Messieurs, Nous avons appris par la presse de ces derniers jours qu’après un travail de fourmi que vous avez mené durant deux semaines, vous avez mis au jour un gros problème de corruption au niveau de l’état-major de Sonatrach. Le président-directeur général, des vice-présidents et des directeurs de la compagnie, l’ex-PDG du CPA, un entrepreneur privé ainsi que les enfants des deux PDG sont, soit sous les verrous, soit sous contrôle judiciaire.
Bravo Messieurs, vous avez fait du bon travail. Tous les Algériens honnêtes, tous ceux qui ne vivent que de la sueur de leur front ne pourront que vous féliciter. On nous a dit aussi que ce serait sur injonction du président de la République qu’ont été menées vos investigations. On a également appris, à travers la presse, que les malversations en question concernaient l’octroi de marchés à deux bureaux d’études et de consulting ainsi que l’achat d’installations de surveillance sur des pipelines.
Malgré les bons résultats auxquels vous êtes parvenus, je dois cependant vous dire que nous, citoyens, restons quand même sur notre faim à la lecture de ces informations. C’est pourquoi je m’adresse à vous pour vous faire part d’un certain nombre de constatations, de remarques et de questions que celles-ci soulèvent. Parmi les premières constatations qui sautent aux yeux, il en est une que vous avez certainement dû faire vous-mêmes : les affaires que vous avez mises au jour concernent des marchés d’importance « secondaire », dirions-nous.
Des études de consulting représentent des contrats dont les montants varient entre quelques dizaines de milliers et quelques centaines de milliers de dollars. Il en est de même de l’achat de matériels et équipements de contrôle et de surveillance électronique installés sur des canalisations de pétrole ou de gaz. C’est un peu plus cher que des études, mais cela reste d’un niveau modeste.
Des commissions de 10% à 15% – c’est le « tarif » en général – représentent des petites sommes. Loin de moi l’idée de chercher à diminuer ou à atténuer la culpabilité des personnes concernées, car une malversation reste une malversation, un corrompu reste un corrompu et un vol reste un vol, quel que soit le montant des sommes détournées ou indûment perçues. Il faut mettre fin à ce genre de comportements et à ce fléau social qu’est la corruption même si cela ne porte que sur des petites affaires. Ce qui me gêne néanmoins – autant vous le dire crûment – c’est que bien que vous ayez fait un très bon travail, vous avez quand même tapé un peu à côté de la plaque.
Vous avez été, comme qui dirait, bridés ou alors vous vous êtes à dessein confinés dans l’investigation des petits marchés, comme si la corruption ne concernait que les petits contrats. On a l’impression que vous n’avez pas su chercher ou que l’on ne vous a pas laissés aller au-delà d’un certain niveau. Malheureusement, la corruption est partout présente en Algérie. Elle est particulièrement présente dans les grands marchés, ceux qui se chiffrent en milliards de dollars ou éventuellement en centaines de millions. C’est là que les dégâts pour l’économie nationale sont énormes et c’est surtout dans ces marchés que vous devriez aller fourrer votre nez. Je vous fournirai plus loin quelques pistes à explorer.
La seconde constatation que l’on peut faire à la lecture de ce qui a été publié dans la presse est que la progéniture de certains responsables est également « dans le coup ». Là aussi, on doit vous dire bravo, car vous avez ainsi mis au jour une évidence, dont on ne voulait pas prendre conscience jusque-là, pour je ne sais trop quelle raison. Mais alors, ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Intéressez-vous aux activités de certaines autres progénitures, bien connues à Alger, qui possèdent une double nationalité et qui résident à l’étranger. Vous découvrirez, Messieurs les enquêteurs, que nombre de contrats passés par Sonatrach l’ont été grâce à l’entregent de ces enfants et grâce à l’assistance de papa qui, lui, occupe de hautes fonctions dans l’appareil économique algérien. Ma troisième remarque porte sur le niveau de responsabilité des personnes soupçonnées d’avoir perçu des pots-de-vin.
Ce sont, certes, les plus hauts cadres de la compagnie nationale des pétroles, mais pensez-vous sincèrement, Messieurs les enquêteurs, que ces cadres ont agi seuls ? Pensez-vous vraiment qu’ils ont pris seuls le risque de briser leur carrière professionnelle, leur vie familiale et leur avenir, sachant par avance que s’ils étaient découverts, ils passeraient de longues années en prison ? Imaginez-vous un instant qu’ils n’ont pas pris auparavant la « précaution » de solliciter la protection de responsables autrement plus importants, tant au sein du pouvoir politique que du pouvoir militaire ? Une telle protection se paye évidemment en monnaie sonnante et trébuchante. Ne croyez-vous pas que ces cadres ne sont en réalité que des seconds couteaux, des acteurs agissant pour le compte de parrains autrement plus puissants ? Je suis pour ma part convaincu – je suis certain qu’au fond de vous-mêmes vous l’êtes aussi – que ce serait plutôt à la demande et pour le compte de certains puissants du régime que ces cadres ont fait ce qu’ils ont fait, et qu’ils se sont, bien entendu, servis au passage.
Encore une fois, ceci ne diminue en rien leur niveau de culpabilité, puisque même s’ils n’avaient rien pris au passage, ils n’en seraient pas moins coupables de corruption en bande organisée. Ce qui me gêne, à vrai dire, c’est que vous n’ayez découvert qu’une partie infime des malversations qui caractérisent le secteur pétrolier algérien. Tout se passe comme si on vous avait demandé de ne pas porter vos investigations vers la partie immergée de l’iceberg. Ce qui me gêne c’est de constater, encore une fois, que les très hauts responsables politiques et militaires algériens semblent être immunisés contre toute tentative de corruption, qu’ils ne sont ni corrompus ni corrupteurs, qu’ils sont blancs comme neige, comme si la corruption s’arrêtait au dernier étage de la technocratie.
La situation présente ressemble étrangement à celle de l’affaire Khalifa où les malversations révélées n’avaient atteint que le poste de gouverneur de la Banque centrale ; au-delà, il n’y en avait pas. Elle est aussi identique à celle de l’affaire BRC où le plus haut responsable inculpé était le président-directeur général de l’entreprise et dans laquelle, au-delà de ce niveau, tout le monde était net et propre.
Au risque de me répéter, je suis obligé de constater qu’il y a quelque chose qui cloche : ces investigations et ces inculpations qui s’arrêtent à un certain niveau de responsabilité ne sont pas le fruit du hasard. Il y a, visiblement en coulisses, des forces occultes qui agissent et qui décident de stopper les recherches à un certain point, une fois qu’elles ont atteint le but qu’elles visaient. Même quand, comme dans l’affaire Khalifa, un ministre admet devant un tribunal une part de responsabilité dans le scandale ou que le secrétaire général de l’UGTA dit assumer certains actes de mauvaise gestion qui en sont en partie la cause, l’establishment fait comme s’il n’avait pas entendu ces déclarations.
La suite...
Bravo Messieurs, vous avez fait du bon travail. Tous les Algériens honnêtes, tous ceux qui ne vivent que de la sueur de leur front ne pourront que vous féliciter. On nous a dit aussi que ce serait sur injonction du président de la République qu’ont été menées vos investigations. On a également appris, à travers la presse, que les malversations en question concernaient l’octroi de marchés à deux bureaux d’études et de consulting ainsi que l’achat d’installations de surveillance sur des pipelines.
Malgré les bons résultats auxquels vous êtes parvenus, je dois cependant vous dire que nous, citoyens, restons quand même sur notre faim à la lecture de ces informations. C’est pourquoi je m’adresse à vous pour vous faire part d’un certain nombre de constatations, de remarques et de questions que celles-ci soulèvent. Parmi les premières constatations qui sautent aux yeux, il en est une que vous avez certainement dû faire vous-mêmes : les affaires que vous avez mises au jour concernent des marchés d’importance « secondaire », dirions-nous.
Des études de consulting représentent des contrats dont les montants varient entre quelques dizaines de milliers et quelques centaines de milliers de dollars. Il en est de même de l’achat de matériels et équipements de contrôle et de surveillance électronique installés sur des canalisations de pétrole ou de gaz. C’est un peu plus cher que des études, mais cela reste d’un niveau modeste.
Des commissions de 10% à 15% – c’est le « tarif » en général – représentent des petites sommes. Loin de moi l’idée de chercher à diminuer ou à atténuer la culpabilité des personnes concernées, car une malversation reste une malversation, un corrompu reste un corrompu et un vol reste un vol, quel que soit le montant des sommes détournées ou indûment perçues. Il faut mettre fin à ce genre de comportements et à ce fléau social qu’est la corruption même si cela ne porte que sur des petites affaires. Ce qui me gêne néanmoins – autant vous le dire crûment – c’est que bien que vous ayez fait un très bon travail, vous avez quand même tapé un peu à côté de la plaque.
Vous avez été, comme qui dirait, bridés ou alors vous vous êtes à dessein confinés dans l’investigation des petits marchés, comme si la corruption ne concernait que les petits contrats. On a l’impression que vous n’avez pas su chercher ou que l’on ne vous a pas laissés aller au-delà d’un certain niveau. Malheureusement, la corruption est partout présente en Algérie. Elle est particulièrement présente dans les grands marchés, ceux qui se chiffrent en milliards de dollars ou éventuellement en centaines de millions. C’est là que les dégâts pour l’économie nationale sont énormes et c’est surtout dans ces marchés que vous devriez aller fourrer votre nez. Je vous fournirai plus loin quelques pistes à explorer.
La seconde constatation que l’on peut faire à la lecture de ce qui a été publié dans la presse est que la progéniture de certains responsables est également « dans le coup ». Là aussi, on doit vous dire bravo, car vous avez ainsi mis au jour une évidence, dont on ne voulait pas prendre conscience jusque-là, pour je ne sais trop quelle raison. Mais alors, ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Intéressez-vous aux activités de certaines autres progénitures, bien connues à Alger, qui possèdent une double nationalité et qui résident à l’étranger. Vous découvrirez, Messieurs les enquêteurs, que nombre de contrats passés par Sonatrach l’ont été grâce à l’entregent de ces enfants et grâce à l’assistance de papa qui, lui, occupe de hautes fonctions dans l’appareil économique algérien. Ma troisième remarque porte sur le niveau de responsabilité des personnes soupçonnées d’avoir perçu des pots-de-vin.
Ce sont, certes, les plus hauts cadres de la compagnie nationale des pétroles, mais pensez-vous sincèrement, Messieurs les enquêteurs, que ces cadres ont agi seuls ? Pensez-vous vraiment qu’ils ont pris seuls le risque de briser leur carrière professionnelle, leur vie familiale et leur avenir, sachant par avance que s’ils étaient découverts, ils passeraient de longues années en prison ? Imaginez-vous un instant qu’ils n’ont pas pris auparavant la « précaution » de solliciter la protection de responsables autrement plus importants, tant au sein du pouvoir politique que du pouvoir militaire ? Une telle protection se paye évidemment en monnaie sonnante et trébuchante. Ne croyez-vous pas que ces cadres ne sont en réalité que des seconds couteaux, des acteurs agissant pour le compte de parrains autrement plus puissants ? Je suis pour ma part convaincu – je suis certain qu’au fond de vous-mêmes vous l’êtes aussi – que ce serait plutôt à la demande et pour le compte de certains puissants du régime que ces cadres ont fait ce qu’ils ont fait, et qu’ils se sont, bien entendu, servis au passage.
Encore une fois, ceci ne diminue en rien leur niveau de culpabilité, puisque même s’ils n’avaient rien pris au passage, ils n’en seraient pas moins coupables de corruption en bande organisée. Ce qui me gêne, à vrai dire, c’est que vous n’ayez découvert qu’une partie infime des malversations qui caractérisent le secteur pétrolier algérien. Tout se passe comme si on vous avait demandé de ne pas porter vos investigations vers la partie immergée de l’iceberg. Ce qui me gêne c’est de constater, encore une fois, que les très hauts responsables politiques et militaires algériens semblent être immunisés contre toute tentative de corruption, qu’ils ne sont ni corrompus ni corrupteurs, qu’ils sont blancs comme neige, comme si la corruption s’arrêtait au dernier étage de la technocratie.
La situation présente ressemble étrangement à celle de l’affaire Khalifa où les malversations révélées n’avaient atteint que le poste de gouverneur de la Banque centrale ; au-delà, il n’y en avait pas. Elle est aussi identique à celle de l’affaire BRC où le plus haut responsable inculpé était le président-directeur général de l’entreprise et dans laquelle, au-delà de ce niveau, tout le monde était net et propre.
Au risque de me répéter, je suis obligé de constater qu’il y a quelque chose qui cloche : ces investigations et ces inculpations qui s’arrêtent à un certain niveau de responsabilité ne sont pas le fruit du hasard. Il y a, visiblement en coulisses, des forces occultes qui agissent et qui décident de stopper les recherches à un certain point, une fois qu’elles ont atteint le but qu’elles visaient. Même quand, comme dans l’affaire Khalifa, un ministre admet devant un tribunal une part de responsabilité dans le scandale ou que le secrétaire général de l’UGTA dit assumer certains actes de mauvaise gestion qui en sont en partie la cause, l’establishment fait comme s’il n’avait pas entendu ces déclarations.
La suite...
Commentaire