Monsieur Ghazi HIDOUCI, merci pour l’intérêt que vous accordez à LQA, en acceptant de répondre à quelques unes de nos questions, sur les évènements qui agitent présentement le « microcosme », si l’on peut dire.
Permettez-moi d’abord de me réjouir de l’opportunité que vous me donnez de dialoguer avec LQA. J’ai manqué plusieurs occasions, pour des raisons pratiques, mais ma proximité avec vos initiatives et vos efforts a toujours été engagée sans aucun doute.
Sur le sujet, je dois souligner que mon éloignement et aussi la lassitude face à l’immobilisme du régime et la répétition obsessionnelle de ses maladies font que je suis avec distance les événements, et notamment les scandales. Il y a des choses que je connais donc mal ; j’ai été emmené à me documenter pour pouvoir discuter utilement avec vous ; aussi je vous demanderais d’excuser par avance mon manque d’information factuelle.
1/ Quelle est votre lecture des scandales qui éclatent ces derniers jours, et qui éclaboussent particulièrement des personnalités proches des hommes liges du « clan présidentiel » ?
Nous sommes très probablement à un moment de conflits pour le leadership. Dans tous les conflits de ce type que nous avons connu, il y a eu plusieurs facteurs qui entrent en jeu : les passions pour le contrôle du pouvoir, la cupidité, la peur d’avoir à rendre des comptes, l’idéologie, même, comme en 1962, 1965 et 1989, voire 1996 lors de l’éviction du Général Zeroual.
Il me semble qu’aujourd’hui, il s’agirait plutôt d’une empoignade pour arbitrer les héritages.
Cependant, historiquement, c’est la première fois que la démographie constitue l’élément déterminant d’arbitrage. Ce qui reste, et qui n’est pas glorieux, de la génération de l’indépendance, atteint l’âge limite naturel. Les héritiers se manifestent pour ne pas être surpris par un mauvais coup, mais la politique comme l’idéologie sont cette fois absentes. Les uns et les autres tentent de nettoyer les écuries d’Augias, mais sans vision aucune et sans volonté véritable d’hygiène. Ce n’est pas tous les jours que les peuples fabriquent Héraclès…. Nous assistons plutôt à des règlements de compte de très mauvaise qualité, entre héritiers de faible envergure, dont les seules motivations déterminants sont la trouille d’avoir à rendre des comptes et de ne plus être placés aux guichets d’accès à la rapine.
Face à une telle misère humaine, je me réfugie dans la dérision, mais, comme tout le monde, je pleure sur ce que nous sommes devenus ; cette situation peut durer, nous entraîner très loin dans l’arriération et faire payer très cher le prix de cette corruption du régime à nos enfants.
2/ Une certaine presse, et certaines voix « autorisées », tentent, presque à contre courant, de faire accroire que les enquêtes diligentées par les enquêteurs du DRS, ont été initiées par le Président Bouteflika. Faut-il les croire ?
Il est certain que les manœuvres concernent les héritiers qui s’accrochent plutôt au chef de l’Etat à ceux qui s’accrochent à d’autres personnages. On dit que le conflit opposerait de fait le chef du DRS au chef de l’Etat, mais on n’en a pas de preuves. Il m’est difficile d’expérience de dire qui est qui et qui fait quoi. La capacité managériale de tout ce beau monde me fait plutôt penser à une mêlée générale et permanente où les positionnements changent avec la conjoncture. Les manœuvres, les disputes et les alliances sont mouvantes ; c’est plutôt chacun pour soi, l’un et l’autre, l’un contre l’autre, en attendant les ralliements décisifs de dernière minute. La visibilité pour nous est mauvaise car il n’y a pas d’enjeu politique. Ce qui est certain, c’est que l’aboutissement, s’il y en a, n’annonce rien de bon pour les gens.
Ce qui importe plutôt politiquement, aujourd’hui comme hier, c’est de comprendre que c’est le régime politique et son organisation qui produisent les maladies qui l’ atteignent et retardent notre émancipation, dont la corruption. Si on avait les moyens de mettre en prison tous les voleurs et les accapareurs, sans changer de régime, _ ce qui est illusoire, _ il y aura immédiatement la génération d’une nouvelle vague de voleurs et d’accapareurs.
3/ Pourquoi des enquêtes, et des mises en examen, sur ces cas précis, et par sur d’autres bien plus lourds, et qui pourraient inquiéter les plus hauts sommets de l’État ? Est-ce un coup de semonce ? Est-ce parce que les « décideurs » qui ont entrepris ces actions n’ont pas les moyens techniques, et politiques, d’aller plus haut, et plus loin ? Une autre explication ?
La chasse au petit gibier s’explique en général de deux manières :
4/ Que savez-vous de l’Affaire BRC ? Pourquoi a-t-elle été étouffée dans l’œuf ? Est-ce parce qu’elle menacait de révéler des connivences avec des puissances étrangères bien plus compromettantes que tout ce qu’on a pu savoir ? Comme celle, entre autres, d’une base américaine au Sahara, à l’insu du peuple algérien, en pleine décennie rouge ?
Comme je vous l’ai dit plus haut, je n’ai pas suivi « l’affaire » dans le détail ; je ne sais même pas ce qu’elle est devenue. Ce que je retiens néanmoins, c’est que BRC était (ou est encore ?) une société mixte algéro-américaine directement supervisée pour la partie américaine par Dick Cheney et pour la partie algérienne par Sonatrach. Il ya plus de quinze ans, elle obtenait, sans se mesurer à la concurrence, des marchés dans le domaine des hydrocarbures et dans le domaine des infrastructures militaires.
So intérêt pour moi est qu’il s’agit là pour le moins d’une manifestation, éclatante s’il en est, de la connivence de notre politique nationale avec l’Amérique sinistre de Bush, Cheney et Rumsfeld et indirectement avec leur Etat dans notre région, Israël.
Les choses allaient bon train lorsque récemment il fut question d’un marché de matériel de communication militaire stratégique porté par BRC. Les russes, qui vendent de l’armement à notre pays s’en émurent….Apparut alors le scandale de corruption qu’on nous a vendu. Un PDG (tombé du ciel, isolé et corrompu !). Il fallait bien sûr le punir et surtout , discrètement au passage dissoudre la boite pour mettre fin aux indiscrétions ; ce qui n’était pas facile à expliquer pour convaincre des américains légalistes. Je ne sais pas comment le pouvoir s’est tiré de ce mauvais pas….
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant de savoir si le PDG ou un autre cadre est indélicat. C’est l’affaire des juges le jour où il y en aura. Mon souci en tant que citoyen, c’est de découvrir ici l’état de délabrement de notre souveraineté externe : Cheney est chez nous, au cœur de nos affaires…La question qui vaille est celle qui consiste à savoir pourquoi l’organisation de l’Etat permet de tels choix dans le secret….
5/ Nous assistons, depuis que le pays a engrangé ces ressources induites par l’augmentation du prix des hydrocarbures, à une « massification » de la grande corruption. Les barons du régime, leurs clientèles et leurs parentèles, ne prennent même plus la précaution de s’en cacher, un tant soit peu. Comme si un deal avait été conclu entre les différents décideurs », pour le partage du butin. Qu’en pensez vous ?
Je vous renvois à ce que je disais plus haut. La politique sous tous ses aspects, éthique, idéologique, social, économique, s’est absentée depuis près de vingt ans au sommet de l’Etat et dans toute l’organisation institutionnelle que le pouvoir réel contrôle. Le régime ne gère plus que les affaires personnelles matérielles et les privilèges que procure le pouvoir. C’est normal que ce soit la seule activité que nous voyons. Ce deal comme vous dites est enfin affiché parce que le pouvoir considère qu’il n’y a pas aujourd’hui de résistance à ce qu’il ose.
6/ Les Algériens ne savent presque rien des influences des puissances étrangères, et des grosses compagnies pétrolières, dans les équilibres politiques du régime algérien. Pourriez-vous nous éclairer, un tant soit peu ?
Il est difficile de répondre à cette question. La poser est, je pense sans vouloir vous offenser, que vous considérer que l’Etat exprime une politique étrangère et qu’elle est entendue. Vous me semblez optimiste et décalé par rapport à la réalité.
Je pense plutôt que le pouvoir actuel ne s’embarrasse d’aucune position politique externe. Je pense aussi que tous ceux qui participent à la réalité du pouvoir et à ses manifestations spectaculaires sont d’accord qu’il ne faut pas exister extérieurement. L’équilibre est ainsi garanti.
Les Etats étrangers n’arrivent pas à se persuader que nous en sommes arrivés là. Le pouvoir fait tout de même attention avec les Américains. Les autres continuent souvent à donner du sens à notre absence de politique et font alors des erreurs….Voyez dans quels pièges se mettent quelquefois les français !… Ceux qui sont pragmatiques, voire cyniques, se débrouillent bien. Ils font avancer leurs affaires car nous dépensons sans compter. Ce qui leur tient lieu de politique extérieure c’est de comprendre qui payer et combien.
Permettez-moi d’abord de me réjouir de l’opportunité que vous me donnez de dialoguer avec LQA. J’ai manqué plusieurs occasions, pour des raisons pratiques, mais ma proximité avec vos initiatives et vos efforts a toujours été engagée sans aucun doute.
Sur le sujet, je dois souligner que mon éloignement et aussi la lassitude face à l’immobilisme du régime et la répétition obsessionnelle de ses maladies font que je suis avec distance les événements, et notamment les scandales. Il y a des choses que je connais donc mal ; j’ai été emmené à me documenter pour pouvoir discuter utilement avec vous ; aussi je vous demanderais d’excuser par avance mon manque d’information factuelle.
1/ Quelle est votre lecture des scandales qui éclatent ces derniers jours, et qui éclaboussent particulièrement des personnalités proches des hommes liges du « clan présidentiel » ?
Nous sommes très probablement à un moment de conflits pour le leadership. Dans tous les conflits de ce type que nous avons connu, il y a eu plusieurs facteurs qui entrent en jeu : les passions pour le contrôle du pouvoir, la cupidité, la peur d’avoir à rendre des comptes, l’idéologie, même, comme en 1962, 1965 et 1989, voire 1996 lors de l’éviction du Général Zeroual.
Il me semble qu’aujourd’hui, il s’agirait plutôt d’une empoignade pour arbitrer les héritages.
Cependant, historiquement, c’est la première fois que la démographie constitue l’élément déterminant d’arbitrage. Ce qui reste, et qui n’est pas glorieux, de la génération de l’indépendance, atteint l’âge limite naturel. Les héritiers se manifestent pour ne pas être surpris par un mauvais coup, mais la politique comme l’idéologie sont cette fois absentes. Les uns et les autres tentent de nettoyer les écuries d’Augias, mais sans vision aucune et sans volonté véritable d’hygiène. Ce n’est pas tous les jours que les peuples fabriquent Héraclès…. Nous assistons plutôt à des règlements de compte de très mauvaise qualité, entre héritiers de faible envergure, dont les seules motivations déterminants sont la trouille d’avoir à rendre des comptes et de ne plus être placés aux guichets d’accès à la rapine.
Face à une telle misère humaine, je me réfugie dans la dérision, mais, comme tout le monde, je pleure sur ce que nous sommes devenus ; cette situation peut durer, nous entraîner très loin dans l’arriération et faire payer très cher le prix de cette corruption du régime à nos enfants.
2/ Une certaine presse, et certaines voix « autorisées », tentent, presque à contre courant, de faire accroire que les enquêtes diligentées par les enquêteurs du DRS, ont été initiées par le Président Bouteflika. Faut-il les croire ?
Il est certain que les manœuvres concernent les héritiers qui s’accrochent plutôt au chef de l’Etat à ceux qui s’accrochent à d’autres personnages. On dit que le conflit opposerait de fait le chef du DRS au chef de l’Etat, mais on n’en a pas de preuves. Il m’est difficile d’expérience de dire qui est qui et qui fait quoi. La capacité managériale de tout ce beau monde me fait plutôt penser à une mêlée générale et permanente où les positionnements changent avec la conjoncture. Les manœuvres, les disputes et les alliances sont mouvantes ; c’est plutôt chacun pour soi, l’un et l’autre, l’un contre l’autre, en attendant les ralliements décisifs de dernière minute. La visibilité pour nous est mauvaise car il n’y a pas d’enjeu politique. Ce qui est certain, c’est que l’aboutissement, s’il y en a, n’annonce rien de bon pour les gens.
Ce qui importe plutôt politiquement, aujourd’hui comme hier, c’est de comprendre que c’est le régime politique et son organisation qui produisent les maladies qui l’ atteignent et retardent notre émancipation, dont la corruption. Si on avait les moyens de mettre en prison tous les voleurs et les accapareurs, sans changer de régime, _ ce qui est illusoire, _ il y aura immédiatement la génération d’une nouvelle vague de voleurs et d’accapareurs.
3/ Pourquoi des enquêtes, et des mises en examen, sur ces cas précis, et par sur d’autres bien plus lourds, et qui pourraient inquiéter les plus hauts sommets de l’État ? Est-ce un coup de semonce ? Est-ce parce que les « décideurs » qui ont entrepris ces actions n’ont pas les moyens techniques, et politiques, d’aller plus haut, et plus loin ? Une autre explication ?
La chasse au petit gibier s’explique en général de deux manières :
- il peut s’agir d’un moment où on met de l’ordre en punissant une petite partie de celles et ceux qui s’infiltrent dans les réseaux de prédation sans en faire partie, je dirais…organiquement. Il s’agit là d’une simple opération d »assainissement » interne, ponctuelle et sans conséquence politique.
- Il peut s’agir aussi, comme vous le suggérez, de manœuvres visant à déstabiliser un chef de clan ou un autre, en liquidant du personnel subalterne dans son réseau. L’objectif dans ce cas est de l’emmener à composer avec les autres pour que l’équilibre existant soit maintenu. C’est en général le sport favori auquel nous avons été habitués ; on fait pression sur l’un ou l’autre, on discute, on restructure et on continue,….d’où la lassitude dont j’ai parlé au début.
4/ Que savez-vous de l’Affaire BRC ? Pourquoi a-t-elle été étouffée dans l’œuf ? Est-ce parce qu’elle menacait de révéler des connivences avec des puissances étrangères bien plus compromettantes que tout ce qu’on a pu savoir ? Comme celle, entre autres, d’une base américaine au Sahara, à l’insu du peuple algérien, en pleine décennie rouge ?
Comme je vous l’ai dit plus haut, je n’ai pas suivi « l’affaire » dans le détail ; je ne sais même pas ce qu’elle est devenue. Ce que je retiens néanmoins, c’est que BRC était (ou est encore ?) une société mixte algéro-américaine directement supervisée pour la partie américaine par Dick Cheney et pour la partie algérienne par Sonatrach. Il ya plus de quinze ans, elle obtenait, sans se mesurer à la concurrence, des marchés dans le domaine des hydrocarbures et dans le domaine des infrastructures militaires.
So intérêt pour moi est qu’il s’agit là pour le moins d’une manifestation, éclatante s’il en est, de la connivence de notre politique nationale avec l’Amérique sinistre de Bush, Cheney et Rumsfeld et indirectement avec leur Etat dans notre région, Israël.
Les choses allaient bon train lorsque récemment il fut question d’un marché de matériel de communication militaire stratégique porté par BRC. Les russes, qui vendent de l’armement à notre pays s’en émurent….Apparut alors le scandale de corruption qu’on nous a vendu. Un PDG (tombé du ciel, isolé et corrompu !). Il fallait bien sûr le punir et surtout , discrètement au passage dissoudre la boite pour mettre fin aux indiscrétions ; ce qui n’était pas facile à expliquer pour convaincre des américains légalistes. Je ne sais pas comment le pouvoir s’est tiré de ce mauvais pas….
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant de savoir si le PDG ou un autre cadre est indélicat. C’est l’affaire des juges le jour où il y en aura. Mon souci en tant que citoyen, c’est de découvrir ici l’état de délabrement de notre souveraineté externe : Cheney est chez nous, au cœur de nos affaires…La question qui vaille est celle qui consiste à savoir pourquoi l’organisation de l’Etat permet de tels choix dans le secret….
5/ Nous assistons, depuis que le pays a engrangé ces ressources induites par l’augmentation du prix des hydrocarbures, à une « massification » de la grande corruption. Les barons du régime, leurs clientèles et leurs parentèles, ne prennent même plus la précaution de s’en cacher, un tant soit peu. Comme si un deal avait été conclu entre les différents décideurs », pour le partage du butin. Qu’en pensez vous ?
Je vous renvois à ce que je disais plus haut. La politique sous tous ses aspects, éthique, idéologique, social, économique, s’est absentée depuis près de vingt ans au sommet de l’Etat et dans toute l’organisation institutionnelle que le pouvoir réel contrôle. Le régime ne gère plus que les affaires personnelles matérielles et les privilèges que procure le pouvoir. C’est normal que ce soit la seule activité que nous voyons. Ce deal comme vous dites est enfin affiché parce que le pouvoir considère qu’il n’y a pas aujourd’hui de résistance à ce qu’il ose.
6/ Les Algériens ne savent presque rien des influences des puissances étrangères, et des grosses compagnies pétrolières, dans les équilibres politiques du régime algérien. Pourriez-vous nous éclairer, un tant soit peu ?
Il est difficile de répondre à cette question. La poser est, je pense sans vouloir vous offenser, que vous considérer que l’Etat exprime une politique étrangère et qu’elle est entendue. Vous me semblez optimiste et décalé par rapport à la réalité.
Je pense plutôt que le pouvoir actuel ne s’embarrasse d’aucune position politique externe. Je pense aussi que tous ceux qui participent à la réalité du pouvoir et à ses manifestations spectaculaires sont d’accord qu’il ne faut pas exister extérieurement. L’équilibre est ainsi garanti.
Les Etats étrangers n’arrivent pas à se persuader que nous en sommes arrivés là. Le pouvoir fait tout de même attention avec les Américains. Les autres continuent souvent à donner du sens à notre absence de politique et font alors des erreurs….Voyez dans quels pièges se mettent quelquefois les français !… Ceux qui sont pragmatiques, voire cyniques, se débrouillent bien. Ils font avancer leurs affaires car nous dépensons sans compter. Ce qui leur tient lieu de politique extérieure c’est de comprendre qui payer et combien.
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