en vue de les adapter aux nécessités nationales.
Est-il normal que notre pays soit encore à la peine pour sortir du modèle d’Etat rentier clientéliste, en dépit de toutes les leçons que l’histoire nous a enseignées depuis l’indépendance (étatisme économique stérile, système éducatif inepte, arabisation au rabais qui marginalise surtout les enfants des catégories modestes, corruption galopante et omniprésente, méfiance grandissante des véritables investisseurs à notre endroit)? L’exode ininterrompu des compétences est là pour démontrer que la mondialisation s’est imposée à l’Algérie en lui aspirant son élite, alors que notre pays disposait largement des ressources qui lui eussent permis de planifier son insertion progressive et vertueuse dans l’économie monde, en conservant ses ressources humaines pour la formation desquelles il a par ailleurs consacré des centaines de milliards de dollars depuis l’indépendance (tous secteurs compris). C’est ce que la Corée du Sud a brillamment réussi.
à suivre...
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