Depuis plusieurs semaines, la mort des colonels martyrs Amirouche et El Haouès survenue, le 28 mars 1959, à Djebel Thameur, occupe une large place dans les colonnes de la presse nationale.
Je me sens en devoir, vis-à-vis de ma conscience et à l’égard de mes compagnons d’armes, ceux qui sont morts et ceux qui sont encore en vie, de livrer la présente contribution qui n’est destinée ni à amplifier ou à exacerber cette polémique ni à alimenter un quelconque ressentiment. Elle se veut simplement le témoignage sur une brève séquence de l’Histoire de notre lutte armée, livré par quelqu’un qui a vécu de très près cet événement tragique. Au préalable, je souhaite préciser que le commando de l’ALN qui opérait dans la région de Djebel Thameur, évoqué par Mourad Benachenhou dans une contribution publiée le 3 mai 2010 dans le Soir d’Algérie, est venu de la Wilaya IV et non de la Wilaya III. Appelé commando Djamal, c’est une katiba (compagnie) d’élite au parcours prestigieux et célèbre. J’ajoute que je n’en ai pris le commandement qu’au mois de juin 1959. Au moment des faits, en mars 1959, le commando était dirigé par Si Larbi (Abdou Larbi). Si Larbi se trouvait à Djebel Thameur, avec les deux colonels, au retour d’une mission au PC de la Wilaya VI. Lors de l’accrochage qui a coûté la vie aux deux glorieux martyrs, Si Larbi fut blessé et emprisonné. Il est toujours en vie et habite Cherchell.
Le 28 mars 1959, notre commando était basé à Sfissifa, une montagne située en face de Djebel Thameur, à une étape de marche. A cet endroit, nous pouvions voir la noria d’avions qui bombardaient Djebel Thameur, mais nous ignorions que l’objectif de cet intense pilonnage était le détachement de nos deux colonels. Quatre ou cinq jours avant, nous étions deux katibas, le commando Djamal et une katiba de la zone 3 Wilaya VI à Djebel Thameur. Nous n’y avions laissé personne. Mais quelle était donc la mission du commando Djamal en Wilaya VI, loin de la Wilaya IV et de l’Ouarsenis, son point d’attache ? Un bref rappel historique s’impose. Il faut revenir au mois de décembre 1958 et à la réunion historique des colonels de wilaya qui s’est tenue, entre le 6 et le 12 de ce mois, à Ouled Askeur (Wilaya II, près de Taher ). C’est la première fois depuis le Congrès de la Soummam, que les chefs de wilaya se rencontraient. En cette période cruciale où la lutte armée connaissait une situation difficile, les chefs de wilaya ont senti la nécessité de faire le point, de définir une approche commune et de prendre des décisions en parfaire symbiose quant aux moyens à mettre en œuvre pour pérenniser la lutte et atteindre les objectifs du 1er Novembre 1954.
Quatre colonels sont présents : Hadj Lakhdar, pour la Wilaya I, Amirouche de la Wilaya III, Bougara pour la wilaya IV et El Haouès de la Wilaya VI. Le colonel, chef de la Wilaya V, n’a pu venir. Le colonel Ali Kafi, chef de la Wilaya II, a décliné l’invitation, mais sa Wilaya est représentée par l’officier Lamine Khane. J’ai eu l’occasion d’évoquer avec mon ami et mon frère, le colonel Salah Boubnider, les raisons de cette absence. Avec Si Salah, que Dieu ait son âme, qui a dirigé la Wilaya II, de mars 1959 à l’Indépendance, nous parlions souvent de notre combat dans nos Wilayas respectives, de nos expériences, des réactions, par exemple, que nous avions adoptées pour riposter à telle manœuvre de l’ennemi. Nous avons découvert de nombreuses similitudes.
Cette réunion se tient dans un contexte pénible qu’il est utile de rappeler. Les Wilayas et les maquis subissaient de très fortes pressions de l’armée française, particulièrement en ce second semestre 1958. Le démantèlement des organisations urbaines du FLN à Alger et dans pratiquement toutes les grandes villes du pays a permis aux forces adverses de procéder à un allégement de leurs effectifs engagés dans les centres urbains et de redéployer l’essentiel de leur dispositif sur les maquis. L’ALN manquait d’armes, de munitions. Certes, elle disposait d’un réservoir humain inépuisable, constitué de jeunes de toutes conditions sociales, qui aspiraient à rejoindre l’ALN et voulaient participer à la lutte. Mais le manque d’armes constituait un gros handicap qui empêchait leur recrutement. Il faut se remémorer que l’essentiel de l’armement qui parvenait à l’intérieur, à partir de la frontière Ouest, au début, et de celle de l’Est par la suite, était convoyé par nos « dawriate » ou compagnies composées de jeunes recrues.
Ces valeureux éléments, de jeunes citadins, de jeunes paysans, partaient à pied, jusqu’à Figuig au Maroc ou en Tunisie, les mains nues, encadrés seulement par un ou deux anciens maquisards armés. Ils faisaient le chemin de retour portant, en général, deux armes chacun. Si, jusqu’à fin 1957, ces « dawriate » ne subissaient pas de grosses pertes, il en fut autrement en 1958. Interceptées à l’aller ou lors de leur retour, beaucoup parmi elles ont été décimées ; quelques rescapés seulement avaient la chance d’arriver à leur Wilaya d’origine. Ce sont des milliers de jeunes qui ont laissé leur vie sur cette route de la mort. Il s’agissait surtout de jeunes qui partaient des Wilayas III et IV, éloignées de frontières Est et Ouest. Faisant le constat de cette hécatombe, le colonel Bougara ordonna l’arrêt de l’envoi des « dawriate » en ce qui concerne la Wilaya IV, dès l’automne 1958. A partir cette date, l’unique source pour s’armer était la récupération d’armes prises aux troupes françaises au cours de nos actions.
En milieu rural, la situation qui prévalait était caractérisée par la répression inhumaine, féroce qui s’abattait sur les populations rurales. Nombreuses sont celles qui étaient déplacées et parquées dans des centres dits de regroupement. Elles faisaient généralement office de boucliers humains pour les camps militaires. Le quotidien des populations regroupées était fait de misère et de brimades. A juste titre, les responsables des wilayas éprouvaient de l’amertume et du ressentiment envers la direction nationale du FLN, le CCE, et plus tard le GPRA. Ils lui reprochaient de n’avoir pas fait l’effort suffisant et à temps pour faire parvenir aux Wilayas les armes et les munitions avant que les frontières ne soient électrifiées et fortifiées et ne deviennent quasi étanches.
Il faut se souvenir que la direction nationale, le CCE, a quitté définitivement l’Algérie après l’assassinat de Larbi Ben M’hidi par les paras, à Alger, en février 1957. Les membres du CCE, en vie à ce moment, se scindèrent en deux groupes : Krim Belkacem et Youcef Benkhedda partirent pour la Tunisie par les maquis. Abane Ramdane et Saâd Dahlab transitèrent par la Wilaya IV et la Wilaya V, et rejoignirent le Maroc. Les contacts Wilayas-direction nationale du FLN devinrent difficiles, puis moins fréquents de sorte qu’un sentiment d’abandon s’installe chez les chefs des wilayas. Ce sentiment allait s’accentuer sous le poids des lourdes responsabilités assumées seules par les Wilayas. Il a fini par se transformer en défiance à la fin de la guerre.
Voilà le contexte dans lequel s’est tenue la réunion des colonels en décembre 1958. Tels sont les motifs qui ont poussé les colonels à se concerter. Les décisions qu’ils ont prises lors de leur conclave ne sont pas connues dans leur totalité. Ont-ils convenu d’instaurer une coordination, une sorte de Commandement unique, assumé à tour de rôle par chacun des colonels ? Ont-ils décidé de dépêcher le colonel Amirouche à Tunis pour porter à la connaissance de la direction nationale la réalité de la situation qui prévalait à l’intérieur du pays ? Nous ne le savons pas. Mais ces sujets furent bel et bien évoqués, semble-t-il. Par contre, il est établi que les colonels ont réellement décidé et mis en exécution une aide à apporter aux Wilayas I et VI qui en ont exprimé la demande, aide à laquelle ont répondu favorablement les autres Wilayas par esprit de solidarité militante et de fraternité combattante.
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Je me sens en devoir, vis-à-vis de ma conscience et à l’égard de mes compagnons d’armes, ceux qui sont morts et ceux qui sont encore en vie, de livrer la présente contribution qui n’est destinée ni à amplifier ou à exacerber cette polémique ni à alimenter un quelconque ressentiment. Elle se veut simplement le témoignage sur une brève séquence de l’Histoire de notre lutte armée, livré par quelqu’un qui a vécu de très près cet événement tragique. Au préalable, je souhaite préciser que le commando de l’ALN qui opérait dans la région de Djebel Thameur, évoqué par Mourad Benachenhou dans une contribution publiée le 3 mai 2010 dans le Soir d’Algérie, est venu de la Wilaya IV et non de la Wilaya III. Appelé commando Djamal, c’est une katiba (compagnie) d’élite au parcours prestigieux et célèbre. J’ajoute que je n’en ai pris le commandement qu’au mois de juin 1959. Au moment des faits, en mars 1959, le commando était dirigé par Si Larbi (Abdou Larbi). Si Larbi se trouvait à Djebel Thameur, avec les deux colonels, au retour d’une mission au PC de la Wilaya VI. Lors de l’accrochage qui a coûté la vie aux deux glorieux martyrs, Si Larbi fut blessé et emprisonné. Il est toujours en vie et habite Cherchell.
Le 28 mars 1959, notre commando était basé à Sfissifa, une montagne située en face de Djebel Thameur, à une étape de marche. A cet endroit, nous pouvions voir la noria d’avions qui bombardaient Djebel Thameur, mais nous ignorions que l’objectif de cet intense pilonnage était le détachement de nos deux colonels. Quatre ou cinq jours avant, nous étions deux katibas, le commando Djamal et une katiba de la zone 3 Wilaya VI à Djebel Thameur. Nous n’y avions laissé personne. Mais quelle était donc la mission du commando Djamal en Wilaya VI, loin de la Wilaya IV et de l’Ouarsenis, son point d’attache ? Un bref rappel historique s’impose. Il faut revenir au mois de décembre 1958 et à la réunion historique des colonels de wilaya qui s’est tenue, entre le 6 et le 12 de ce mois, à Ouled Askeur (Wilaya II, près de Taher ). C’est la première fois depuis le Congrès de la Soummam, que les chefs de wilaya se rencontraient. En cette période cruciale où la lutte armée connaissait une situation difficile, les chefs de wilaya ont senti la nécessité de faire le point, de définir une approche commune et de prendre des décisions en parfaire symbiose quant aux moyens à mettre en œuvre pour pérenniser la lutte et atteindre les objectifs du 1er Novembre 1954.
Quatre colonels sont présents : Hadj Lakhdar, pour la Wilaya I, Amirouche de la Wilaya III, Bougara pour la wilaya IV et El Haouès de la Wilaya VI. Le colonel, chef de la Wilaya V, n’a pu venir. Le colonel Ali Kafi, chef de la Wilaya II, a décliné l’invitation, mais sa Wilaya est représentée par l’officier Lamine Khane. J’ai eu l’occasion d’évoquer avec mon ami et mon frère, le colonel Salah Boubnider, les raisons de cette absence. Avec Si Salah, que Dieu ait son âme, qui a dirigé la Wilaya II, de mars 1959 à l’Indépendance, nous parlions souvent de notre combat dans nos Wilayas respectives, de nos expériences, des réactions, par exemple, que nous avions adoptées pour riposter à telle manœuvre de l’ennemi. Nous avons découvert de nombreuses similitudes.
Cette réunion se tient dans un contexte pénible qu’il est utile de rappeler. Les Wilayas et les maquis subissaient de très fortes pressions de l’armée française, particulièrement en ce second semestre 1958. Le démantèlement des organisations urbaines du FLN à Alger et dans pratiquement toutes les grandes villes du pays a permis aux forces adverses de procéder à un allégement de leurs effectifs engagés dans les centres urbains et de redéployer l’essentiel de leur dispositif sur les maquis. L’ALN manquait d’armes, de munitions. Certes, elle disposait d’un réservoir humain inépuisable, constitué de jeunes de toutes conditions sociales, qui aspiraient à rejoindre l’ALN et voulaient participer à la lutte. Mais le manque d’armes constituait un gros handicap qui empêchait leur recrutement. Il faut se remémorer que l’essentiel de l’armement qui parvenait à l’intérieur, à partir de la frontière Ouest, au début, et de celle de l’Est par la suite, était convoyé par nos « dawriate » ou compagnies composées de jeunes recrues.
Ces valeureux éléments, de jeunes citadins, de jeunes paysans, partaient à pied, jusqu’à Figuig au Maroc ou en Tunisie, les mains nues, encadrés seulement par un ou deux anciens maquisards armés. Ils faisaient le chemin de retour portant, en général, deux armes chacun. Si, jusqu’à fin 1957, ces « dawriate » ne subissaient pas de grosses pertes, il en fut autrement en 1958. Interceptées à l’aller ou lors de leur retour, beaucoup parmi elles ont été décimées ; quelques rescapés seulement avaient la chance d’arriver à leur Wilaya d’origine. Ce sont des milliers de jeunes qui ont laissé leur vie sur cette route de la mort. Il s’agissait surtout de jeunes qui partaient des Wilayas III et IV, éloignées de frontières Est et Ouest. Faisant le constat de cette hécatombe, le colonel Bougara ordonna l’arrêt de l’envoi des « dawriate » en ce qui concerne la Wilaya IV, dès l’automne 1958. A partir cette date, l’unique source pour s’armer était la récupération d’armes prises aux troupes françaises au cours de nos actions.
En milieu rural, la situation qui prévalait était caractérisée par la répression inhumaine, féroce qui s’abattait sur les populations rurales. Nombreuses sont celles qui étaient déplacées et parquées dans des centres dits de regroupement. Elles faisaient généralement office de boucliers humains pour les camps militaires. Le quotidien des populations regroupées était fait de misère et de brimades. A juste titre, les responsables des wilayas éprouvaient de l’amertume et du ressentiment envers la direction nationale du FLN, le CCE, et plus tard le GPRA. Ils lui reprochaient de n’avoir pas fait l’effort suffisant et à temps pour faire parvenir aux Wilayas les armes et les munitions avant que les frontières ne soient électrifiées et fortifiées et ne deviennent quasi étanches.
Il faut se souvenir que la direction nationale, le CCE, a quitté définitivement l’Algérie après l’assassinat de Larbi Ben M’hidi par les paras, à Alger, en février 1957. Les membres du CCE, en vie à ce moment, se scindèrent en deux groupes : Krim Belkacem et Youcef Benkhedda partirent pour la Tunisie par les maquis. Abane Ramdane et Saâd Dahlab transitèrent par la Wilaya IV et la Wilaya V, et rejoignirent le Maroc. Les contacts Wilayas-direction nationale du FLN devinrent difficiles, puis moins fréquents de sorte qu’un sentiment d’abandon s’installe chez les chefs des wilayas. Ce sentiment allait s’accentuer sous le poids des lourdes responsabilités assumées seules par les Wilayas. Il a fini par se transformer en défiance à la fin de la guerre.
Voilà le contexte dans lequel s’est tenue la réunion des colonels en décembre 1958. Tels sont les motifs qui ont poussé les colonels à se concerter. Les décisions qu’ils ont prises lors de leur conclave ne sont pas connues dans leur totalité. Ont-ils convenu d’instaurer une coordination, une sorte de Commandement unique, assumé à tour de rôle par chacun des colonels ? Ont-ils décidé de dépêcher le colonel Amirouche à Tunis pour porter à la connaissance de la direction nationale la réalité de la situation qui prévalait à l’intérieur du pays ? Nous ne le savons pas. Mais ces sujets furent bel et bien évoqués, semble-t-il. Par contre, il est établi que les colonels ont réellement décidé et mis en exécution une aide à apporter aux Wilayas I et VI qui en ont exprimé la demande, aide à laquelle ont répondu favorablement les autres Wilayas par esprit de solidarité militante et de fraternité combattante.
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