Jusqu’ici, la commémoration du trentième anniversaire du Printemps berbère s’était déroulée dans le calme en Algérie. Des marches, rassemblant plusieurs milliers de personnes, ont été organisées le 20 avril en Kabylie, sous haute surveillance policière mais sans incident. Mais samedi 24, un rassemblement organisé dans la commune à forte présence berbérophone d’Aïn Benian, dans la banlieue ouest d’Alger, a tourné à l’affrontement entre la police et les manifestants. Une trentaine de personnes, réclamant à l’occasion de cet anniversaire plus de libertés démocratiques, dont des journalistes, ont été arrêtées. En fait, aucune marche de commémoration du Printemps berbère n’avait été autorisée hors de Kabylie. «Un officier d’Aïn Benian demandait à certains manifestants pourquoi ils étaient venus de Kabylie pour marcher à Alger», raconte Yacine Teguia, membre du Mouvement démocratique et social (MDS), participant à la manifestation. Ce qui i nquiète les autorités c’est l’utilisation de cet anniversaire pour manifester contre les atteintes aux libertés démocratiques en Algérie, une thématique qui pourrait mobiliser au-delà de la population berbérophone. «La question berbère est intimement une question démocratique. Les luttes identitaires sont des luttes pour la démocratie», explique un cadre du parti d’opposition du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) en Kabylie. Les événements du Printemps berbère restent dans les mémoires comme la première manifestation d’opposition au pouvoir depuis l’indépendance. Le 10 mars 1980, une conférence sur la poésie kabyle de l’écrivain Mouloud Mammeri à l’université de Tizi-Ouzou est interdite. Des étudiants et des enseignants manifestent en signe de protestation. Le mouvement se propage à l’université d’Alger. La répression est violente, plusieurs centaines de personnes sont arrêtées. Le 20 avril 1980, les forces de l’ordre prennent d’assaut l’université de Tizi-Ouzou, faisant plusieurs centaines de blessés. Le mouvement prend fin le 26 mai lorsque les étudiants votent la reprise des cours. Les derniers militants encore incarcérés, notamment Saïd Saadi, aujourd’hui président du RCD, seront libérés fin juin. Il faudra attendre près de quinze ans pour voir certaines de leurs revendications progressivement satisfaites. En 1995, la langue berbère a été reconnue langue nationale et enseignée à l’université, et un haut-commissariat à l’Amazighité a été créé. Une chaîne de télé publique en langue amazigh apparaît en 2009. Aujourd’hui, si la lutte pour la reconnaissance de la culture berbère continue, c’est surtout le sursaut démocratique qui est célébré. Et qui continue d’inquiéter le pouvoir.
Ryma Achoura
(Libération)
Ryma Achoura
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