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Un profond malaise social et peu de slogans

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  • Un profond malaise social et peu de slogans

    Un profond malaise social et peu de slogans
    Les classes moyennes et la classe politique pour relayer les émeutes


    Alger, samedi matin. Lendemain d’un week-end particulièrement houleux à la suite des émeutes qui ont ébranlé tout le pays, la capitale en premier. Retour sur les traces de pneus brûlés et des magasins défoncés, à Bab El Oued, Oued Ouchayeh, Bachjarah, El Harrach et autre Bordj El Kiffan, pour ne citer que ces quartiers. Pour prendre le pouls de la rue, voir où en est ce fulgurant souffle juvénile.

    Un calme précaire semble régner, souverain, sur la ville. C’est vrai que c’est le prolongement du week-end. Mais Alger semble nettement moins animée que d’habitude. En témoignent les commerces qui ont baissé rideau sur certaines artères, par prudence. Les services de voirie ont été mobilisés au pas de charge pour effacer les stigmates des émeutes. Ici, on s’affaire à racler les traces des pneus ; là, on s’échine à remplacer des panneaux de signalisation routière saccagés. Devant certaines boulangeries, à Bab El Oued et ailleurs, c’est la queue pour une baguette de pain. Devant certaines stations d’essence aussi.
    La ville reprend son souffle. Les gens, leurs esprits. Quelques colonnes de fumée s’élèvent dans le ciel, à l’autre bout de la baie. Mais rien de spectaculaire.

    Nous essayons surtout de lire dans ces jacqueries le sens qu’elles se sont donné. Nous tentons d’en déceler les slogans, les mots d’ordre arborés, les pancartes brandies. Octobre 1988 avait son fameux «Bab El Oued Echouhada». Les émeutes du printemps noir leur «pouvoir assassin» et le tonitruant «Ulac smah ulah» (pas de pardon).
    Les manifs des démocrates au début des années 1990 leur fougueux «Djazaïr horra dimocratia» (Algérie libre et démocratique). Qu’en est-il de la révolte de janvier 2011 ? Le thème de la cherté de la vie semble revenir comme un leitmotiv pour expliquer ces émeutes et leur donner du contenu, que résume parfaitement ce slogan qui a été scandé : «Rahoum zadou fezzit ouessokar, echaâb rahou habet ikassar !» (Ils ont augmenté l’huile et le sucre, le peuple est décidé à en découdre). Pourtant, cela ne semble pas faire consensus. Nombre de citoyens interrogés, qu’ils soient acteurs de ces soulèvements ou simples observateurs, estiment que la majorité des insurgés ont jailli spontanément, les uns poussés effectivement par le ras-le-bol, la misère sociale et la mal vie, d’autres agissant par mimétisme. Mais pas de tract, ni de banderole, ni de pancarte, ni de charte écrite. Devant le lycée Okba, à Bab El Oued, des jeunes s’amusent à placarder des affichettes sur un mur. Renseignement pris, il s’avère que cela n’a rien à voir avec les émeutes. C’est juste pour annoncer l’ouverture d’une nouvelle école de formation privée. Indice révélateur à ce propos : nous avons essayé de trouver trace de quelques graffitis sur les murs des quartiers d’Alger récemment embrasés. Il n’y en avait que pour «el harga», Italia, le Mouloudia et l’USMA, mais aucun mot sur les récentes manifs. Quand on sait l’importance des murs comme supports d’expression, on peut mesurer le «blanc» laissé par ce soulèvement en termes de contenus.

    Rétrospectivement, on se souvient que même Octobre 1988, sur la foi de nombreux témoignages, n’avait pas immédiatement brandi de revendications politiques. Il a fallu puiser dans l’immense réservoir des luttes sociales et politiques qui ont jalonné les années 1980, depuis le printemps berbère, pour donner un contenu politique à Octobre 1988 et l’habiller d’une plateforme de revendications. Celle-ci trouvait son ancrage dans les traditions militantes héritées du MCB, du FFS, du PAGS, de la LADDH et autres sigles de la mouvance démocratique tapie dans la clandestinité. «Aujourd’hui, quand on voit l’état de l’université, on mesure la régression et l’appauvrissement du terreau politique alors que dans les années 1980, l’université connaissait une effervescence militante exceptionnelle qui a alimenté Octobre 1988», analyse un enseignant rencontré à Bab El Oued. Pour lui, il serait présomptueux, voire démagogique, de prêter au mouvement actuel des revendications «sophistiquées».
    à la recherche de la société civile
    Selon lui, même les raisons avancées, centrées autour de «la cherté de la vie» ont été ajoutées après coup. «C’est vrai que la cherté de la vie est insoutenable. Mais les jeunes manifestants, eux, n’ont rien dit de tel. C’est vous, la presse, qui avez inventé ces slogans.» Et un de ses collègues de renchérir : «Cela nécessite un profond travail d’encadrement mettant à contribution tout un tissu d’associations, de partis politiques et de syndicats.» Un troisième de faire remarquer : «On ne dit pas que ce mouvement n’est pas légitime. Simplement, nous ne sommes pas d’accord avec la manière.» Et son acolyte de lancer : «Nous, nous sommes dans un syndicat d’enseignants et nous militons pour nos droits par ce canal. Nous avons de petits acquis, mais nous préférons la voie pacifique traditionnelle. Il faut revenir à ces canaux de lutte qui sont le baromètre d’une société civile forte.» Justement, et c’est là que le bât blesse, le verrouillage du champ politique, associatif et syndical rendant problématique toute action citoyenne «encadrée» et «canalisée», le recours à la violence à l’état brut devient presque une fatalité. Interrogé sur ses propres attentes de ce mouvement, un jeune, dans les 18 ans, qui a pris part aux émeutes de Bab El Oued, témoigne : «Moi je vous le dis franchement, ce qui nous fait agir, c’est l’attitude de la police. Hier, un groupe de flics en civil sont venus ici et on les a chassés.» Le jeune évoque au passage le cas de certains «pilleurs professionnels» qui «profitent de la situation pour racketter les gens et vider les magasins». Mais l’on aurait évidemment tort de généraliser en réduisant cette lame de fond à un autre «chahut de gamins». Si le séisme social qui vient d’ébranler la maison Algérie a été brut, spontané et radical dans son expression, un cri sourdant du plus profond de l’injustice sociale qui accable la population, ne s’embarrassant pas trop des discours et des formules de rhétorique, force est de constater que trois jours après la tempête, des voix commencent à s’élever pour injecter des idées, des revendications écrites, du contenu politique à l’intérieur de ce magma de colère. Jusqu’ici, les classes moyennes semblaient se conduire en spectatrices.
    Peut-être que cette semaine sera annonciatrice d’une nouvelle phase dans le mouvement... ou que l’heure sera à la capitalisation citoyenne de ce tsunami.

    Des initiatives citoyennes sont d’ores et déjà en train d’être lancées dans ce sens. C’est ainsi que le Comité citoyen intercommunal de Aïn Benian-Staouéli vient d’être créé pour accompagner ce souffle. Sous le titre «Pour une alternative citoyenne et populaire», un premier communiqué de ce comité vient d’être rendu public sur facebook. «La rage de notre jeunesse exprime le ras-le-bol de tout un peuple à qui le pouvoir n’a laissé que la harga, la zatla et le suicide», s’indignent les rédacteurs du communiqué, avant d’appeler à un rassemblement pacifique ce dimanche à 16h, sur la place des Dauphins à Staouéli. «Certains font la morale aux jeunes manifestants en les traitant de casseurs et de voyous. Pourquoi tous ces augustes citoyens ne descendent-ils pas dans la rue pour montrer l’exemple ?», lâche un membre du comité de Aïn Benian.
    Les classes moyennes et la classe politique savent, désormais, ce qu’ils ont à faire s’ils veulent transformer cet hiver impétueux en printemps démocratique…

    Mustapha Benfodil
    El Watan
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    Nombre de citoyens interrogés, qu’ils soient acteurs de ces soulèvements ou simples observateurs, estiment que la majorité des insurgés ont jailli spontanément, les uns poussés effectivement par le ras-le-bol, la misère sociale et la mal vie, d’autres agissant par mimétisme.
    Une spontanéité qui touche 17 wilayas simultanément, j'ai un peu de mal avec ça, je l'avoue. Par contre le mimétisme de certains, les plus jeunes notamment, là oui.

    trois jours après la tempête, des voix commencent à s’élever pour injecter des idées, des revendications écrites, du contenu politique à l’intérieur de ce magma de colère.
    Si j'étais mauvaise langue, j'appellerais cela de la récupération...
    Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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    • #3
      Une spontanéité qui touche 17 wilayas simultanément, j'ai un peu de mal avec ça, je l'avoue. Par contre le mimétisme de certains, les plus jeunes notamment, là oui.
      Globalement, la même situation est vécue par les Algériens des 48 wilayas. Mêmes causes, mêmes conditions alors mêmes effets. En plus, avec la télé, la radio, internet, les moyens de transport... les nouvelles vont vite... et l'émeute n'est pas un exercice inédit dans aucune des wilayas du pays.

      Si j'étais mauvaise langue, j'appellerais cela de la récupération...
      Le danger de récupération par ceux-là mêmes qui sont responsables de la dégradation de la situation politique, économique et sociale dans le pays, n'est pas à exclure à priori. Cela ne ferait que préparer la marmite à une explosion plus forte.
      Toutefois, le mouvement en cours doit être relayé par des forces organisées qui lui "donneraient du contenu", le "positiver"...

      La première leçon est que les violentes émeutes sont le résultat de la prohibition et de la répression (!) de formes pacifiques de revendication sociale, d'expression politique et même de la moindre activité jugée, par les tenants du pouvoir, potentiellement subversive. L'ouverture du champ politique (d'abord par la levée de l'état d'urgence) est la première réponse adéquate.

      La violence des émeutes n'est pas principalement le fait de voyous manipulés ou pas, mais de jeunes qui n'ont rien à perdre (pour faire dans le slogan) que leur misère matérielle et morale. Un présent misérable, un avenir obscur et "en face" des gens qui s'en mettent plein la poche, qui mènent la dolce vita ici et dans ces villes de lumières et de félicité de l'autre côté de la mer. La harga était déjà annonciatrice de l'explosion à laquelle nous assistons.
      Il est donc nécessaire que des organisations et des personnalités politiques se fassent les porte-parole de la révolte pour une alternative qui traiterait les maux à la racine.
      "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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      • #4
        Ils ont 25 ans, mais ils donnent l'impression qu'ils ont en 40.

        "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien."
        Socrate.

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        • #5
          Une vidéo qui vaut de longs discours.
          Merci elfamilia.
          "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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          • #6
            Envoyé par benam
            l'émeute n'est pas un exercice inédit dans aucune des wilayas du pays
            Personne ne dit le contraire. Cela fait des années que ça dure et ceci ressort nettement des statistiques de la Gendarmerie nationale: plus de 80 000 interventions pour atteinte à l'ordre public rien qu'au premier semestre !
            Les chiffres font ressortir que durant les premiers six mois de l'année 2010, les services de police ont enregistré 81 565 interventions de maintien de l'ordre et 1 632 troubles. Les interventions des forces antiémeutes ont permis l'interpellation de 981 personnes. 360 ont été traduites devant la justice, dont 144 écrouées.

            Un chiffre alarmant qui reflète le malaise social. Ce phénomène de recours à la rue et la violence pour se faire entendre ou faire valoir ses droits, durant les trois dernières années, est devenu l'une des préoccupations du gouvernement.

            Les forces de l'ordre ont arrêté, durant l'année 2009, 10 915 personnes impliquées dans les troubles, dont 2 001 présentées devant la justice et 1 392 écrouées. En 2008, le nombre des personnes arrêtées a connu une légère augmentation. Ce sont 12 822 personnes arrêtées, 2 253 manifestants ont été traduits devant la justice, et 1 475 écrouées. En 2007, les policiers ont interpellé 7 319 personnes, dont 2 183 ont été présentées devant la justice et 1 324 écrouées. Ce bilan fait ressortir que l'année 2008 a été la plus "troublée", marquée surtout par les violentes émeutes de Beriane à Ghardaïa qui ont duré plusieurs semaines.

            Algérie Actualité
            L'internet, la radio, la télé etc, existaient aussi durant ces années. Cela n'a pas pour autant abouti à un mouvement aussi orchestré. Encore une fois, il ne s'agit pas de nier le malaise social, flagrant, évident, mais de se questionner sur l'opportunité de cette simultanéité...
            Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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            • #7
              la video posté par lfamilia vaut mille livres !!!
              celle a aussi.
              Dernière modification par CaboMoro, 09 janvier 2011, 09h44.

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              • #8
                envoyé par fortuna :
                L'internet, la radio, la télé etc, existaient aussi durant ces années. Cela n'a pas pour autant abouti à un mouvement aussi orchestré. Encore une fois, il ne s'agit pas de nier le malaise social, flagrant, évident, mais de se questionner sur l'opportunité de cette simultanéité...
                Mais ces explosions étaient générées par des causes "locales": distribution de logements, hogra (arrestations...)... Les autres parties du pays ne se sentaient pas directement concernés
                "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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                • #9
                  Benam

                  Mais ces explosions étaient générées par des causes "locales": distribution de logements, hogra (arrestations...)... Les autres parties du pays ne se sentaient pas directement concernés
                  Pourtant elles le devraient puisque tout le pays est concerné par les mêmes problèmes. C'est d'ailleurs pour cela que les choses perdurent depuis 1962, les uns restent passif pendant que d'autres manifestent mais aucune coordination des actions. C'est là où l'on s'aperçoit que l'élite intellectuelle a quasiment disparu d'Algérie, aucun slogan ni tract puisque personne pour avoir le courage de braver le pouvoir. Mais rien n'est perdu pour autant. Le malaise social existe et la hogra aussi et il va vraiment falloir aider les notres à changer les choses, pacifiquement évidemment....
                  Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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                  • #10
                    Traîter ces jeunes de toute l'Algérie de voyoux relève de la malhonneteté.
                    Notre "présidène" à vie, son premier ministre, nos dizaines de partis politiques (si on peut les appeler ainsi), ... ont presque tous préféré se retrancher dans leurs belles villas des clubs des pins et pendant ce temps nos enfants attendent avec impatience des réponses à leurs revendications :22:

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                    • #11
                      Envoyé par benam
                      Il est donc nécessaire que des organisations et des personnalités politiques se fassent les porte-parole de la révolte
                      La révolte était prévisible depuis longtemps, et elle s'est même produite de manière sporadique et continue tout au long de ces dernières années, même si elle était loin des caméras. S'il fallait l'organiser, il fallait le faire en amont et non en aval. Je doute fort que les émeutiers de ces derniers jours accepteraient qu'une tierce partie vienne parler en leur nom. C'est une nouvelle génération qui a vécu sous l'état d'urgence et sous un régime totalement verrouillé. Même le mot d'ordre qu'on tente de leur attribuer (cherté de la vie), ils semblent le rejeter, et ils ont raison puisqu'ils ne sont pas directement concernés:
                      «C’est vrai que la cherté de la vie est insoutenable. Mais les jeunes manifestants, eux, n’ont rien dit de tel. C’est vous, la presse, qui avez inventé ces slogans.»


                      C'est pourquoi l'hypothèse de la manipulation me semble la plus plausible dans ces derniers événements. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas un jour un véritable grand baroud, si les choses continuent ainsi.
                      Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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                      • #12
                        Ce genre d'émeutes qui se répète de façon récurrente est toujours celle de jeunes sur fond de misère sociale.
                        Leurs parents se sont complètement soumis en acceptant cette injustice et n'ont pu transmettre que leur misère à leurs enfants, mais ils ont surtout transmis la leçon qu'est l'inefficacité de ce type de comportement pour améliorer leur condition.
                        Mais le fond de leur motivation, au-delà de toute manipulation, est bien celle d'une absence d'avenir pour eux, et ce problème ronge tout Algérien et Algérienne et va donc forcément toucher, à terme, toute la jeunesse algérienne, et ce quelque soit les couches sociales auxquelles ils appartiennent.
                        Car même si nombreux sont les jeunes Algériens qui n'ont pas de problème pour se nourrir, voir même se loger, ils envisagent tous leur avenir avec un profond pessimisme. Ils voient bien que la soumission de leur parent face à l'ordre établi n'a fait qu'aggraver cet état de fait.
                        Tout laisse présager que la véritable crise qui se prépare est celle d'ordre générationnelle, auquel cas, le temps de l'archaïsme du pouvoir en place est compté.
                        "un gouvernement oppressif amène la ruine de la prospérité publique" Ibn Khaldoun

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