Dans cet entretien, M. Daho Ould Kablia livre ses impressions sur les dernières émeutes qui ont secoué le pays, la marche du RCD, les revendications de la jeunesse. Il se refuse cependant à partager la vision “négationniste” qui tend, dit-il, à faire croire que rien de positif n’a été réalisé dans le pays. Sur la question de l’état d’urgence, au centre des revendications de l’opposition et de la société civile, le ministre parle pour la première fois de l’éventualité de l’examen de ce dossier par le gouvernement sans fournir cependant de pistes claires.
Liberté : Monsieur le ministre, quels enseignements avez-vous tirés des dernières émeutes ?
Daho Ould Kablia : L’appréciation des motivations qui sont à l’origine de ces évènements est de plusieurs ordres. On a dit que j’ai parlé de manipulation. Personnellement, je n’ai pas vu dans ces évènements une manipulation directe et profonde. J'ai relevé une spontanéité liée aux problèmes que rencontrent les Algériens, de manière générale, et les jeunes, en particulier. Il s’agissait d’un mouvement de jeunes et de moins jeunes qui n’avaient d’ailleurs pas leur place dans cette histoire. Le malaise est un peu profond. Il touche relativement toute la société, tant il y a cumul de revendications à caractère plus social et matériel que politique. Cela va du chômage, de la cherté de la vie, du manque de logements, le difficile accès des citoyens aux services publics, le mépris, la bureaucratie… Tous ces maux que l’on désigne communément par la “hogra”. Il y a des facteurs extrêmement importants, mais il y a également ce qui relève de la faiblesse de la communication, face à un discours négationniste. Il faut le dire, des milieux, y compris une partie de la presse, ne mettent l’accent que sur ce qui est négatif dans l’action du gouvernement. Il y a beaucoup de choses positives réalisées depuis l’année 2000 dans de nombreux secteurs. Évidemment, certains ont tendance à nier les progrès et les actions positives en faveur de la population.
La plupart des émeutiers ne lisent pas la presse, ils n’ont fait que manifester leur ras-le-bol d’un certain vécu...
Il suffit que ceux qui lisent distillent un certain discours pour qu’il soit repris et amplifié. Je ne nie pas que ces choses-là existent. Si je devais faire un inventaire de ce qui ne va pas très bien dans le pays, je peux vous citer plusieurs exemples. Seulement, il faut relativiser. Dans mes analyses par exemple, j’admets l’existence d’un sentiment d’injustice chez certaines catégories vulnérables en matière d’emploi et de logement. Je cite également la cherté de la vie, le désarroi moral des administrés, l'insuffisance dans la gestion de certaines assemblées élues qui ont tendance à s’éloigner des préoccupations des citoyens, l’absence des canaux de communication, la bureaucratie, la précarité des dispositifs d’aide à l’emploi, ne portant que sur des périodes limitées, le climat de réprobation suscité par les scandales liés à la corruption, le diktat des spéculateurs et des gros commerçants, l'absence de la place publique de la classe politique et des associations, le recul du rôle d’institutions de socialisation et de transmission des valeurs comme la famille, l’école et l’autorité parentale. Il y a les séquelles de la violence terroriste, de la décennie noire. Je perçois, en outre, dans mes analyses, l’émergence d’un discours négationniste occultant les réalisations socioéconomiques et l’incontestable amélioration de la situation sécuritaire.
Vous venez de citer une liste exhaustive de motifs à l’origine du mécontentement des citoyens. Certains relèvent des missions de l’État. Il a donc failli à ses obligations ?
J’ai parlé des éléments déclencheurs. Les gens étaient beaucoup plus préoccupés par ces problèmes qui sont de faux problèmes, car il n’y a jamais eu de pénurie d’huile ou de sucre en Algérie. C’est une flambée de prix qui a été fabriquée ou préfabriquée.
Après ces émeutes, il y a eu un redéploiement de ministres sur le terrain. Ont-ils reçu des instructions dans ce sens ?
Ils n’ont pas besoin d’instructions pour tirer des enseignements de ce qui s’est passé. Évidemment, l’État fait et doit faire un effort supplémentaire. Il doit mieux apprécier les aspirations des citoyens, les attentes des jeunes. Est-il possible de les satisfaire dans leur globalité ? Il y a des choses qui doivent se faire graduellement. L’État doit être fort, mais juste. Nous avons atteint certains seuils dans le rythme de réalisation de logements. Pouvons-nous faire plus ? C’est la question que nous nous posons. À partir de l’année 2000 à ce jour, nous avons construit deux millions et demi de logements. C’était à notre portée, au prix d’un effort extrêmement important et des surcoûts. Parce qu’il fallait faire appel à des entreprises étrangères, notamment asiatiques. Car en matière de logement, le seul paramètre sûr, c’est le financement qui existe. Maintenant, il faut que les entreprises nationales se mettent à niveau, il faut disposer d'une main-d'œuvre qualifiée et dégager les assiettes de terrain. Nous ne pouvons pas construire plus de cent logements à Alger. Nous examinons en ce moment prioritairement d'autres opportunités dans les domaines du logement et de l'emploi.
Comment expliquez-vous que ces bilans positifs que rendent sans cesse publics les autorités ne se reflètent pas sur le vécu des Algériens au point de susciter des émeutes et des tensions sociales ?
C’est difficile à expliquer. C’est peut-être aux sociologues de le faire pour pouvoir cerner les motivations qui font que des Algériens sont prompts à réagir avec violence inégalée.
Ce sont pourtant ces mêmes jeunes qui ont défilé pendant la Coupe du monde du football et la Coupe d’Afrique qu’on a retrouvés lors de ces émeutes. Comment interprétez-vous ce passage d’une euphorie à un désenchantement total ?
Il y a eu des violences même dans des moments de joie. Après l’affaire d’Égypte, vous avez vu les violences qui ont eu lieu ! Elles n’ont pas seulement ciblé les entreprises égyptiennes comme Djezzy ou autres ; d’autres infrastructures furent également saccagées. Il ne s’agit pas, évidemment, de toute la jeunesse. Il y a une crise existentielle chez beaucoup de jeunes. Inutile d’épiloguer sur cela. Le manque de loisir, de liberté, pas au sens politique du terme, les difficultés d’obtention de visa sont une réalité. Les jeunes se retrouvent alors à tourner en rond avec ce sentiment de frustration qui leur fait penser qu’ils sont rejetés par leur pays. Mais là aussi, il ne faut pas qu’on verse dans l'exagération. Il y a des faits concrets effectivement qui ont une influence sur la jeunesse. C’est le travail de tout le monde : du gouvernement, des associations, de la société civile, de l’école pour essayer de ramener ces jeunes à plus de civisme, de maîtrise de soi. Je ne dirais pas à plus de patience, car la patience a ses limites. L’effort par exemple dans la formation professionnelle a été considérable. Six cent cinquante mille postes de formation ont été créés dans notre pays. Ce n’est peut-être pas suffisant pour 5 à 6 millions de jeunes. Cela donne tout de même des résultats.
Vous avez déclaré récemment que vous saviez que ces émeutes allaient survenir, pourquoi alors n’avoir pas pris des mesures à temps pour les éviter ?
Quel genre de mesures ? Mettre un policier dernière chaque personne.
Évidemment pas de mesures sécuritaires mais sociales ?
Des mesures sont mises en œuvre. Toutes ces mesures sont envisagées dans le programme de Monsieur le président de la République. Elles sont en train d’être appliquées. Il se peut que dans certains secteurs, elles ne sont pas appliquées avec la rigueur et la constance nécessaires. Quand j’ai dit qu’on savait que la menace existait, je faisais allusion à ce qu’on a vécu ces dernières années. Ce qui s’est passé entre les 5 et 11 janvier est le résultat de ce que nous avons vécu, depuis cinq à six ans avec les petites manifestations locales. C’est le même genre : sit-in, manifestations, APC encerclées, Sonelgaz et certains services publics ciblés en priorité. La seule différence est que cela s’est passé en même temps, sous l’effet d’une contagion.
A. O. et N. H.
Liberté : Monsieur le ministre, quels enseignements avez-vous tirés des dernières émeutes ?
Daho Ould Kablia : L’appréciation des motivations qui sont à l’origine de ces évènements est de plusieurs ordres. On a dit que j’ai parlé de manipulation. Personnellement, je n’ai pas vu dans ces évènements une manipulation directe et profonde. J'ai relevé une spontanéité liée aux problèmes que rencontrent les Algériens, de manière générale, et les jeunes, en particulier. Il s’agissait d’un mouvement de jeunes et de moins jeunes qui n’avaient d’ailleurs pas leur place dans cette histoire. Le malaise est un peu profond. Il touche relativement toute la société, tant il y a cumul de revendications à caractère plus social et matériel que politique. Cela va du chômage, de la cherté de la vie, du manque de logements, le difficile accès des citoyens aux services publics, le mépris, la bureaucratie… Tous ces maux que l’on désigne communément par la “hogra”. Il y a des facteurs extrêmement importants, mais il y a également ce qui relève de la faiblesse de la communication, face à un discours négationniste. Il faut le dire, des milieux, y compris une partie de la presse, ne mettent l’accent que sur ce qui est négatif dans l’action du gouvernement. Il y a beaucoup de choses positives réalisées depuis l’année 2000 dans de nombreux secteurs. Évidemment, certains ont tendance à nier les progrès et les actions positives en faveur de la population.
La plupart des émeutiers ne lisent pas la presse, ils n’ont fait que manifester leur ras-le-bol d’un certain vécu...
Il suffit que ceux qui lisent distillent un certain discours pour qu’il soit repris et amplifié. Je ne nie pas que ces choses-là existent. Si je devais faire un inventaire de ce qui ne va pas très bien dans le pays, je peux vous citer plusieurs exemples. Seulement, il faut relativiser. Dans mes analyses par exemple, j’admets l’existence d’un sentiment d’injustice chez certaines catégories vulnérables en matière d’emploi et de logement. Je cite également la cherté de la vie, le désarroi moral des administrés, l'insuffisance dans la gestion de certaines assemblées élues qui ont tendance à s’éloigner des préoccupations des citoyens, l’absence des canaux de communication, la bureaucratie, la précarité des dispositifs d’aide à l’emploi, ne portant que sur des périodes limitées, le climat de réprobation suscité par les scandales liés à la corruption, le diktat des spéculateurs et des gros commerçants, l'absence de la place publique de la classe politique et des associations, le recul du rôle d’institutions de socialisation et de transmission des valeurs comme la famille, l’école et l’autorité parentale. Il y a les séquelles de la violence terroriste, de la décennie noire. Je perçois, en outre, dans mes analyses, l’émergence d’un discours négationniste occultant les réalisations socioéconomiques et l’incontestable amélioration de la situation sécuritaire.
Vous venez de citer une liste exhaustive de motifs à l’origine du mécontentement des citoyens. Certains relèvent des missions de l’État. Il a donc failli à ses obligations ?
J’ai parlé des éléments déclencheurs. Les gens étaient beaucoup plus préoccupés par ces problèmes qui sont de faux problèmes, car il n’y a jamais eu de pénurie d’huile ou de sucre en Algérie. C’est une flambée de prix qui a été fabriquée ou préfabriquée.
Après ces émeutes, il y a eu un redéploiement de ministres sur le terrain. Ont-ils reçu des instructions dans ce sens ?
Ils n’ont pas besoin d’instructions pour tirer des enseignements de ce qui s’est passé. Évidemment, l’État fait et doit faire un effort supplémentaire. Il doit mieux apprécier les aspirations des citoyens, les attentes des jeunes. Est-il possible de les satisfaire dans leur globalité ? Il y a des choses qui doivent se faire graduellement. L’État doit être fort, mais juste. Nous avons atteint certains seuils dans le rythme de réalisation de logements. Pouvons-nous faire plus ? C’est la question que nous nous posons. À partir de l’année 2000 à ce jour, nous avons construit deux millions et demi de logements. C’était à notre portée, au prix d’un effort extrêmement important et des surcoûts. Parce qu’il fallait faire appel à des entreprises étrangères, notamment asiatiques. Car en matière de logement, le seul paramètre sûr, c’est le financement qui existe. Maintenant, il faut que les entreprises nationales se mettent à niveau, il faut disposer d'une main-d'œuvre qualifiée et dégager les assiettes de terrain. Nous ne pouvons pas construire plus de cent logements à Alger. Nous examinons en ce moment prioritairement d'autres opportunités dans les domaines du logement et de l'emploi.
Comment expliquez-vous que ces bilans positifs que rendent sans cesse publics les autorités ne se reflètent pas sur le vécu des Algériens au point de susciter des émeutes et des tensions sociales ?
C’est difficile à expliquer. C’est peut-être aux sociologues de le faire pour pouvoir cerner les motivations qui font que des Algériens sont prompts à réagir avec violence inégalée.
Ce sont pourtant ces mêmes jeunes qui ont défilé pendant la Coupe du monde du football et la Coupe d’Afrique qu’on a retrouvés lors de ces émeutes. Comment interprétez-vous ce passage d’une euphorie à un désenchantement total ?
Il y a eu des violences même dans des moments de joie. Après l’affaire d’Égypte, vous avez vu les violences qui ont eu lieu ! Elles n’ont pas seulement ciblé les entreprises égyptiennes comme Djezzy ou autres ; d’autres infrastructures furent également saccagées. Il ne s’agit pas, évidemment, de toute la jeunesse. Il y a une crise existentielle chez beaucoup de jeunes. Inutile d’épiloguer sur cela. Le manque de loisir, de liberté, pas au sens politique du terme, les difficultés d’obtention de visa sont une réalité. Les jeunes se retrouvent alors à tourner en rond avec ce sentiment de frustration qui leur fait penser qu’ils sont rejetés par leur pays. Mais là aussi, il ne faut pas qu’on verse dans l'exagération. Il y a des faits concrets effectivement qui ont une influence sur la jeunesse. C’est le travail de tout le monde : du gouvernement, des associations, de la société civile, de l’école pour essayer de ramener ces jeunes à plus de civisme, de maîtrise de soi. Je ne dirais pas à plus de patience, car la patience a ses limites. L’effort par exemple dans la formation professionnelle a été considérable. Six cent cinquante mille postes de formation ont été créés dans notre pays. Ce n’est peut-être pas suffisant pour 5 à 6 millions de jeunes. Cela donne tout de même des résultats.
Vous avez déclaré récemment que vous saviez que ces émeutes allaient survenir, pourquoi alors n’avoir pas pris des mesures à temps pour les éviter ?
Quel genre de mesures ? Mettre un policier dernière chaque personne.
Évidemment pas de mesures sécuritaires mais sociales ?
Des mesures sont mises en œuvre. Toutes ces mesures sont envisagées dans le programme de Monsieur le président de la République. Elles sont en train d’être appliquées. Il se peut que dans certains secteurs, elles ne sont pas appliquées avec la rigueur et la constance nécessaires. Quand j’ai dit qu’on savait que la menace existait, je faisais allusion à ce qu’on a vécu ces dernières années. Ce qui s’est passé entre les 5 et 11 janvier est le résultat de ce que nous avons vécu, depuis cinq à six ans avec les petites manifestations locales. C’est le même genre : sit-in, manifestations, APC encerclées, Sonelgaz et certains services publics ciblés en priorité. La seule différence est que cela s’est passé en même temps, sous l’effet d’une contagion.
A. O. et N. H.
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