Les néo-Banou Hilal mangent
par Kamel Daoud

Non pas qu'il s'agit de personnes idiotes ou crédules, mais d'une sorte de baromètre sur la véritable culture populaire des peuples musulmans d'aujourd'hui : archaïsmes incroyables, psychoses, incompréhensions, sourdes souffrances sans issues, clichés, préjugés monstrueux etc. De la Mauritanie à l'Irak, il s'agit presque de la même sous culture devenue une sorte de preuve de Moyen-âge religieux du présent, avec les mêmes signes : irrationalités, magies, peurs, angoisses, violences sur soi, puritanismes malheureux, déni du corps, misères sexuelles, le tout mêlé à quelques exégèses invraisemblables du Coran et à des références à l'immense galaxie des hadiths peu vérifiés, source et matrice des islamismes populaires.
Et c'est en écoutant ces «audiotel» de la fatwa et de la guérison miraculeuse que l'on mesure que les gros programmes panarabistes des scolarités de masse n'ont rien fait en quatre décennies d'indépendance. Ni eux, ni les ministres, ni les écrivains, ni les programmes de réformes, ni les élites progressistes, ni les politiques d'éducation. Aujourd'hui, les peuples que l'on a sous la main sont des populations de «fidèles» que n'importe quelle barbe peut mener à la guerre comme au fétichisme des artefacts ou à l'extase ou à la crise d'hystérie. Ces séances se révèlent encore plus terribles lorsqu'on constate que ce sont en majorité les femmes musulmanes, enfermées, sous cultivées et réduites à l'analphabétisme qui y recourent pour guérir leur souffrance. Avec la télé et le satellite, le lien est donc fait entre le foyer et le prêche, ce que même les partis islamistes les plus puissants n'ont pas réussi à l'époque de leurs gloires. Et en face, certains Etats, comme l'Algérie, peinent encore à former un imam, à installer un contre-discours ou des contre-médias, laissant les commandes des croyances à ce genre de Cheikhs payés ailleurs et pour des raisons qui dépassent de loin l'impact du moment.
Qu'en ressent-on ? De la peine et l'envie de pleurer sur l'avenir de ses propres enfants. Dans un étrange noeud du temps et des calendriers messianiques des premiers arabes guerriers, c'est véritablement une Jahiliya Bis qui nous est promise et que l'on voit se construire déjà sous nos yeux. Les peuples de la planète d'Allah s'abêtissent à vue d'œil au nom de Dieu, de son Livre et de quelques satellites.
Le Quotidien d'Oran
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