
Ombres et lumières
par Larbi Chelabi
Source : Oulala.com
Il m’arrive de penser à Benchicou, directeur du Matin, et de l’imaginer au fond d’une cellule miteuse à peine éclairée, symbole de la part d’ombres et de lumières de notre condition humaine, de sa douleur rémanente, de ses péchés mortels et de son indicible espérance.
Il m’arrive de le deviner, plume à la main, cherchant au plus profond de ses neurones à donner du sens à l’innommable tragédie dans laquelle tout le corps social de cette Algérie profonde s’est disloqué dans le tourbillon d’une nuit sans étoiles. Celles des généraux farceurs ayant pali en cette soirée funeste du 8 avril 2004.
Benchicou a été grand dans son malheur. Ses bourreaux Bouteflika et Zerhouni ont été petits dans leurs stratagèmes. Les juges qui l’ont condamné ont acheté un ticket pour l’enfer et se sont couverts d’ignominie pour le restant de leurs jours.
Et le peuple pardi ?
N’est-ce pas en son nom que Benchicou a accepté courageusement de confronter les barons de ces clans interlopes qui nous tirent les cartes depuis 1962 et de leur livrer une guerre épistolaire sans merci ?
N’est-ce pas au nom de citoyens brimés dans leurs droits par des barbouzes en mal de pouvoir que le combat pour la citoyenneté pleine et entère a été engagé avec ferveur et force conviction ?
N’est-ce pas au nom de l’égalité et de la légalité qu’il a dénoncées les passe-droits et les fraudes en tous genres qui pervertissent depuis toujours les rapports sociaux et tendent à fracturer encore plus le corps social déjà bien fragilisé par d’interminables épreuves ?
N’est-ce pas au nom de la démocratie et de la liberté que Benchicou a accepté, à son corps défendant, de goûter à la médecine carcérale généralement prévue pour sanctionner les prédateurs qui ont usurpé et continuent d’usurper en toute impunité le statut de dépositaires inamovibles de notre souveraineté nationale ?
J’essaie de deviner ce qu’il pense de ce silence de tombe qui s’est emparé soudainement de tous ceux qui avant le 8 avril 2004 trempaient leurs plumes dans du vitriol pour forcer le destin à ce qu’il réponde présent !
J’essaie de décrypter derrière ses lunettes et au delà de son regard de fauve blessé, ce qu’il pense de ces démocrates salonnards, de ces islamistes velléitaires et de ces Tortskystes de pacotille qui sont à la politique ce que les ennuques sont à la virilité. Je n’arrive pas à plaindre Benchicou même si je suis peiné de sa propre peine parce qu’il a tout simplement fait ce qu’il avait à faire. Souvent avec brio ! Ce que je plains le plus, c’est cette naiveté réelle ou supposée de croire que notre peuple est naturellement bon, que sa cause mérite d’être défendue avec la dernière des énergies et qu’il finira bien par suivre le mouvement instillé par ses porte-voix pour changer la vie et dessiner un avenir couleur d’espoir à notre jeunesse désemparée.
Je sais pour l’avoir écrit à quelques reprises et pour avoir été censuré à maintes reprises que telle n’est pas la vision du Matin et de son directeur. Je le sais car sur ce point précis et sans vouloir me rappeler à leurs sourvenirs il est arrivé qu’ils aient refusé de publier des contributions dans lesquelles je portais un regard critique sur l’état de délabrement de notre conscience politique, de notre civisme qui va à vau l’eau et de notre vouloir-vivre-ensemble qui n’est plus qu’un lointain souvenir. Je le pense encore aujourd’hui avec peut être encore plus de conviction quand on comprend mieux ce qu’il est advenu de nous en ce funeste soir du 8 avril 2004. Un peuple normalement constitué doit avoir les deux attributs d’une force : l’action et la réaction . Le nôtre défie les lois de la physique. De force, il se transforma en poids et acquit le caractère infâme de l’inertie qui fait que depuis 3000 ans notre destin bascule sans transition d’un colon prédateur à un dictateur sanguinaire sans qu’on y trouve matière à discussion. Dès lors, il est fort à parier, avec cette manne pétrolière qui accapare tous les appétits, ceux des partisans et des opposants confondus, que le projet sociétal moderniste qui a nourri nos rêves de jeunesse ne soit plus qu’une vision de l’esprit. Il ne restera alors dans ce vaste pays gangréné par le vice et envahi par la saleté qu’une foule qui prêche le chaos. Certains tuent pour un oui ou pour un non d’autres meurent pour un oui ou pour un non. D’autres volent parce que tout le monde vole. D’autres, chevaliers de la parole, croupissent dans des cellules miteuses à peine éclairées, symbole éloquent de nos lâchetés rédhibitoires.
Tiens bon l’ami que je ne connais pas.
Larbi Chelabi
Canada
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