Sid Ahmed Ghozali : « Ces élections s’inscrivent dans une feuille de route rédigée à l’étranger »
1-Dans El Khabar, vous avez appelé les Algériens à ne pas aller voter le 10 mai expliquant que « les résultats sont joués d’avance ». L’ONU et l’UE s’apprêteraient à envoyer des observateurs ; ne risquent-elles pas de servir de caution ? Quelles garanties pour des élections honnêtes et transparentes ?
SAG: J’ai dit : « On vous invite pour une nième fois à un simulacre, les partis non soumis, le FD par exemple, sont illégalement éliminés ; avec les uns on négocie des quotas, on décide pour d’autres. Votre vote n’y changera rien »
Tenant exclusif de la légitimité nationale, voire directeur des consciences, l’oligarchie ne cèdera pas un pouce, quel qu’en soit le prix. Bien naïve serait la croyance en des garanties pour de vraies élections ; le concept est antinomique avec la nature du pouvoir réel algérien.
De 1997 à 2009, il y a eu neuf prétendues élections, on a multiplié les candidatures de complaisance, restreint ou empêché les candidatures gênantes, invalidé les uns, poussé les autres à la sortie, pourchassé une multitude. Le RND, trois mois après sa création, avait emporté la majorité des sièges. A un journaliste de LCI qui l’interviewait, un chef de parti dénonçait : « …Ces élections ont été truquées et nous en avons la preuve …le président Zeroual nous avait promis 20% et ce sont les Services qui nous ont réduits à 9% ».
Ainsi, roulé dans la farine, un chef historique de la révolution, en vient à dire…qu’il a lui-même participé au truquage qu’il était en train de dénoncer ! Telle est la malfaisance du système.
A l’aube du 2ème mandat, le battage du 3ème aboutit à une manipulation expresse de la Constitution : « …Votez Bouteflika, de gré ou de force, ce sera lui le président ! » dixit le premier ministre.
Au regard de ces pratiques d’hier, allez donner aux gens une raison qui les pousserait à croire que cette fois-ci le même pouvoir va du coup être sincère. Ils ne voteront donc pas.
2- Beaucoup d’observateurs prévoient un fort taux d’abstention. Une victoire des islamistes algériens comme c’est le cas dans la région est-elle possible ? Comment voyez-vous l’après 10 mai?
SAG : La tricherie ne commence pas le jour du vote, mais bien avant. Des observateurs dites-vous ? Ce serait comme si dans une compétition un arbitre se présentait le jour du match, les règles du jeu ayant été changées, trafiquées la veille, des acteurs expulsés. Ajoutez que l’arbitre est, à la fois, faiseur des règles, joueur, propriétaire du terrain, président de clubs.
On veut améliorer l’état de la nation, sans trouver rien à proposer que changer la Constitution et les lois : est-ce à dire que c’est la Constitution qui est la cause de la corruption, du chômage, de la pauvreté, l’interdiction des partis etc..? On clame ouvrir le champ politique par la manipulation des lois. Or sur le strict plan des lois, le champ politique est déjà ouvert ! Pluralisme, libertés fondamentales, économie libérale, la Constitution de 1989 « la mère des réformes » a promis tout cela ; qu’en a-t-on fait ? Des mots. Le régime est le premier à violer ses lois. Soyez sûrs que ce que l’on vous promet aujourd’hui connaitra le sort de ce que l’on vous a promis hier.
Ne nous impliquons pas dans le mensonge, ne soyons pas complices de l’égarement, et des combines.
Et cette ambassade qui, en soutien au règne du non-droit, appelle les Algériens à voter ! Est-ce pour nous sommer de nous inscrire dans une feuille de route déjà prescrite ?
On instille dans les esprits le « risque » d’une victoire islamiste. De quels islamistes parle-t-on ? Chez nous, c’est connu, il s’agit d’islamistes-maison, déjà présents de tout temps dans la prétendue alliance présidentielle. Où est alors ce risque ?
Le chantage à l’islamisme repart de plus belle en campagne, charriant amalgames et insanités verbales : « Nous voulons une compétition dans la lutte contre le chômage et non dans l’apprentissage de la prière et des ablutions » dixit le premier ministre selon la Une d’El Khabar. Le régime perd son self-control, il se délabre dans l’égarement et le déni de réalité.
L’après 10 mai ? Ce sera la poursuite de la fuite en avant d’un régime en voie de décomposition, qui court à sa propre perte en entrainant la nation dans son sillage.
3- Vos propos sur les élections de 1992 tenus dans El Khabar ont suscité un tollé. Madame Leila Aslaoui vous a accusé de faire un clin d’œil aux islamistes alors que le premier ministre Ahmed Ouyahia, lui, a qualifié votre sortie d’ «atteinte à la quiétude et à la cohésion sociale ». Que répondez-vous ?
SAG : On m’impute des propos défigurés, souvent inventés. Habitué au lynchage médiatique, je répugne à y répondre, à me laisser tirer vers le bas, à contribuer à détourner l’attention des vrais problèmes du pays, à noyer le poisson. Autant s’adresser aux commanditaires plutôt qu’à leurs seconds couteaux.
Si j’insiste sur la volonté populaire, ce n’est pas parce que je suis exclu de toute action publique depuis 20 ans. J’étais chef du gouvernement quand à l’APN, début juillet 1991, j’affirmais « … je vous présente mon gouvernement, conscient qu’il est handicapé dès sa formation, parce qu’il n’émane pas de la volonté populaire ».
Face à six journalistes, en direct à la TV, j’avais analysé le premier tour : «…je vous ai promis des élections libres, honnêtes et propres. L’ont-elles été ? Oui du coté du gouvernement ; non du coté du FIS ». Ajoutant aussitôt : « Ce vote qui a donné la majorité au FIS a cependant une signification éminente : il est un cri de détresse, il est l’expression rejet total (Rafdihi El Qati’) par le peuple algérien d’un pouvoir discrédité, honni».
Oui la victoire du FIS était légale. Autrement, le Conseil constitutionnel en aurait-il publié les résultats dans le journal officiel ? Faut-il être diplômé(e) en droit ou en sciences politiques pour confondre « légitime » et « légal » ?
Imputer l’arrêt du processus électoral « au fait que le FIS a triché », c’est en méconnaitre les ressorts ou montrer une sérieuse défaillance de mémoire. Notre motivation, la seule, fut de nous préserver de la dictature fasciste et/ou religieuse. La vacance de la présidence et le déchainement des promesses « d’épuration » violente n’ont fait que conforter une conviction commune, à savoir que, livrer le pays à la direction du FIS de l’époque conduirait au désastre. Interrogez les acteurs en vie, civils et militaires, aux bureaux et dans dans la rue, d’où ils furent quelque 500 000 Algériens à en appeler à la sauvegarde la République !
Non, l’interruption du processus électoral n’était pas illégale. Vingt ans après, elle demeure politiquement légitime. C’est ce qui a été dit à El Khabar.
Ce que j’ai toujours regretté, ce n’est pas l’interruption du processus électoral mais le fait que le régime, aveugle, n’a tiré à ce jour aucune leçon de 1991, transformant a posteriori ladite interruption en un coup d’épée dans l’eau.
Et c’est en raison, et en raison seulement, de cette cécité que nous en sommes là, plus bas que terre.
Oui j’affirme que les prochaines « élections » seront un acte de plus, dans la série ininterrompue de forfaitures commises depuis douze ans. Il ne peut rien en sortir de bien pour le pays. Au contraire.
Celui qui dénonce une nième mascarade électorale est pointé en fauteur de trouble. Que dire alors du pouvoir incivique et irrespectueux, ce fauteur de désordre en chef, qui ment aux Algériens jusqu’à l’indécence, qui n’a de cesse que de les tromper pour leur extorquer un nouveau plébiscite à leurs frais, qui ne regarde les membres de la société, civile et militaire, qu’en agents serviles ou en « mercenaires» ? Ce mot n’est pas de moi, mais de celui qui s’en est prévalu, avec gloriole parait-il, auprès de députés et militants RND.
Celui qui me fait dire « l’arrêt du processus électoral est une erreur », vous ment, imprudemment ou impudemment peu importe, mais il vous ment.
Ses grossiers commentaires font fi de mes analyses, des centaines d’écrits. Fi de mes actes : Qui, parmi les hommes publics est allé en 2003, dire à la barre de la 17ème Chambre parisienne « Je suis venu témoigner pour l’honneur de l’ANP, parce que l’honneur de l’ANP c’est l’honneur de l’Algérie » ? Qui a réfuté point par point la thèse du « coup d’Etat » (Voyez le verbatim du procès publié par le plaignant Khaled Nezzar) ? Qui a expliqué les véritables ressorts de l’arrêt du processus électoral de 1992 ? Qui a été le seul à réagir dans les médias ici et ailleurs contre la théorie du « Qui tue Qui » ? Est-il le plus habilité à me réprimander sur 92, celui-là même qui s’est plus affairé à persécuter les cadres honnêtes serviteurs de l’Etat qu’à combattre la grande corruption et le terrorisme ?
Commentaire