Comment faire revenir nos cerveaux
04 Avril 2010 - Page : 9
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L’Algérie devra devenir d’ici 2020 une terre d’attraction pour tous les investissements, aussi bien matériels qu’immatériels.
S’est tenue les 24 et 25 mars 2010 à Dakar, au sein de la prestigieuse université Cheikh Anta-Diop, une conférence sur «la migration hautement qualifiée de, vers et à travers les pays du sud de la Méditerranée (Algérie Maroc, Tunisie et Libye) et de l’Afrique subsaharienne (Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger, Tchad)», qui s’est penchée sur le phénomène de la migration hautement qualifiée (ci-après MHQ), qui s’accélère depuis une vingtaine d’années à la faveur de la mondialisation culturelle et de la détérioration de la situation interne des pays de départ des élites intellectuelles. Tous les aspects de la MHQ ont été traités et analysés: aspects juridiques, institutionnels, sociologiques, économiques et même géostratégiques. Il s’est agi d’abord de dresser un état des lieux en évaluant l’ampleur de la MHQ, tout en s’efforçant d’en comprendre des raisons objectives (celles qui sont inhérentes à l’environnement du pays de départ) et les raisons subjectives (qui ressortissent au projet de vie de chaque individu). Il est apparu, à cet égard, que l’exacerbation du phénomène de la MHQ était imputable, pour l’essentiel, aux défaillances propres aux Etats de départ. Il s’est agi également de porter un regard appuyé sur les politiques publiques mises en oeuvre par ces Etats, en premier lieu en direction de l’élite locale pour la dissuader de s’expatrier, en deuxième lieu à l’égard de la diaspora intellectuelle qui est établie à l’étranger et dont la contribution au développement technologique et scientifique est désormais fortement sollicitée par les institutions publiques et privées du pays d’origine.
Un état des lieux défavorable à l’Algérie
L’Algérie fait face au phénomène de la MHQ depuis le milieu des années 1980. Au rythme de 6000 départs/an de personnes ayant un niveau de qualification équivalent à Bac+4, ce sont quelque 130.000 diplômés de l’Université qui ont quitté l’Algérie depuis 25 ans. Un certain nombre d’entre eux exercent une activité de type intellectuel (équivalente ou inférieure à celle à laquelle ils auraient pu aspirer en Algérie) tandis que d’autres, tout en occupant des emplois précaires à temps partiel, ont poursuivi leur cursus scolaire en préparant des masters et des doctorats, ce qui leur a permis d’accéder à des emplois hautement qualifiés de type ingénieurs, médecins spécialistes, professions libérales, etc.). Au cours de la même période, nombre d’Algériens qui n’ont pas été en mesure, pour des raisons multiples, de créer leur propre entreprise ou développer celle qu’il possédaient déjà, ont décidé d’investir à l’étranger, dans les pays fortement attractifs (Amérique du Nord, Europe, Malaisie, Singapour, Taïwan, etc.) et sont aujourd’hui à la tête d’importantes entreprises, cependant que le nombre de patrons de PME/PMI algériennes en Europe du Sud (Espagne, Portugal, France, Italie) ne cesse d’augmenter. La prise de conscience par les pouvoirs publics algériens de la nécessité de faire appel aux compétences expatriées est relativement ancienne, si l’on doit en juger par les mécanismes mis en place avec les représentants des diasporas algériennes. On peut faire remonter l’intérêt de l’Etat algérien pour les experts nationaux installés à l’étranger au début des années 1990, mais jusqu’à récemment, celui-ci avait essentiellement revêtu la forme de déclarations d’intention qui étaient demeurées sans effet, malgré l’institution de quelques embryons d’organes ministériels ou interministériels chargés de prendre attache avec la communauté algérienne à l’étranger et de scruter ses desiderata quant à l’éventualité du retour au pays de certains, au moins, de ses membres. Le mutisme longtemps observé par les pouvoirs publics à l’égard du désir exprimé par des éléments de la diaspora soucieux de faire profiter leur pays de leur savoir-faire, en envisageant parfois un retour définitif au pays d’origine, n’était pas dépourvu de causes objectives. En effet, depuis plus de deux décennies maintenant, les pouvoirs publics ne cherchent plus à entretenir l’opinion publique dans l’illusion que tout diplômé de l’enseignement supérieur sera assuré, à l’issue de son cursus, de trouver un emploi, d’acquérir un logement, un véhicule et, in fine, d’obtenir une rémunération en relation avec son niveau de compétence, son expérience, les diplômes qu’il aura pu acquérir, tout au long de sa carrière professionnelle. Cette époque est révolue, tant il est vrai que la dévalorisation du statut symbolique et matériel du cadre, du chercheur et de l’universitaire remonte au milieu des années 1980 (1984, précisément) et ne s’est pas notablement relevée près de 30 ans plus tard. Ceci étant, la permanence de l’exode des compétences et son amplification depuis l’année 2000 est devenue non pas seulement une réalité inquiétante, qu’aucun observateur ne peut sous-estimer; elle tend désormais à devenir le plus formidable défi auquel les pouvoirs publics algériens devront faire face dans les dix années qui viennent. Toute considération sur la condition morale et matérielle de l’élite intellectuelle étant ici réservée, la question se pose d’ores et déjà de savoir de quelle façon le gouvernement compte s’y prendre pour réaliser les ambitieux plans de développement qu’il projette à court terme dans les Ntic, les énergies de substitution, les Zones d’implantation et de développement industriels (les Zidi), dès lors qu’il n’existe pas de possibilité, à court terme, d’améliorer substantiellement la qualité de l’enseignement dispensé en Algérie (du primaire au supérieur) et si une véritable stratégie de reconquête de la diaspora intellectuelle algérienne en définissant avec elle les voies et moyens de sa contribution au développement scientifique et technique du pays, n’est pas élaborée. Les réserves pétrolières s’érodent à un rythme plus rapide que prévu (l’Algérie cessera d’être un pays exportateur de pétrole à partir de 2025), cependant que la population atteindra à cette date 50 millions d’habitants (dont 40% seront âgés de 18 à 25 ans). Jamais depuis l’indépendance de l’Algérie, le déphasage n’a été aussi profond entre les besoins de développement du pays et la faible disponibilité en ressources humaines de qualité pour y pourvoir. Il serait évidemment excessif d’affirmer ou de laisser entendre que les pouvoirs publics n’ont pas cherché à endiguer le phénomène de la MHQ, puisqu’aussi bien ont été adoptées de nombreuses mesures de caractère volontariste et mises en place des institutions spécialement dédiées au retour des compétences expatriées. La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si la contribution de la MHQ doit être recherchée, organisée et suivie par les seules institutions publiques, s’il faut laisser les compétences algériennes à l’étranger s’adresser au marché de l’emploi algérien, lequel serait régulé, comme tout marché, par la loi de l’offre et de la demande; à moins qu’il ne faille associer étroitement les institutions compétentes de l’Etat avec le mouvement associatif issu de la migration, de sorte qu’un travail de mise en commun ciblé sur l’état des lieux et l’inventaire des besoins à satisfaire soit rigoureusement mené. Tout ce que l’on peut dire à ce stade est qu’il existe indéniablement un foisonnement d’initiatives de la part des différentes communautés algériennes établies à l’étranger, une tentative de mutualisation des ressources existantes à l’étranger et des déclarations d’intention de la part des hommes politiques sur la nécessaire contribution de notre élite expatriée à l’émergence de l’économie du savoir et de la connaissance pour laquelle des centaines de milliards de DA ont été affectées aussi bien dans le plan complémentaire de soutien à la croissance que dans le plan quinquennal qui entre en application, à partir de ce mois d’avril 2010.
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S’est tenue les 24 et 25 mars 2010 à Dakar, au sein de la prestigieuse université Cheikh Anta-Diop, une conférence sur «la migration hautement qualifiée de, vers et à travers les pays du sud de la Méditerranée (Algérie Maroc, Tunisie et Libye) et de l’Afrique subsaharienne (Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger, Tchad)», qui s’est penchée sur le phénomène de la migration hautement qualifiée (ci-après MHQ), qui s’accélère depuis une vingtaine d’années à la faveur de la mondialisation culturelle et de la détérioration de la situation interne des pays de départ des élites intellectuelles. Tous les aspects de la MHQ ont été traités et analysés: aspects juridiques, institutionnels, sociologiques, économiques et même géostratégiques. Il s’est agi d’abord de dresser un état des lieux en évaluant l’ampleur de la MHQ, tout en s’efforçant d’en comprendre des raisons objectives (celles qui sont inhérentes à l’environnement du pays de départ) et les raisons subjectives (qui ressortissent au projet de vie de chaque individu). Il est apparu, à cet égard, que l’exacerbation du phénomène de la MHQ était imputable, pour l’essentiel, aux défaillances propres aux Etats de départ. Il s’est agi également de porter un regard appuyé sur les politiques publiques mises en oeuvre par ces Etats, en premier lieu en direction de l’élite locale pour la dissuader de s’expatrier, en deuxième lieu à l’égard de la diaspora intellectuelle qui est établie à l’étranger et dont la contribution au développement technologique et scientifique est désormais fortement sollicitée par les institutions publiques et privées du pays d’origine.
Un état des lieux défavorable à l’Algérie
L’Algérie fait face au phénomène de la MHQ depuis le milieu des années 1980. Au rythme de 6000 départs/an de personnes ayant un niveau de qualification équivalent à Bac+4, ce sont quelque 130.000 diplômés de l’Université qui ont quitté l’Algérie depuis 25 ans. Un certain nombre d’entre eux exercent une activité de type intellectuel (équivalente ou inférieure à celle à laquelle ils auraient pu aspirer en Algérie) tandis que d’autres, tout en occupant des emplois précaires à temps partiel, ont poursuivi leur cursus scolaire en préparant des masters et des doctorats, ce qui leur a permis d’accéder à des emplois hautement qualifiés de type ingénieurs, médecins spécialistes, professions libérales, etc.). Au cours de la même période, nombre d’Algériens qui n’ont pas été en mesure, pour des raisons multiples, de créer leur propre entreprise ou développer celle qu’il possédaient déjà, ont décidé d’investir à l’étranger, dans les pays fortement attractifs (Amérique du Nord, Europe, Malaisie, Singapour, Taïwan, etc.) et sont aujourd’hui à la tête d’importantes entreprises, cependant que le nombre de patrons de PME/PMI algériennes en Europe du Sud (Espagne, Portugal, France, Italie) ne cesse d’augmenter. La prise de conscience par les pouvoirs publics algériens de la nécessité de faire appel aux compétences expatriées est relativement ancienne, si l’on doit en juger par les mécanismes mis en place avec les représentants des diasporas algériennes. On peut faire remonter l’intérêt de l’Etat algérien pour les experts nationaux installés à l’étranger au début des années 1990, mais jusqu’à récemment, celui-ci avait essentiellement revêtu la forme de déclarations d’intention qui étaient demeurées sans effet, malgré l’institution de quelques embryons d’organes ministériels ou interministériels chargés de prendre attache avec la communauté algérienne à l’étranger et de scruter ses desiderata quant à l’éventualité du retour au pays de certains, au moins, de ses membres. Le mutisme longtemps observé par les pouvoirs publics à l’égard du désir exprimé par des éléments de la diaspora soucieux de faire profiter leur pays de leur savoir-faire, en envisageant parfois un retour définitif au pays d’origine, n’était pas dépourvu de causes objectives. En effet, depuis plus de deux décennies maintenant, les pouvoirs publics ne cherchent plus à entretenir l’opinion publique dans l’illusion que tout diplômé de l’enseignement supérieur sera assuré, à l’issue de son cursus, de trouver un emploi, d’acquérir un logement, un véhicule et, in fine, d’obtenir une rémunération en relation avec son niveau de compétence, son expérience, les diplômes qu’il aura pu acquérir, tout au long de sa carrière professionnelle. Cette époque est révolue, tant il est vrai que la dévalorisation du statut symbolique et matériel du cadre, du chercheur et de l’universitaire remonte au milieu des années 1980 (1984, précisément) et ne s’est pas notablement relevée près de 30 ans plus tard. Ceci étant, la permanence de l’exode des compétences et son amplification depuis l’année 2000 est devenue non pas seulement une réalité inquiétante, qu’aucun observateur ne peut sous-estimer; elle tend désormais à devenir le plus formidable défi auquel les pouvoirs publics algériens devront faire face dans les dix années qui viennent. Toute considération sur la condition morale et matérielle de l’élite intellectuelle étant ici réservée, la question se pose d’ores et déjà de savoir de quelle façon le gouvernement compte s’y prendre pour réaliser les ambitieux plans de développement qu’il projette à court terme dans les Ntic, les énergies de substitution, les Zones d’implantation et de développement industriels (les Zidi), dès lors qu’il n’existe pas de possibilité, à court terme, d’améliorer substantiellement la qualité de l’enseignement dispensé en Algérie (du primaire au supérieur) et si une véritable stratégie de reconquête de la diaspora intellectuelle algérienne en définissant avec elle les voies et moyens de sa contribution au développement scientifique et technique du pays, n’est pas élaborée. Les réserves pétrolières s’érodent à un rythme plus rapide que prévu (l’Algérie cessera d’être un pays exportateur de pétrole à partir de 2025), cependant que la population atteindra à cette date 50 millions d’habitants (dont 40% seront âgés de 18 à 25 ans). Jamais depuis l’indépendance de l’Algérie, le déphasage n’a été aussi profond entre les besoins de développement du pays et la faible disponibilité en ressources humaines de qualité pour y pourvoir. Il serait évidemment excessif d’affirmer ou de laisser entendre que les pouvoirs publics n’ont pas cherché à endiguer le phénomène de la MHQ, puisqu’aussi bien ont été adoptées de nombreuses mesures de caractère volontariste et mises en place des institutions spécialement dédiées au retour des compétences expatriées. La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si la contribution de la MHQ doit être recherchée, organisée et suivie par les seules institutions publiques, s’il faut laisser les compétences algériennes à l’étranger s’adresser au marché de l’emploi algérien, lequel serait régulé, comme tout marché, par la loi de l’offre et de la demande; à moins qu’il ne faille associer étroitement les institutions compétentes de l’Etat avec le mouvement associatif issu de la migration, de sorte qu’un travail de mise en commun ciblé sur l’état des lieux et l’inventaire des besoins à satisfaire soit rigoureusement mené. Tout ce que l’on peut dire à ce stade est qu’il existe indéniablement un foisonnement d’initiatives de la part des différentes communautés algériennes établies à l’étranger, une tentative de mutualisation des ressources existantes à l’étranger et des déclarations d’intention de la part des hommes politiques sur la nécessaire contribution de notre élite expatriée à l’émergence de l’économie du savoir et de la connaissance pour laquelle des centaines de milliards de DA ont été affectées aussi bien dans le plan complémentaire de soutien à la croissance que dans le plan quinquennal qui entre en application, à partir de ce mois d’avril 2010.
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